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Idées - Point de vue

Pour un renouveau de la diplomatie culturelle libanaise


Pour un renouveau de la diplomatie culturelle libanaise

Le palais Bustros, siège du ministère libanais des Affaires étrangères. Photo ANI

Ce sont deux murs porteurs d’un État souverain, la diplomatie et la culture, qui sont enfin en de bonnes mains, avec la nomination des ministres Joe Raggi et Ghassan Salamé au sein du gouvernement Salam. Tous deux ayant la culture pour ressort de leur analyse et de leur parcours, cela augure d’un véritable renouveau en matière de soft power, et plus particulièrement en ce qui concerne la diplomatie culturelle.

L’idée libanaise est d’abord culturelle. Contrairement à d’autres États de la région dont les frontières ont été tracées en fonction des calculs des grandes puissances (lors des accords Sykes-Picot), l’État libanais a vu le jour au bout d’une longue gestation historique qui s’est cristallisée dans la Nahda et qui a permis à la diaspora, organisée autour de clubs littéraires et politiques à Paris, au Caire, à New York et à São Paolo, de mener les efforts de « lobbying » conséquents, notamment auprès de la France. Aujourd’hui, c’est à un effort similaire que l’État libanais est appelé, pour mener à bien sa renaissance. Une diplomatie culturelle ne peut se décliner sur le mode incantatoire. Pour la mettre en œuvre, il faut s’en donner les moyens. Hélas, elle est longtemps restée le fruit de l’improvisation ou de la bonne volonté de quelques diplomates.

Depuis Ahmad Daouk, premier ambassadeur du Liban en France (1953) sous le général de Gaulle, des figures comme Salah Stétié ou Camille Aboussouan (à la délégation libanaise à l’Unesco) ont préfiguré une diplomatie culturelle libanaise. Dans les années 1960, la création d’un Office du tourisme du Liban (aujourd’hui fermé) contribua à promouvoir une autre image du pays pendant et après la guerre, palliant l’absence d’un centre culturel libanais. Toutefois, des actions culturelles, même nombreuses, ne suffisent pas à faire une politique culturelle.

Géopolitique d’une diplomatie culturelle

Une diplomatie culturelle se planifie, comme un général devant une carte militaire. Car il s’agit de savoir : dans quels pays se donner les moyens d’une diplomatie culturelle et dans quel but ? S’agit-il d’une diplomatie d’influence ou d’une diplomatie « d’image », destinée à présenter le Liban sous son meilleur jour ? L’importance du soft power libanais n’est pas négligeable, avec ses industries culturelles (télévision, cinéma, musique, BD, art, édition, gastronomie) et une certaine philosophie du « vivre-ensemble », dans un monde confronté à des vagues migratoires et des brassages démographiques d’une ampleur inédite.

Depuis la guerre, la diplomatie libanaise a négligé l’atout majeur du pays : la qualité de ses élites, cultivées, plurilingues, ouvertes au monde. La diaspora libanaise est un pilier obligé de toute dynamique.

À cet égard, l’ambassade du Liban en France occupe une place primordiale et emblématique que reflètent notamment son budget et ses effectifs. Outre l’importance de l’Hexagone dans le concert des nations, son amitié indéfectible, son soutien immuable au pays du Cèdre, la dimension culturelle demeure un élément-clé des relations bilatérales, le Liban étant membre actif de la francophonie. La chancellerie est d’ailleurs accaparée, pour plus de la moitié de son activité, par les questions d’ordre culturel : suivi des étudiants libanais en France, Maison du Liban à la Cité universitaire internationale de Paris (CIUP), échanges universitaires et, surtout, la présence d’une communauté de binationaux, active, bien intégrée, disposant d’un réseau associatif connecté aux mairies et aux collectivités locales. L’ambassade du Liban en France était en outre la seule à avoir conservé, fût-ce de manière usuelle (mais pas officielle), la fonction indispensable d’attaché culturel, supprimée ailleurs dans les années 1980. Cette exception a malheureusement fini par être sacrifiée sur le double autel d’une austérité budgétaire mal placée et d’une « diplomatie des chaises », liée à des fonctionnaires soucieux de restreindre la marge de manœuvre de tout conseiller culturel jugé trop entreprenant. Rétablir le poste d’attaché culturel dans les ambassades est une nécessité pour le rayonnement de la culture libanaise.

La délégation du Liban auprès de l’Unesco joue, quant à elle, un rôle essentiel dans la promotion du Liban et de son patrimoine (la récente mobilisation de la délégation pour sauver Baalbeck des bombardements israéliens en est un exemple).

Outre la France, le Liban bénéficie de relais importants aux États-Unis, en Amérique latine et en Afrique, grâce à une diaspora active dans tous les secteurs. C’est de ses connexions et de son entrepreneuriat que le pays a besoin pour influer dans le sens des réformes, de la vision d’avenir, des technologies, du soutien à la création. Sans oublier la place du numérique en tant qu’espace de diffusion culturelle et de débat. À quand une « Station F » libanaise ?

Une diplomatie culturelle pour quel Liban ?

Les entraves à l’émergence d’une ligne diplomatique claire ont été nombreuses : les tiraillements politico-confessionnels, une lecture non apaisée de l’histoire et de l’identité collective, le grippage des institutions depuis Taëf, un système où les nominations diplomatiques pâtissent du clientélisme ou des règlements de comptes politiques, un règlement intérieur obsolète, des obstacles à toute prise d’initiative, un manque de vision entraînant la chétivité du budget affecté à la culture. Pour promouvoir l’image du Liban (manifestations culturelles, festivals internationaux), les ambassades sont contraintes de recourir aux associations et aux sponsors privés.

Une politique concertée devrait jeter les bases d’une diplomatie culturelle, entre consensus et liberté de mouvement adaptée à chaque chancellerie. Elle implique une coordination interministérielle incluant la dimension touristique du pays, sa dimension patrimoniale (le turâth) et muséale, et sa dimension littéraire, avec la promotion du livre, indissociable de toute diplomatie culturelle. Il fut un temps, dit-on, où « Beyrouth imprimait, l’Égypte écrivait et l’Irak lisait ». Si d’autres capitales ont pris Beyrouth de vitesse depuis, le Liban bénéficie d’un tel capital de sympathie qu’il suffirait d’un rien pour que le phénix reprenne son envol en visant haut et loin.

La culture est un enjeu de civilisation, un facteur de développement et de lutte contre la pauvreté. Elle est le lieu idéal de la promotion de la paix, de la citoyenneté et de la liberté. C’est là une mission à la hauteur du Liban.

Par Carole H. DAGHER

Essayiste et romancière. 

Ce sont deux murs porteurs d’un État souverain, la diplomatie et la culture, qui sont enfin en de bonnes mains, avec la nomination des ministres Joe Raggi et Ghassan Salamé au sein du gouvernement Salam. Tous deux ayant la culture pour ressort de leur analyse et de leur parcours, cela augure d’un véritable renouveau en matière de soft power, et plus particulièrement en ce qui concerne la diplomatie culturelle.L’idée libanaise est d’abord culturelle. Contrairement à d’autres États de la région dont les frontières ont été tracées en fonction des calculs des grandes puissances (lors des accords Sykes-Picot), l’État libanais a vu le jour au bout d’une longue gestation historique qui s’est cristallisée dans la Nahda et qui a permis à la diaspora, organisée autour de clubs littéraires et politiques à Paris,...
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