
Le Premier ministre Nawaf Salam à son arrivée au palais présidentiel pour assister à la première réunion du nouveau gouvernement à Baabda, le 11 février 2025. Photo ANWAR AMRO / AFP
Pour sa première interview télévisée en tant que Premier ministre sur la chaîne officielle, Nawaf Salam a prononcé à plusieurs reprises le mot « confiance », une confiance qu’il veut retrouver avec les Libanais. « Je m’attarderais sur une seule statistique qui me tient à cœur : 69 % des jeunes veulent émigrer et 75,6 % des jeunes ont un seul espoir, celui de quitter le pays, c’est la tendance que nous voulons renverser », a-t-il dit face à quatre journalistes choisis pour l'interviewer.
Choisi en janvier pour former un gouvernement après l’élection de Joseph Aoun à la présidence, Nawaf Salam a officiellement annoncé samedi la composition de son équipe.
Nombre de questions ont naturellement porté sur l’affaiblissement du Hezbollah au cours de cette dernière guerre et sur la possibilité, pour l’État libanais, de regagner sa souveraineté sur tout son territoire. « Je comprends que les gens n’aient pas confiance parce qu’ils l’ont perdue depuis des années. Je suis confiant que nous réussirons mais la population doit nous donner du temps. Nous sommes sur la bonne voie », a déclaré Nawaf Salam. Et sur la modalité de l’application de la résolution 1701 (qui prévoit à terme le désarmement du Hezbollah entre autres), il a précisé : « Il s’agit tout d’abord d’appliquer l’accord de Taëf qui souligne que l’État doit imposer son autorité sur tout son territoire, même avant la 1701. Le désarmement au sud du Litani devait être réalisé il y a des années, et les habitants du Sud en payent le prix fort aujourd’hui. »
Adoptée en 2006, la résolution 1701 du Conseil de sécurité sert de base à l'accord de cessez-le-feu conclu le 27 novembre dernier entre Israël et le Liban. Interrogé sur la position du Liban si le retrait israélien du Liban-Sud ne s’effectuait pas dans les délais impartis, c’est-à-dire le 18 février, il a répondu : « Nous tenons à un retrait israélien dans les temps et utiliserons toutes les voies diplomatiques pour y arriver. Le Liban a tenu tous ces engagements dans le cadre de ce cessez-le-feu. » Et d’ajouter : « Toutes les communautés et les partis ont fait des paris perdus dans le passé, depuis les années 50. Assez de paris sur les puissances étrangères, il est temps de parier les uns sur les autres, de respecter la Constitution et d’établir un État. »
Les critères de la composition du gouvernement
Nawaf Salam a répondu à de nombreuses questions sur les critères du choix de ses ministres, qui ont oscillé entre la compétence des personnalités choisies et les quotes-parts politiques. « Les quatre critères que je me suis mis ne sont pas dans la Constitution, mais ils m’ont paru essentiels : celui de la séparation de la députation et du gouvernement parce que, sinon, le gouvernement serait un mini-Parlement ; celui de demander aux ministres de ne pas se porter candidats aux élections afin de garantir leur neutralité ; celui du choix de non-partisans pour que le gouvernement reste une équipe homogène, et, enfin, celui du choix de personnes hautement qualifiées. »
Pourquoi alors avoir tenu compte du partage des parts ? « Parce que cette équipe doit obtenir la confiance du Parlement, donc ses ministres doivent être acceptés bien que non-partisans. »
Sur l’exclusion de certains partis qui l’ont nommé, comme le Courant patriotique libre, les Marada ou encore le bloc de la Modération nationale (sunnites), le Premier ministre a précisé que ces groupes cherchaient à lui imposer des critères qui ne sont pas les siens. « Le CPL avait ses propres calculs conformes à la taille des blocs, et cela n’a pas facilité les contacts avec eux, d’autant plus que leur chef Gebran Bassil critiquait mes critères en permanence. Le bloc de la Modération nationale avait un critère de représentativité locale, et ont proposé des noms. J’ai préféré ceux que j’avais proposés pour leur compétence dans leur domaine. »
En référence à l’attribution du portefeuille des Finances au tandem chiite au mépris de son attachement initial à la rotation dans les portefeuilles, notamment régaliens, il a répondu : « Une grande communauté du pays sort brisée de cette guerre, si nous avions changé la donne aujourd’hui, cela aurait été interprété comme une défaite par eux. Mais ce n’est pas une règle immuable et aucun portefeuille n’est consacré par l’accord de Taëf ou par les mœurs à une communauté en particulier. »
Pas de sérieux précédemment dans les reformes financières
Le Premier ministre s’est attardé sur les réformes, affirmant que rien ne peut aboutir à une annulation des dépôts dans les banques. « Bien sûr que la déclaration ministérielle comprendra une mention de cette question essentielle », a-t-il affirmé.
Et d’ajouter : « Avant, (le Liban) n'avait pas pris au sérieux les réformes financières demandées par le Fonds monétaire international, même s’il faut travailler à améliorer nos conditions. Le contrôle des capitaux n’a pas été réalisé. Le secret bancaire n’a pas été abordé. Sans compter qu’il est nécessaire de procéder à la restructuration du secteur bancaire. » Nawaf Salam a insisté sur le fait que « les réformes financières doivent s’accompagner de réformes politiques, notamment celle de la justice ». « C’est la base de tout. Il faut une autorité judiciaire indépendante », a-t-il martelé.
Sur l’accord de Taëf, il a souligné qu’il fallait désormais le considérer comme un tout et l’appliquer tel quel, notamment la décentralisation administrative élargie. « Il faut arrêter de faire peur aux gens avec cette commission d’abrogation du confessionalisme politique : sa mission devait être d’étudier les modalités de cette mesure. Il faut réexpliquer la Constitution aux gens. »
Réparer les relations avec le Golfe
Interrogé sur les relations internationales du Liban, le Premier ministre a assuré qu’ « il est temps de reprendre de bonnes relations avec les pays arabes ». « Ils sont tous revenus mais ils nous demandent de faire des réformes pour pouvoir nous aider. Il faut renforcer cette réconciliation avec notre entourage arabe et retrouver la confiance du monde », a-t-il dit.
Il a dit s’engager à la reconstruction du Liban-Sud en niant que l’aide étrangère soit conditionnée, rappelant que le coût des destructions est désormais estimé de 10 à 11 milliards de dollars par la Banque mondiale.
Que faire des déclarations américaines sur la déportation des Palestiniens ? Quelle est la position du Liban face à ce projet israélien ? « La seule idée de déporter les Palestiniens vers la Jordanie et l’Égypte ou vers un tout autre lieu est inacceptable, et je l’ai déjà dit. On ne peut y faire face que par plus de solidarité arabe. Et nous avons une alternative, celle des deux États, exprimée à Beyrouth en 2002. »
Nawaf Salam s’est dit prêt à visiter la Syrie pour discuter de toutes les questions en suspens, à commencer par la délimitation des frontières et du problème des réfugiés, en passant par la contrebande. « Il y a une véritable occasion de voir les (réfugiés et migrants) syriens rentrer chez eux », a-t-il assuré.
Nawaf Salam s’est enfin déclaré favorable à la réforme de l’actuelle loi électorale.
""Une grande communauté du pays sort brisée de cette guerre (…) cela aurait été interprété comme une défaite par eux". L’excuse est un peu tirée par les cheveux. Il est vrai que c’est la communauté chiite qui a le plus souffert de cette guerre, mais ce qui est "sorti "brisé", ce n’est pas elle, mais le Hezbollah avec lequel , il serait injurieux de la confondre. Il semble étrange, que, pour compenser les dommages subits par les chiites, on accorde des privilèges à ceux qui sont responsables. La vérité est qu’il a cédé à la menace de troubles ("spontanés"!). Mais ça, il ne peut pas le dire!
12 h 03, le 13 février 2025