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Nawaf Salam fait le pari de la troisième voie


Nawaf Salam fait le pari de la troisième voie

Le Premier ministre Nawaf Salam, samedi 8 février 2025, à Baabda. Photo AFP

La confrontation ou la paralysie : nous étions nombreux à considérer que Nawaf Salam n’avait pas d’autres choix que cette alternative pour former son gouvernement dans un contexte où le Parlement ne reflète pas les nouveaux rapports de force et où le tandem chiite menace encore de recourir à la rue s’il n’obtient pas ce qu’il veut. L’ancien diplomate et président de la Cour internationale de Justice vient, peut-être, de nous donner une leçon de politique. Et de prouver qu’une troisième voie était possible.

Certes, si l’on voit le verre à moitié vide, l’on peut regretter que le ministère des Finances soit encore la propriété du tandem chiite et considérer qu’il y avait là une occasion historique de briser ce monopole et d’affirmer l'indépendance du nouveau cabinet vis-à-vis de tous les partis. Mais ce serait faire fi de deux réalités : d’une part, le prix politique et sécuritaire de la confrontation ; d’autre part, la possibilité pour le Parlement de bloquer l’action du gouvernement.

Si l’on voit le verre à moitié plein, on peut ainsi saluer le fait que Nawaf Salam est parvenu à intégrer le tandem, et plus généralement l’ensemble des partis - avec qui il sera de toute façon contraint de négocier -, tout en obtenant plusieurs victoires non négligeables. Il a réussi là où tant d’autres, y compris Emmanuel Macron au moment de l’initiative française, avaient échoué. Le contexte est plus favorable. Mais l’ancien diplomate a surtout fait preuve d’une connaissance aiguë des subtilités de la politique libanaise et s’est révélé être en ce sens un très bon manœuvrier, surmontant les différents obstacles, un à un, avec méthode.

Ce n’est pas la révolution que tant d’entre nous espéraient. Mais il n’empêche que c’est, sur le papier, le meilleur gouvernement que le Liban ait eu depuis des décennies. Et sans doute ce qu’il était possible d’avoir de mieux, dans les circonstances actuelles, sans risquer une confrontation avec le Hezbollah.

Les objectifs du Premier ministre ont été atteints. Personne ne dispose du tiers du blocage, ni de la possibilité de paralyser le cabinet en cas de démission collective puisque le cinquième ministre chiite, Fadi Makki, a été nommé par Nawaf Salam et Joseph Aoun et non par Amal et le Hezbollah. Le simple fait d’avoir brisé le monopole de la représentation chiite est une victoire loin d’être négligeable. Et ce n’est pas la seule. Si les partis ont largement participé à la formation de ce gouvernement, ces membres ne sont pas encartés et ont tous des CV éloquents et en adéquation avec la fonction qu’ils vont occuper. Certains d’entre eux font même la fierté du Liban, bien au-delà de ses frontières, depuis des décennies. Un gouvernement n’est évidemment pas une académie des sciences et tout sera, in fine, question de politique. Mais compte tenu du spectacle que nous offre depuis des années notre classe politique, voir de telles personnalités nous représenter ne peut faire que du bien. D’autant plus que question politique justement, Nawaf Salam semble avoir pris le soin de s’assurer d’avoir une majorité au sein du cabinet sur tous les sujets clés : résolution 1701, restructuration du système bancaire, réformes administratives et judiciaires…

Est-ce que ce gouvernement pourra gouverner ? Que pourra-t-il faire d’ici les prochaines élections législatives prévues au printemps 2026 ? Voilà la question clé. Au Liban, le cabinet ressemble davantage à une association de copropriétaires, où chaque parti a un pouvoir de blocage via le ou les ministres qui le représentent, plutôt qu’à un organe exécutif mettant en place la politique voulue par la majorité. Celui de Nawaf Salam échappera-t-il à ce carcan ? C’est possible compte tenu des équilibres en présence à l’issue de sa formation et surtout du contexte politique régional dont il bénéficie. L’Arabie saoudite nous regarde à nouveau. Les États-Unis utilisent un langage brutal mais ont intérêt à ce que cela fonctionne. L’Iran a un genou et demi à terre. Le Hezbollah a besoin des dollars du Golfe pour reconstruire les quartiers et villages détruits par sa dernière guerre contre Israël. 

Le nouveau cabinet paraît être en mesure d’assurer cette phase de transition qui doit permettre l’application de la 1701, la stabilisation du pays et la mise en œuvre du chantier de reconstruction. Parallèlement, il doit sortir le Liban de son isolement diplomatique et le reconnecter avec le monde arabe.

Tout cela paraît possible et c’est déjà beaucoup. Peut-on en attendre encore davantage ? Le premier gouvernement de la « nouvelle ère » peut-il être celui du désarmement du Hezbollah et des grandes réformes ?

C’est là qu’il faudra être à la fois exigeant et réaliste. La formation du gouvernement a rappelé à ceux qui semblaient l’avoir un peu trop vite oublié que le vieux monde n’était pas mort et que ni le président ni le Premier ministre n’avaient pour l’instant les moyens de l’achever. Le bras de fer sera encore plus féroce quand ils aborderont la question des armes du Hezbollah ou celle de l’avenir du secteur bancaire.

Plus le gouvernement Salam sera ambitieux dans sa volonté de changement, plus il sera confronté à la milice et à la mafia - dont les intérêts convergent souvent - qui auront recours, comme lors de ces dernières semaines, à tout leur arsenal : le Parlement, la rue et les médias.

Si ce gouvernement déçoit, il en portera bien sûr une partie de la responsabilité. Mais, à n’en pas douter, la plus importante nous incombera. Car si la majorité des Libanais souhaite véritablement le changement, il s'agit d’élire enfin un Parlement qui reflète cette ambition. Ou d’accepter, dans le cas contraire, que même le meilleur gouvernement possible ne peut donner que ce qu’il a.

La confrontation ou la paralysie : nous étions nombreux à considérer que Nawaf Salam n’avait pas d’autres choix que cette alternative pour former son gouvernement dans un contexte où le Parlement ne reflète pas les nouveaux rapports de force et où le tandem chiite menace encore de recourir à la rue s’il n’obtient pas ce qu’il veut. L’ancien diplomate et président de la Cour...
commentaires (18)

Tout ça pour ça !!! La milice est tjs armée et tjs aussi nombreuse. Rien n'a changé au fond, sur le plan interne. Nous avons besoin d'espoir (c'est compréhensible) mais nous misons tellement sur les législatives de 2026, qui risquent de finir comme celles de 2022. La dépendence au Zaïm est incurable et ceux qui s'en sont affranchis sont si peu nombreux. La démocratie est une affaire de nombre et à ce jeu là nous ne sommes pas prêts à nous débarrasser de Berri and the likes.

Lecure serj

23 h 57, le 10 février 2025

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Commentaires (18)

  • Tout ça pour ça !!! La milice est tjs armée et tjs aussi nombreuse. Rien n'a changé au fond, sur le plan interne. Nous avons besoin d'espoir (c'est compréhensible) mais nous misons tellement sur les législatives de 2026, qui risquent de finir comme celles de 2022. La dépendence au Zaïm est incurable et ceux qui s'en sont affranchis sont si peu nombreux. La démocratie est une affaire de nombre et à ce jeu là nous ne sommes pas prêts à nous débarrasser de Berri and the likes.

    Lecure serj

    23 h 57, le 10 février 2025

  • Un bel édito qui appelle à l'engagement.

    Koïnè

    17 h 42, le 10 février 2025

  • Analyse respectable J’aurais bien souhaité que le cabinet soit plus homogène ( majorité minoritaire ) Toutefois La politique est l’art de possible La chambre est bien divisée J’espère que tout le monde commence leur travail pour que les résultats des prochaines élections municipale et parlementaire soient dignes de nos ambitions C’est une responsabilité populationnelle Principalement les médias et les journalistes vous auriez une mission de faire valoir les personnalités et les hommes dirigeants plolitiques compétents à et non corrompus

    William SEMAAN

    23 h 50, le 09 février 2025

  • On aura toujours de tiraillements communautaristes tant que le socle de la Constitution reste multithéocratique ! Il faut impérativement arriver à réformer progressivement pour moderniser et créer un Etat indépendant des religions, où, par exemple, les libanais qui veulent se marier ou divorcer ne soient pas obligés de le faire à Chypre.

    Fredo

    21 h 18, le 09 février 2025

  • Belle analyse mais je veux profiter de cette occasion pour exhorter et rappeler l’immense responsabilité de la presse: Il faut promouvoir une autre image de la communauté chiite et sunnite ;celle de l’éducation, du succès honnête et professionnel, de sophistication intellectuelle. Je ne veux plus entendre de Berri et de ses voyous, je ne plus entendre de Kassem et de ces mobilettes. Je ne veux plus voir la photo de Berri mais celle de Tamara Elzein!!!!! If faut inspirer leur nouvelle generation de manière positive.

    Vincent Makhlouf / ENHANCED FORM

    20 h 15, le 09 février 2025

  • De plus en plus d'espoir enfin

    NFK

    16 h 53, le 09 février 2025

  • Je ne pense pas que ni le hizb ni Berry peuvent broncher il y Ortagus qui observe et elle n‘est pas tendre ni diplomate comme toute l’équipe Trump … sinon ils pourront se partager un petit lopin de terre en Indonésie avec les Gazaouis ….

    Tawil aelta

    15 h 57, le 09 février 2025

  • J,AURAIS ACCEPTE CE GOUVERNEMENT S,IL Y AVAIT DECLARATION DE DESARMEMENT BIEN AVANT LES LEGISLATIVES POUR NE PAS DIRE DANS MAXIMUM DEUX MOIS. AUTREMENT CE CABINET IRA D,ECHEC EN ECHEC. BERRY ET LES BARBUS Y TROUVANT MILLE EXCUSES, DU BARATIN CERTES, POUR PASSER LES LEGISLATIVES AVEC *VICTOIRE DIVINE* BIEN QUE LES TETES SOUS TERRES ET LES MATIERES SUR TERRE.

    LA LIBRE EXPRESSION. LA PATRIE EST EN DANGER.

    14 h 47, le 09 février 2025

  • Notre président, et pour faciliter la tâche de son nouveau gouvernement qui aura inévitablement la confiance dans quelques jours, devrait s’atteler à désarmer toutes les milices qui gangrènent notre pays afin de mettre fin aux menaces des maîtres chanteurs qui utilisent leurs voyous face à la population désarmée pour imposer leurs lois. Voilà tout le problème. Ainsi Berry ne pourra plus les s’utiliser comme seule force de persuasion pour continuer de régner en maître défiant les nouveaux venus.

    Sissi zayyat

    11 h 54, le 09 février 2025

  • Maintenant que le gouvernement est formé avec l’accord de tous les partis, sa mission de dompter tous ses ministres peut commencer. Il doit donner des consignes fermes afin qu’aucun d’eux ne se permette s’ouvrir des boutiques pour chanter à son aise sans avoir en aval, son autorisation comme dans tous les pays démocratiques qui se respectent. Aucun ministre ne devrait donner son avis personnel sur des sujets sensibles sans autorisation. Le mot d’ordre est la cohésion et l’efficacité et non pas des discours populaires rédigés par ceux qui les ont choisis pour les représenter et faire véhiculer

    Sissi zayyat

    11 h 48, le 09 février 2025

  • Électeurs pour 2026, pour une fois dans votre vie, voter pour le LIBAN, voter pour donner une écrasante majorité a notre chef d'etat, voter contre les armes illégales! Voter contre la culture de la mort c est votre DERNIÈRE chance. Surtout kes electeurs chiites, c est vous qui ferez vraiment pencher la balance et sortirez le Liban des griffes Iraniennes

    Aboumatta

    10 h 52, le 09 février 2025

  • Merci Mr Semrani, tres juste comme toujours, et pour une fois optimiste… Et maintenant preparons-nous pour les elections de 2026 !

    Madi- Skaff josyan

    10 h 39, le 09 février 2025

  • sans la poursuite et la condamnation du millier-ou + - de voleurs qui continuent a vider les caisses depuis 1990, y compris ceux qui se sont tus et avalise les infractions commises sous leurs "yeux" a la BdL et autres administrations publiques - le maalech, aafa aan ma mada-ca va ! oublions le passe! serait aussi commettre un crime autant que faire se peut!

    L’acidulé

    10 h 19, le 09 février 2025

  • 100% d’accord pour reconnaître le savoir-faire du PM et avec le constat que la balle est désormais dans notre camp, nous électeurs au Liban ou expats. J’en profite pour saluer le professionnalisme de toute l’équipe de l’OLJ qui est sur le pont un samedi pour nous rendre compte de l’actu et l’analyser.

    Marionet

    10 h 01, le 09 février 2025

  • Je ne partage pas, malheureusement, l’optimisme de l’auteur. Il remarque fort justement que "Au Liban, le cabinet ressemble davantage à une association de copropriétaires, où chaque parti a un pouvoir de blocage via le ou les ministres qui le représentent, plutôt qu’à un organe exécutif mettant en place la politique voulue par la majorité". Il y avait l’occasion de casser ce système. Salam s’y était engagé en disant et répétant qu’il refusait la logique du partage du gâteau: il a fini par s’y plier, la gravant ainsi dans le marbre.

    Yves Prevost

    08 h 32, le 09 février 2025

  • C’est beau tout ça, je vois mal comment l’Arabie Saoudite va faire confiance au grand frère et chef des milices pour déposer leur argent chez lui. Ce ministère de finances est devenu une propriété privée intouchable. Berry ordonne de signer ou ne pas signer les chèques pour un tel ou un tel des ministres. Si j’étais à la place de ces généraux qu’on croit financer le gouvernement, Nada je donne rien. Faites vos jeux.

    Gebran Eid

    08 h 02, le 09 février 2025

  • Bonne analyse. Mais il faut aussi prendre en compte ce que le taureau Trump veut ! Il l’a dit par la voix de sa déléguée : la terreur du hezb c’est terminé. Les aides à la reconstruction des régions majoritairement chiites seraient conditionnées par la mise à l’écart de la milice iranienne. Sans la reconstruction de leurs villages et maisons, et sans la pression des armes, les malheureux chiites seraient enclins à choisir des députés non partisans. Après être arrivé au sommet, la chute du hezb ne sera que plus grande.

    Goraieb Nada

    06 h 44, le 09 février 2025

  • Ce gouvernement est très capable et le duo Aoun-Salam est impressionnant. Enfin, il y a des chiites non affiliés au tandem. Pour que le Liban change réellement, il faut que les libanais fassent pression sur leurs dirigeants communautaires pour ces derniers s'entendent avec les autres à la place de combattre les autres communautés.

    Joseph ibin Helo

    03 h 38, le 09 février 2025

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