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Nos Lecteurs ont la Parole

Du travail au sens... le rôle de la santé mentale

Dans un monde en perpétuel mouvement, la santé mentale au travail porte une importance capitale pour garantir un environnement professionnel à la fois sain et productif. Face aux nombreux défis économiques, sociaux et politiques auxquels le Liban est confronté, il devient impératif de promouvoir des pratiques qui soutiennent le bien-être psychologique des employés. Dans cette optique, chaque institution est invitée à bâtir quatre piliers fondamentaux pour atteindre cet objectif. Le premier pilier réside dans la reconnaissance de l’importance de la santé mentale et des difficultés qui peuvent en découler, telles que le stress ou l’épuisement professionnel. Cette prise de conscience ouvre la voie à une meilleure compréhension des besoins des équipes, permettant aux employeurs et aux gestionnaires d’instaurer un climat d’empathie et de soutien. Le deuxième pilier repose sur la mise en œuvre de mesures de prévention proactives, destinées à minimiser les risques liés à l’instabilité politique et aux conséquences des crises récentes. Cela englobe l’établissement de charges de travail équilibrées, l’élaboration de programmes de gestion du stress et l’adoption de politiques innovantes qui favorisent l’épanouissement des employés, bien au-delà de leur simple survie. Le troisième pilier favorise une attitude de soutien inconditionnel. Les employés doivent pouvoir demander de l’aide sans craindre d’être stigmatisés. Ce soutien peut se matérialiser par des groupes d’entraide, des espaces de dialogue ouvert sur la santé mentale ou encore des systèmes internes permettant d’orienter les collaborateurs vers des services adaptés. Une telle approche encourage un environnement de travail plus sain et davantage collaboratif. Enfin, le quatrième pilier repose sur la culture de l’entreprise elle-même, qui constitue le socle sur lequel s’édifient tous les autres. Une culture valorisant la communication ouverte et le bien-être collectif peut véritablement transformer les mentalités face à la santé mentale. Les dirigeants jouent ici un rôle décisif en créant des espaces sécurisés où chacun peut demander de l’aide ou exprimer ses difficultés sans crainte de jugement.

Le 18 janvier 2025 a marqué une concrétisation des efforts déployés depuis longtemps pour améliorer la santé mentale au travail. En cette date, l’Hôtel-Dieu de France a annoncé la création d’un comité dédié à la santé mentale et au bien-être psychologique de ses employés et professionnels de santé. Cette initiative dépasse la simple mise en place d’un comité, nommé Comité d’amélioration de la santé psychique au travail (Campsyt). Elle constitue une avancée majeure dans la reconnaissance des droits des professionnels de santé à un bien-être psychologique. En créant le Campsyt, la direction de l’hôpital adopte une position claire et audacieuse : elle reconnaît le droit de chacun à exprimer sa souffrance, à partager ses difficultés, qu’elles soient personnelles ou professionnelles. Elle valide également le droit de s’absenter lorsque les responsabilités professionnelles deviennent insurmontables sur le plan psychologique, ainsi que celui de se rétablir après une période d’épuisement, d’inquiétude ou de remise en question du sens même du travail. Cette initiative affirme par ailleurs le droit à la reconnaissance et à la juste récompense des efforts de chacun. Si ces principes étaient déjà présents en pratique, ils n’avaient jamais été énoncés aussi ouvertement. Cette déclaration vise à rendre une réalité jusqu’alors implicite, explicite et tangible, en lui donnant vie à travers un comité doté d’un nom, d’une identité, d’une adresse et de membres dévoués. Ainsi, le Campsyt ne se limite pas à une simple structure administrative ; il incarne une promesse qui dépasse, presque instinctivement, les murs de l’hôpital…

À cette occasion porteuse d’une lueur d’espoir dans un environnement assombri par le manque de respect des droits à souffrir de difficultés mentales au Liban, je saisis cette opportunité pour m’adresser à vous : employés, professionnels, stagiaires, étudiants, travailleurs manuels, et bien d’autres. À vous qui luttez en silence contre des difficultés psychiques, sachez que vous avez le droit d’être reconnus dans votre intégralité, avec vos forces et vos fragilités. Bien que de grandes institutions au Liban œuvrent aujourd’hui à transformer l’environnement de travail en un véritable lieu de vie, un espace où la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle s’efface, le chemin reste long. Ce chemin exige une prise de conscience, de la persévérance et une solidarité absolue. À vous qui pensez que vos préoccupations ne sont pas entendues par manque de préparation ou de disponibilité à les écouter, sachez que l’écoute dépend de la capacité à proposer des solutions. Ces solutions, à leur tour, reposent sur la volonté de changer, et cette volonté de changer ne peut naître que dans un contexte de certitude et de stabilité. La lenteur du changement concernant vos droits n’est donc pas liée à une négligence de votre santé mentale ni à un refus de sa reconnaissance par les institutions. Elle est plutôt le reflet de l’instabilité persistante du Liban, où chaque avancée se heurte aux défis existentiels que traverse le pays. À vous qui, exaspérés, percevez le travail au Liban comme un fardeau immuable, sachez que les hommes et les femmes à la tête de vos entreprises et institutions ne manquent ni de vision ni de volonté pour se lancer vers le changement. Même dans les pays les plus développés, aborder la question de la santé mentale au travail est toujours complexe. Cela exige organisation, anticipation et préparation au changement et se heurte également à des difficultés comme l’absence de marqueurs biologiques fiables pour objectiver les troubles mentaux. Ces derniers nécessitent encore, à ce jour, l’avis d’un expert, inévitablement teinté d’une part de subjectivité, même chez les plus expérimentés. À vous qui croyez que souffrir de dépression, d’anxiété ou d’addiction signifie être incapable de travailler ou risquer de perdre votre emploi, sachez que des institutions au Liban commencent à briser ce mur du silence. À vous qui envisagez de quitter le pays en quête de droits humains et de dignité ailleurs, sachez qu’au Liban, certaines grandes institutions démontrent aujourd’hui qu’il est possible de concilier amélioration de l’offre de soins et respect de la santé mentale des soignants, sans stigmatisation. À vous qui projetez vos frustrations sur les autres, qui vous plaignez du « système », de la « mentalité » ou des « discriminations » dans notre pays, sachez qu’il vous appartient de devenir des partenaires du changement. Agissez librement, pour ou contre cette mentalité, et franchissez activement les barrières imposées par les discriminations.

Si je cherche à mettre en lumière la création d’un comité dédié à la santé mentale dans un hôpital, ce n’est ni par ignorance de la nature même de l’exagération ni par quête de gratification personnelle bien que cela m’assouvisse dans le désert des droits de l’homme où cette région du monde peine à progresser. Si j’amplifie intentionnellement cet événement, c’est pour attirer l’attention de tous : directeurs, chefs d’entreprise, hommes politiques, législateurs, syndicalistes, sur la cause qui le sous-tend. Le droit d’avoir un environnement de travail respectueux de la santé mentale des employés, des professionnels et des travailleurs ne doit plus être évoqué à demi-mot. Aujourd’hui, un Campsyt voit le jour. Demain, nous sommes tous appelés à rejoindre le « camp » et le « site » de la lutte contre la privation des personnes vulnérables sur le plan psychique de leur droit de travailler et de progresser dans leur lieu de travail. Aux responsables de ce sujet délicat et d’actualité, sachez que l’ambiance au travail a été le thème adopté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lors de la dernière Journée mondiale de la santé mentale en octobre dernier témoignant qu’il s’agit d’un besoin universel. Sachez également que le mouvement en faveur de la santé mentale au travail se construit, se prépare et s’élargit. Un jour viendra où choisir de rester en dehors des camps et des sites de progrès à ce niveau équivaudra à se retrouver seul dans un autre camp, et sur un autre site : ceux du rejet, de l’isolement et de la décadence.

Rami BOU KHALIL, MD, PhD

Chef du service de psychiatrie à l’Hôtel-Dieu de France

Professeur associé à la faculté de médecine de l’Université Saint-Joseph

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Dans un monde en perpétuel mouvement, la santé mentale au travail porte une importance capitale pour garantir un environnement professionnel à la fois sain et productif. Face aux nombreux défis économiques, sociaux et politiques auxquels le Liban est confronté, il devient impératif de promouvoir des pratiques qui soutiennent le bien-être psychologique des employés. Dans cette optique,...
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