
Le retour de Rani Zakhem, tout en élégance. Photos DR/Montage L'OLJ
Depuis 2018, année de son dernier défilé, Rani Zakhem semblait s’être éclipsé des saisons de la haute couture dont il était pourtant un acteur remarqué. Seuls neuf ans avaient passé entre la fondation de son label éponyme en 2009 et ce silence. La signature du créateur libanais se distinguait par l’émotion avec laquelle il restituait dans ses robes les couleurs de son Kenya natal. De Nairobi où il a vécu jusqu’à l’âge de dix ans, à Mombasa sur l’océan Indien, à Serengeti où il passait ses vacances, ses yeux gardaient – gardent encore – les vives nuances de la lumière et de la flore, captées dans ses collections comme on recrée un paradis perdu. Sa passion de la mode lui venait de sa mère dont l’élégance et le style inspirés des grands magazines étaient accordés à cette nature généreuse. Ses créations, d’une collection à l’autre, illustraient son obsession du glamour, le vrai, celui de Hollywood en son âge d’or, mais aussi celui de New York et de ses fêtes éclectiques, lui qui a fait ses études à Parsons, the New School for Design, après un diplôme en économie de l’AUB et un autre en architecture d’intérieur de la LAU en 2005.
Une robe pour Nehmat Aoun
Vinrent la thaoura, en octobre 2019, et puis toutes les souffrances partagées avec ses compatriotes libanais, de la crise économique à la double explosion au port de Beyrouth, à la pandémie de Covid, à ce brouillard épais qui se pose sur l’âme et prive de sens toute velléité d’entreprendre et de créer. Refusant d’abandonner, il se résout alors à réduire sa voilure. Mettant en veilleuse, à contrecœur, le frisson des saisons couture et des défilés, il se consacre à des commandes privées. L’une des clientes les plus chères à son cœur est Nehmat Aoun, l’épouse du président de la République. Celle qu’il appelle affectueusement « Nanou » est une amie de longue date. « Je la connaissais depuis mes années d’études à la LAU où elle était responsable du protocole. Notre relation remonte à près de vingt-quatre ans. C’est une femme remarquable, intelligente, très sympathique, pleine d’humour. À l’été 2018 ou 2019, elle m’appelle pour me dire qu’elle a besoin d’une robe pour le mariage de son fils, quelque chose de simple mais avec “ma touche spéciale”. C’était la première robe que je créais pour elle. Elle ne manque jamais de m’encourager et de me féliciter quand il y a lieu. Je l’aime beaucoup », nous confie-t-il.
La dernière guerre israélienne voit une activité insolite se développer dans les ateliers de cet artiste délicat : tous ses collaborateurs sont sur le pont pour tailler et coudre des centaines de survêtements et de couvertures pour les populations déplacées du Sud et de la Békaa. Mission accomplie pour ce grand travailleur qui voit à présent le moment venu de reprendre le chemin des podiums et des tapis rouges.
Une collection exclusive dédiée au mois de ramadan 2025. Photo DR
En janvier 2025, six ans après son retrait des podiums, la directrice de la société événementielle koweïtienne FashioNet, Shamayel al-Qaoud, et la consultante en mode Roula Hasbani sollicitent sa collaboration pour un événement polyartistique d’exception, « Aura of Senses », organisé à Koweït City. Il se lance alors dans la création d’une collection sous les vocables du style, du glamour, de la culture, de la mode et des arts. Il en résulte une ligne réalisée dans la haute tradition des collaborations et de la circulation des inspirations entre la mode et les arts décoratifs ou l’art tout court. Fasciné par les créations d’un Alberto Pinto ou d’un Mario Buatta, il se plonge dans leurs univers de porcelaine, de chintz et de brocarts, d’opulence baroque et rococo et de couleurs joyeuses. Il y ajoute sa culture orientale, ses treillages et ses arabesques, verse avec sa gourmandise habituelle les couleurs en aplats « qui vont si bien au teint des femmes arabes », abonde avec le kheit sarma, broderie régionale au fil d’or ou d’argent, dessine les motifs des broderies françaises à la manière de Lesage, enrichies de paillettes et de cristaux Swarovski et, à l’arrivée, livre un somptueux vestiaire de caftans et de robes de soirée. Cette collection exclusive dédiée au mois de ramadan 2025, qui commence le 28 février, pousse le couturier à réimaginer la signification du vêtement modeste ou ample. La fluidité propice aux efforts consentis par les fidèles durant le mois sacré s’accompagne d’un raffinement qui transporte. Célébrer en Rani Zakhem, c’est célébrer deux fois.