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Nos Lecteurs ont la Parole

Le Liban en sursis : l’inéluctable réveil de la maturité politique


« La valeur d’un État, à long terme, est la valeur des individus qui le composent » (John Stuart Mill).

La reconfiguration spectaculaire des rapports de force géopolitiques au Moyen-Orient, amorcée le 7 octobre 2023, se caractérise par la fragilisation progressive de l’axe de résistance guidé par l’Iran. Cette dynamique s’est manifestée notamment à travers la guerre d’Israël contre le Hezbollah, la chute du régime d’Assad en Syrie, ainsi que l’élection du général Joseph Aoun à la présidence de la République libanaise. Elle semble structurer l’arène politique locale autour de deux camps principaux : d’un côté, les partisans du nouveau pouvoir et, de l’autre, le tandem chiite, sans oublier, bien sûr, les acteurs qui adoptent une position ambiguë ou intermédiaire, se positionnant en fonction de leurs intérêts.

Toutefois, l’évolution des deux regroupements principaux demeure incertaine : évolueront-ils vers une polarisation marquée en deux blocs distincts ? Ou bien aboutiront-ils à une structure plus nuancée ? Les facteurs intérieurs et extérieurs, intimement imbriqués dans la configuration de l’avenir politique du pays, joueront un rôle déterminant dans l’orientation de cette situation, qu’elle s’améliore ou qu’elle se détériore.

Devant ce paysage complexe, la question de la maturité politique des dirigeants libanais s’impose avec force. En effet, bien que cette situation soit nouvelle en termes de rapports de force, elle ne l’est pas en ce qui concerne les dynamiques de la politique interne, lesquelles continuent d’entretenir des facteurs susceptibles de plonger le pays dans l’engrenage des crises politiques et existentielles.

La maturité des politiciens se définit aujourd’hui dans les pays démocratiques comme l’aptitude de ces politiciens à prendre, au moment opportun, des décisions politiques capables, en fonction des circonstances et du cadre institutionnel, de produire des résultats optimaux pour le bien commun, dans les limites fixées par la Constitution, les principes démocratiques et ceux de l’humanisme moderne, qui en permettent d’évaluer la pertinence. Précisons que les principes démocratiques et humanistes modernes s’entrelacent étroitement dans leur vision commune d’une société idéale. L’humanisme contemporain, tout comme la démocratie, place la personne humaine au cœur de ses préoccupations. Cette philosophie défend des principes fondamentalement démocratiques : l’égalité intrinsèque entre les individus, leur liberté inaliénable et leur dignité inhérente.

Les articles « B » et « C » du préambule de la Constitution libanaise illustrent un engagement clair envers des principes démocratiques et humanistes, en insistant sur le respect des droits fondamentaux et l’égalité des citoyens. Le Liban, en tant que membre fondateur de la Ligue des États arabes et des Nations unies, s’engage à respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme, intégrant ainsi ces principes universels dans tous les aspects de la vie publique. Le système démocratique parlementaire du pays, fondé sur la liberté d’opinion et de conscience, soutient un pluralisme essentiel pour garantir la diversité des idées et des croyances. La Constitution affirme également l’égalité des citoyens dans les droits et obligations, sans distinction, reflétant un idéal de justice sociale et de non-discrimination. La Constitution affiche donc l’attachement du pays à une société démocratique, juste et respectueuse des droits de l’homme, tout en favorisant la solidarité et la coopération mondiales.

Pourquoi nos dirigeants n’ont-ils pas alors opté pour une approche de maturité politique ? L’article « J » dudit préambule en fournit une réponse nette : « Aucune légitimité n’est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredise le pacte de vie commune. » Ce pacte, tel qu’il est généralement compris, fait référence à la coexistence des différentes confessions. Laissons de côté les débats interminables sur l’interprétation de ce pacte, qui donne lieu à des discussions sur un système islamo-chrétien dual ou une troïka (maronite-sunnite-chiite), et sur la légitimité de chaque décision politique en fonction de ce pacte, pour nous concentrer sur l’essentiel : la maturité politique.

Le système politique libanais, fondé sur le pacte national, s’oppose aux principes démocratiques et humanistes en maintenant une structure néo-féodale. Cette organisation crée une tension manifeste entre les aspirations démocratiques, d’une part, et l’exercice d’un pouvoir dominé par des intérêts confessionnels et personnels, d’autre part. Cette configuration engendre un risque constant de blocage ou de dysfonctionnement institutionnel. Plus problématique encore, ce système se perpétue, car il tire sa légitimité de ce qui est considéré comme le fondement même du Liban : le pacte national. C’est ainsi que s’auto-entretient le cercle vicieux de la politique libanaise, en accroissant la dépendance du pays envers des acteurs externes, tant que les dirigeants confessionnels, soucieux de renforcer leur position dans le jeu politique intérieur, cherchent fréquemment des alliés à l’extérieur. Malheureusement, cette politique ne se limite pas aux aspects politiques ou économiques nécessaires aux renforcements des positions des dirigeants, mais s’étend également au domaine idéologique, où des courants de pensée importés façonnent les perceptions et orientations sociales des différentes confessions. Ces influences externes, à la fois politiques et idéologiques, contribuent à accentuer les divisions internes, compliquant davantage la possibilité d’un exercice souverain et cohérent de la prise de décision nationale.

Cette structure révèle ultimement l’absence d’un « nous » transcendant, d’un projet national capable de dépasser les particularismes – non pas pour les nier, mais pour les sublimer dans une vision plus large du bien commun. En fait, les dirigeants, en défendant avant tout les intérêts de leurs confessions respectives, ne parviennent pas à élaborer une vision nationale fédératrice. Ce manque de projet commun empêche les Libanais de se projeter dans une souveraineté collective, car les décisions sont prises dans un cadre de rivalités plutôt que dans une perspective nationale, et de créer un sentiment national uni exprimant l’appartenance et l’allégeance à l’État.

Briser la structure néo-féodale et confessionnelle ouvre la voie à la maturité politique, et l’annonce que le pacte national est de nature éphémère et non pérenne – car il ne permet pas la transition vers l’État auquel aspirent les Libanais – pourrait être le déclencheur de cette opération salvatrice.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

« La valeur d’un État, à long terme, est la valeur des individus qui le composent » (John Stuart Mill).La reconfiguration spectaculaire des rapports de force géopolitiques au Moyen-Orient, amorcée le 7 octobre 2023, se caractérise par la fragilisation progressive de l’axe de résistance guidé par l’Iran. Cette dynamique s’est manifestée notamment à travers la guerre...
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