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Une leçon de Gaza

Il est des ruées vers un or infiniment plus précieux que ce mythique métal jaune qui depuis l’Antiquité n’a cessé de fasciner le genre humain. De telles marées, c’est l’appel du sol natal qui en est l’irrésistible aimant ; en l’espace de quelques heures seulement, notre région vient d’en connaître deux pathétiques illustrations.

Au mépris de la chronologie des événements, place tout d’abord à Gaza puisque c’est là que tout commençait, un certain 7 octobre 2023. Vision dantesque, en effet, que celle de cette compacte et interminable colonne d’hommes, de femmes et d’enfants cheminant lundi vers le nord, le long d’un rivage de sable et portant ou traînant leur misérable baluchon ; gommant, l’espace d’une exaltante longue marche, leur immense détresse ; jubilant à la seule perspective de regagner enfin leur chez-soi, lequel n’est plus pourtant qu’un amas de décombres. Leur poignant enthousiasme répondait fort à propos, avec autant de dignité que d’éloquence, à l’odieux délire de Donald Trump qui n’en finit pas d’appeler à nettoyer ce territoire à problèmes : à reloger ses habitants en Égypte ou en Jordanie, ce qui, pour ce fantasque magnat de l’immobilier, réglerait la question. Rien que pour cette cinglante fin de non-recevoir opposée à l’homme le plus puissant de la terre, on passera volontiers aux survivants du massacre de Gaza toutes ces folkloriques démonstrations de victoire qui, par pur et irrationnel déni, ne manquent pas, sous nos latitudes, de narguer les plus cuisantes mêmes des déroutes.

La veille même, c’est le retour des Libanais du Sud à leurs foyers tout aussi dévastés qui était censé ouvrir les réjouissances. L’entreprise avait tout d’ailleurs pour être couronnée de succès. Car face à un occupant israélien à la gâchette criminellement facile et soucieuse de la sécurité des citoyens, l’armée régulière avait installé des barrages à l’entrée des localités non encore complètement évacuées. Or inciter la foule à forcer quand même ces cordons, comme l’ont fait les activistes du Hezbollah et du mouvement Amal, c’était la mener, sciemment, à l’abattoir, à des fins de stricte propagande politique. À l’évidence, ce n’est pas Israël que risquait d’impressionner ce futile mais sanglant simulacre de reconquista : ce sont leurs acquis internes, accumulés au moyen du chantage aux armes, c’est leur mainmise sur la communauté chiite traitée comme consentante chair à canon, que cherchent plutôt à reconstituer, à préserver coûte que coûte, ces deux milices. Pour qui ne l’aurait pas encore compris, de grossières provocations ont été prévues sous la forme de virées nocturnes de militants à mobylettes dans les quartiers chatouilleux de Beyrouth ou de Saïda.

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Faudrait-il donc prendre exemple sur les infortunés mais décents Gazaouis ? Indigne de la gravité du moment est en effet la transparente manœuvre ; elle est surtout chargée de périls. L’État libanais a déjà fort à faire avec un ennemi qui traîne la patte pour évacuer le terrain conquis, et qui vient de s’offrir une rallonge de trois semaines pour appliquer les clauses de l’accord de trêve ; et c’est maintenant de l’autre bout du spectre que le Hezbollah met la pression sur l’État quand, avec le plus énorme culot, il se pose en libérateur prédestiné de la même région frontalière dont il a causé la ruine. C’est de la plus explicite des manières que la milice conteste l’autorité sans partage de la force légale et réfute le programme résolument souverainiste du président Joseph Aoun qui s’est gagné le soutien enthousiaste de l’écrasante majorité du peuple. C’est avec le même mépris de l’opinion publique qu’avec l’aide de ses alliés, le Hezbollah s’emploie à retarder, en la compliquant, la tâche du Premier ministre désigné, le réformateur Nawaf Salam. Ce n’est pas par hasard d’ailleurs que l’attribution du portefeuille des Finances, réclamée comme un dû par le tandem chiite, retarde la formation d’un nouveau gouvernement. Passage obligé, incontournable, de toute dépense publique, ce département est aussi le placard à cadavres où reposent consignés, aisément retraçables, tous les détournements, malversations et autres pillages commis ces dernières décennies, et qui ont conduit à l’effondrement économique et financier du pays.

La bourse ou la vie, on aura tout vu ! Il a sacrément raison le chef officiel du Hezbollah quand, énumérant les prétendues défaites essuyées par Israël, il cite l’échec de celui-ci à installer la discorde entre communautés religieuses libanaises. Dans sa dernière apparition pré-enrégistrée, le cheikh Naïm Kassem a certes eu le bon goût d’invoquer à ce sujet le formidable élan de solidarité avec les populations déplacées qui s’est spontanément manifesté dans les diverses régions du pays. Mais minute, pourquoi l’ennemi se donnerait-il toute cette peine quand on s’y emploie avec autant de zèle du dedans ?

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Il est des ruées vers un or infiniment plus précieux que ce mythique métal jaune qui depuis l’Antiquité n’a cessé de fasciner le genre humain. De telles marées, c’est l’appel du sol natal qui en est l’irrésistible aimant ; en l’espace de quelques heures seulement, notre région vient d’en connaître deux pathétiques illustrations.Au mépris de la chronologie des événements, place tout d’abord à Gaza puisque c’est là que tout commençait, un certain 7 octobre 2023. Vision dantesque, en effet, que celle de cette compacte et interminable colonne d’hommes, de femmes et d’enfants cheminant lundi vers le nord, le long d’un rivage de sable et portant ou traînant leur misérable baluchon ; gommant, l’espace d’une exaltante longue marche, leur immense détresse ; jubilant à la seule perspective de...