En 2025, aimer n’est plus un acte spontané, mais une performance. Nous naviguons dans un océan de connexions éphémères, où les « situationships » et la normalisation de la tromperie redessinent les contours d’une intimité autrefois sacrée. L’amour, cet idéal intemporel, semble avoir perdu son ancrage dans la profondeur et la sincérité, remplacé par une quête incessante de stimulation émotionnelle et de gratification immédiate.
Le terme « situationship », dans sa modernité faussement innocente, incarne cette mutation déroutante. Il désigne une relation sans étiquette, une zone grise où l’on se veut libre mais où l’on s’enchaîne aux ambiguïtés. Sous le prétexte d’un refus des conventions, ces relations cultivent une irresponsabilité émotionnelle. On y trouve un amour suspendu, sans racines ni ailes, où les gestes d’affection sont dilués dans des promesses non formulées. Cette forme d’attachement délibérément floue glorifie une liberté illusoire, mais elle engendre un mal-être profond : l’absence de sécurité affective, le poids des non-dits et une vulnérabilité souvent exploitée. Elle permet à certains de se soustraire à toute responsabilité tout en bénéficiant des bienfaits d’un lien humain. Pire encore, elle encourage l’idée que le flou est la norme, que l’engagement est dépassé, que l’attachement clair est une faiblesse.
Et que dire de la tromperie, désormais banalisée ? Dans cette époque où les notifications de nos téléphones rythment nos vies, l’infidélité a pris des visages nouveaux. Ce n’est plus seulement un écart, mais une stratégie, un mode de gestion des émotions. Les excuses abondent : l’ennui, le besoin d’expérimenter, la peur de la monotonie. Et pourtant, derrière chaque acte de trahison, se cache une vérité amère : la difficulté de confronter ses désirs dans la transparence, la peur d’être vu tel que l’on est réellement. La normalisation de ces comportements reflète un malaise plus large : la fuite devant la vulnérabilité. Aimer vraiment, dans toute sa plénitude, exige un courage que beaucoup ne veulent plus convoquer. Cela implique de se montrer, de prendre des risques, d’accepter que l’autre puisse nous décevoir, mais aussi nous révéler. Or, dans une culture où la perfection est un objectif et où l’échec est intolérable, l’amour véritable devient une menace.
Ainsi, nous privilégions les ersatz : les relations sans profondeur, les connexions superficielles, les échappatoires déguisées. Nous bâtissons des murs autour de nos émotions et appelons cela des choix. Nous trichons, non seulement avec les autres, mais avec nous-même, et nous célébrons cette mascarade comme une liberté nouvelle.
Mais est-ce réellement cela, aimer ? N’y a-t-il pas, dans cette fuite perpétuelle, une négation de ce que l’amour a toujours représenté : un dépassement de soi, une rencontre authentique avec l’autre, une exploration de ce qui nous lie dans nos fragilités communes ? Critiquer cette manière d’aimer de nos jours, ce n’est pas prôner un retour nostalgique à un amour idéalisé du passé. C’est dénoncer la superficialité déguisée en modernité, la peur maquillée en liberté. C’est poser la question essentielle : pourquoi avons-nous cessé de croire en un amour qui exige mais qui, en retour, élève ?
Loin d’être dépassé, l’engagement demeure un acte profondément révolutionnaire. Dans un monde qui valorise l’éphémère, choisir de rester, de construire, d’affronter est une rébellion contre la tendance à l’érosion des liens. Et pourtant, cette rébellion demande une force rare : celle de s’abandonner sans se perdre, de construire sans posséder, d’aimer sans condition, mais avec clarté.
Alors peut-être est-il temps de repenser la manière dont nous aimons. Non pas en condamnant la liberté, mais en refusant l’irresponsabilité qu’elle camoufle souvent. Non pas en rejetant la modernité, mais en exigeant qu’elle s’accorde avec la profondeur. Car aimer, véritablement aimer, c’est oser plonger au-delà des apparences, dans un lieu où l’on n’a pas besoin de mentir pour être aimé.
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