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De face et de dos

Charles de Gaulle se plaignait jadis de la difficulté de gouverner un pays comme la France, où il existe 258 variétés de fromages. Mais que dire alors de notre phénoménal Liban où il faut veiller à représenter au pouvoir tout un chapelet de communautés religieuses ? Et puisqu’il est question de laitages, faut-il de surcroît citer le fromagisme effréné dont fait preuve un establishment politique local maladivement friand de ces ministères que l’on qualifie de juteux car regorgeant d’opportunités de profit, tant matériel qu’électoral ?

Or, et comme si sa tâche n’était pas encore assez compliquée comme cela, c’est de l’impatience d’une notable part de l’opinion publique que doit maintenant se soucier aussi le Premier ministre désigné. Non moins pathologique en quelque sorte, paradoxalement intelligible pourtant, est cette anxieuse fébrilité, frisant parfois l’exaspération, qui au fil de la gestation du nouveau cabinet est venue habiter nombre de citoyens. C’est vrai que des décennies durant, notre peuple a vécu dans une inimaginable anormalité, laquelle gangrenait aussi bien les institutions que les services publics. L’élection du président Joseph Aoun et la désignation au Sérail du juge Nawaf Salam ont soudain ouvert les vannes des aspirations les plus légitimes, mais souvent aussi des souhaits les plus débridés. On a attendu de ce duo qu’il brûle résolument les étapes, qu’il ait recours au fait accompli, qu’il offre de suite au pays un gouvernement d’experts apolitiques et qu’il mette au défi le Parlement de refuser sa confiance à une telle équipe. Particulièrement indigestes, au goût de ces mécontents, auront été les concessions qui auraient été faites à un Hezbollah insupportablement arrogant dans sa déroute ainsi qu’à son allié, le mouvement Amal convoitant jalousement le ministère-clé des Finances. Du coup, les autres partis exigeaient le même traitement de faveur ; comble d’outrance furieusement anticonstitutionnelle, on aura vu le CPL aller hier jusqu’à dénier pratiquement à Salam toute capacité à nommer lui-même des ministres chrétiens…

Mais ces réactions épidermiques ne pèchent-elles pas trop souvent par injustice ? Rarissimes dans les annales libanaises sont ainsi les gouvernements formés au pied levé, au presse-bouton. Mandaté le 13 janvier, Nawaf Salam n’affiche après tout que trois semaines au compteur des concertations, et c’est bien peu au regard des extravagantes normes en vigueur dans notre pays. L’ancien diplomate et magistrat sait fort bien en outre qu’en attendant les élections législatives de l’an prochain, l’actuel Parlement demeure en flagrant porte-à-faux avec le sentiment populaire. Salam est en outre parfaitement conscient des risques sécuritaires qu’entraînerait la mise au ban d’une milice que ses récents déboires sur le champ de bataille rendent plus dangereuse encore, au plan interne. Mais en revanche, il reste déterminé à ôter au tandem chiite l’exclusivité de la représentation chiite en se réservant de nommer lui-même l’un des cinq ministres dévolus à cette communauté dans un gouvernement de 24 membres. Ainsi se trouverait désamorcé d’office l’argument d’illégitimité de l’organe exécutif invoqué dans le passé, et aussi cette hérésie de tiers de blocage qui a condamné tant de gouvernements à la paralysie.

En tout état de cause, et qu’il s’agisse du monopole des armes revenant de droit à l’État ou des urgentes réformes politiques et socio-économiques, c’est le programme du futur gouvernement qui devrait faire loi, faisant ainsi écho au discours d’investiture du président de la République. L’harmonie des vues entre Aoun et Salam n’en devient que plus vitale, au seuil du marathon vers le renouveau. Surtout si les émissaires qataris, américains et saoudiens qui commencent à défiler à Beyrouth ne parviennent pas à résoudre la quadrature du cercle.

Surtout si pour neutraliser les uns et les autres, il va bel et bien s’avérer nécessaire, à la fin, de renvoyer tout le monde dos à dos.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Charles de Gaulle se plaignait jadis de la difficulté de gouverner un pays comme la France, où il existe 258 variétés de fromages. Mais que dire alors de notre phénoménal Liban où il faut veiller à représenter au pouvoir tout un chapelet de communautés religieuses ? Et puisqu’il est question de laitages, faut-il de surcroît citer le fromagisme effréné dont fait preuve un...