En 2005, le gouvernement de Fouad Siniora a adopté un projet de décret visant à réduire les jours fériés au Liban.
Parmi les fêtes qui demeurent intouchables figure celle de la Saint-Maron, bien que le gouvernement ait décidé de supprimer la Toussaint du calendrier administratif. Mais logiquement, saint Maron ne fait-il pas partie des saints célébrés le 1er novembre ? Ou bien est-il supérieur aux autres ? Oh la la ! j’allais oublier… Comment oser toucher au saint patron de la communauté à qui la gloire du pays a été donnée ? Mais de quelle gloire s’agit-il ? Il suffit de regarder les dernières décennies pour avoir la réponse. Il s’agit de l’amour du pouvoir glorifié par l’encens spirituel, même dans un État ruiné. C’est le « maronitisme ».
Pareil, ce même gouvernement avait décidé de reporter la fête des Martyrs, célébrée à l’origine le 6 mai, au premier dimanche du mois. Cette fête est ainsi tombée dans l’oubli et est éclipsée, depuis vingt ans, par la commémoration de l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, le 14 février. Néanmoins, Hariri ne fait-il pas partie de la liste des martyrs libanais ? Si c’est le cas, pourquoi ne pas lui rendre hommage avec les autres, le 6 mai ? C’est vrai que son assassinat a constitué un tournant pour le pays, mais est-il l’unique et le seul martyr du pays ? Les présidents Gemayel et Mouawad, le mufti Hassan Khaled, Gebran Tueni ou Lokman Slim et bien d’autres ne mériteraient-ils pas le même hommage ? Ou y a-t-il des degrés dans le martyr ?
En même temps, la libération du Liban-Sud qui devait être fêtée le deuxième dimanche du mois de mai, selon le décret, déroge à la règle et continue à être célébrée le 25 mai, jour du retrait de Tsahal de cette région. Certes, ce retrait qui reste bien ancré dans les esprits a établi une nouvelle ère pour le pays. Cependant, le retrait des troupes syriennes du Liban le 26 avril 2005 ne lui est-il pas équivalent ? Peut-être que la Syrie n’a jamais occupé notre pays ? De toute façon, il s’agit, dans les deux cas, d’une libération provisoire : d’un côté, les Israéliens ont de nouveau occupé le Liban-Sud en 2006, puis de 2024 jusqu’à présent ; de l’autre, si les militaires syriens ont quitté le pays du Cèdre, les réfugiés, qu’ils soient contre ou pour le régime, y sont retournés, pour occuper désormais une place prépondérante dans la vie sociale libanaise.
Allons plus loin. Au niveau institutionnel : le président de la République ne peut être que maronite, le Premier ministre sunnite, et le président de la Chambre ne peut être que Nabih Berry, depuis 1992. En outre, le ministère des Finances, qui déroge depuis onze ans au principe de rotation des portefeuilles, semble impénétrable, sauf pour le grand requin de la finance : le fameux tandem chiite. C’est l’éternité de l’irrégularité. Irrégularité de principe et irrégularité budgétaire. Par conséquent, ce ministère ne devrait-il s’appeler d’ores et déjà « ministère de la Misère » ?
Comment qualifier ces pratiques ? S’agit-il de privilège ? D’exclusivité ? Non… Il faut ajouter quand même le suffixe « -isme », pour glorifier et respecter la suprématie de chacune de ces composantes qui s’approprient l’histoire du pays, sa gloire et ses finances. C’est l’exclusivisme, voilà !
Ce terme reflète l’amour excessif de soi et des intérêts propres, qui unit les dirigeants politiques et religieux, toutes confessions confondues, pour exclure tout partage, en dépit des divergences historiques.
En d’autres termes, c’est la pratique littérale du fameux proverbe « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». Eh oui, par soi-même ! Ou plutôt envers soi-même, mais toujours suivi de « Après moi le déluge ! »
Voilà un bel exemple d’amour en cette Saint-Valentin ! Trinquons à la gloire de nos chefs religieux et politiques et de leur amour exclusif. Aïe !
j’allais oublier les formules rituelles d’éloge et de glorification, allant de « Gloria Libani date est ei » jusqu’à « Le Hezbollah est vainqueur » !
Bonne fête à nos grands amoureux, éternellement glorifiés !
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