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Idées - Commentaire

Le choix de la neutralité, une révolution en politique étrangère ?


Le choix de la neutralité, une révolution en politique étrangère ?

Le ministre jordanien des Affaires étrangères, Ayman Safadi, remettant au président Joseph Aoun une invitation du roi Abdallah en Jordanie, lors d’une visite jeudi 16 janvier 2025, à Baabda. Photo d’illustration ANI

Deux mots dans le discours d’investiture du président Joseph Aoun peuvent révolutionner la politique étrangère libanaise. Le chef de l’État, sur lequel se porte l’espoir du renouveau, a parlé de « pratiquer une neutralité positive », en appelant à « cesser de parier sur l’étranger ». Les implications d’une telle promesse sont énormes : le Liban devrait cesser d’être un « État tampon » (Georges Corm), un État satellite ou un État arène (« sâhat », Antoine Messarra), subissant les « guerres des autres » (Ghassan Tuéni) et leurs paix négociées en vertu de leurs intérêts exclusifs.

La politique extérieure est en effet le domaine où s’exerce la souveraineté par excellence. Elle est le reflet de la géographie et de l’histoire d’un pays, de son identité culturelle : qui sommes-nous, que voulons-nous préserver, développer, promouvoir ? Le Liban n’a pas d’ennemis déclarés et ne s’est jamais ingéré dans les affaires d’autres États. Son indépendance passe par une politique étrangère ayant pour unique boussole l’intérêt national. Ce qui veut dire la découpler de celle de tout autre pays, aussi amical et fraternel fût-il, tout en en développant des relations basées sur l’égalité, la réciprocité et le respect de la souveraineté.

Le pacte national, destiné à préserver l’indépendance du pays, a déterminé le diptyque de sa politique étrangère : ni Orient ni Occident. Pourtant, il n’y a pas un État, d’Orient et d’Occident, qui ne se soit mêlé de la vie intérieure du Liban, de ses élections, de la conduite de sa politique. L’objectif du pacte était de maintenir le pays à l’écart des conflits régionaux, or le Liban a été entraîné malgré lui dans la politique des axes – de la défense en solitaire de la cause palestiniennen pour laquelle il a payé un lourd tribut, à « l’unité des deux processus et des deux destins (massâr w massîr) libanais et syrien », jusqu’à l’alignement récent sur l’axe iranien. « Deux négations ne font pas une nation » (Georges Naccache), elles n’ont pas fait non plus une politique étrangère propre à refléter le vrai visage du Liban.

Une diplomatie à la remorque

Alors que le pays du Cèdre pourrait jouer un rôle de médiateur dans les conflits et lancer des initiatives de paix, il s’est retrouvé instrumentalisé par les autres, devenant le terrain de leurs bras de fer. Le temps d’un Charles Malek participant activement aux côtés d’Eleanor Roosevelt à l’élaboration de la Déclaration universelle des droits de l’homme aux Nations unies s’est dissipé dans un passé lointain. Petit à petit, la diplomatie des salons et des cocktails a remplacé la grande diplomatie. Depuis la guerre, la diplomatie libanaise s’est concentrée sur le vote et l’application des résolutions de l’ONU pour l’intégrité territoriale face à l’occupation israélienne au Liban-Sud (la résolution 425, sous Ghassan Tuéni et Fouad Boutros), puis les résolutions 1559 (en 2004) et 1701 (en 2006), qui appellent au respect de la souveraineté libanaise et au retrait des troupes étrangères, syriennes en particulier… Entre-temps, la « libanisation » est devenue synonyme d’effritement étatique et de divisions dans les sociétés pluricommunautaires.

Dans le Liban post-Taëf, une diplomatie de la troïka a vu le jour, comme une hydre à plusieurs têtes, qui a dénaturé le régime parlementaire et instauré le règne du partage d’influences. La politique étrangère du Liban s’est retrouvée à la remorque de la Syrie, jusqu’à la chute du régime Assad.

En 2001 déjà, Ghassan Tuéni parlait d’une « politique étrangère otage », notamment depuis le lancement du processus de paix à Madrid. Parallèlement, l’expansion du Hezbollah a reflété le rôle accru de l’Iran sur la scène régionale depuis le retrait d’Israël du Liban-Sud en juin 2000 et les interventions américaines en Afghanistan et en Irak des années suivantes. Depuis l’effondrement de la livre libanaise en 2019 puis l’explosion au port en 2020, et même depuis les conférences CEDRE de 2018, une « politique de la mendicité », comme la dénomment ses détracteurs, s’est mise en place, orientée vers la levée de fonds pour reconstruire l’infrastructure du pays (EDL en tête), obsolète malgré les milliards engloutis. La France n’a pas ménagé ses efforts pour organiser des conférences internationales de soutien au Liban. Les États-Unis non plus, dans leur appui direct à son armée, garante de la stabilité du pays.

Un nouveau cap à l’horizon

Deux livres, Sous l’œil de la diplomatie française (Geuthner, 2017) de l’historien Stéphane Malsagne et American Diplomacy toward Lebanon I.B. Tauris, 2024) de l’ancien ambassadeur au Liban David Hale, racontent comment les Libanais sollicitent l’intervention des gouvernements étrangers et les entraînent dans leurs différends. Cette propension à rechercher les solutions au-dehors est la marque d’un bateau sans gouvernail. Va-t-on enfin avoir un cap à l’horizon ? La politique étrangère d’un pays consiste bien souvent à trouver des débouchés pour sa production, protéger son industrie, négocier des accords commerciaux, développer la coopération régionale et des alliances stratégiques, tenir son rang à l’ONU (et dans la Ligue arabe) – deux instances dont le Liban est membre fondateur.

Notre pays ne fabrique pas d’avions de chasse ni de puces d’ordinateur, il n’a pas d’industrie lourde ni de ressources énergétiques, très peu de soutien à l’export de ses (excellents) produits agricoles. Alors une politique étrangère pour défendre quoi ? Quels sont les intérêts vitaux du Liban ? La liberté ? Le pluralisme communautaire, érigé en « modèle » de coexistence ? Alors l’orientation stratégique de l’État devrait chercher à protéger la cohésion interne de son tissu social, à la fois sa richesse principale et son maillon faible qui le rend perméable aux ingérences et manipulations étrangères. Quelle politique serait susceptible de mettre à l’abri la stabilité du pays, le sortir de la logique des axes et préserver son unité nationale péniblement acquise ? La neutralité à l’évidence. Elle est une aspiration implicite dans le pacte national et elle est reconnue, toujours implicitement, par la Ligue arabe, qui considère le Liban comme un « État de soutien et non de confrontation », et comme agent de solidarité interarabe et non de dissension et de conflits (Antoine Messarra).

La neutralité est synonyme d’indépendance. Elle ne consiste pas à abdiquer les attributs d’un État fort, et en premier lieu une armée digne de ce nom – la troupe suisse est l’une des mieux entraînées du monde. La neutralité favorise au contraire le plein exercice des attributs régaliens de l’État : le monopole de la force organisée, la politique étrangère, la politique fiscale et monétaire, et la gestion des politiques publiques. Le concept de la neutralité étatique se base sur les conventions V et XIII de La Haye, du 18 octobre 1907, qui définissent les droits et les obligations des États belligérants et neutres. Les premiers doivent respecter l’inviolabilité du territoire d’un État neutre et les seconds doivent interdire l’utilisation de leur territoire pour servir les objectifs militaires des belligérants, ce qui inclut des combattants étrangers. L’autre avantage de la neutralité, c’est qu’elle serait un substitut à tout projet partitionniste – comme pour l’Autriche en 1955, après dix ans d’occupation du territoire par les troupes alliées. La neutralité active permet de surmonter les divisions internes et consolide le sentiment d’appartenance à une nation dans le respect du pluralisme. Elle est la face positive du consensus.

La politique étrangère du Liban, sous la bannière de la neutralité active, s’exercerait dans la promotion de la paix, la médiation, la défense du droit, l’accueil de conférences et d’organisations internationales ; elle permettrait de contribuer à la résolution pacifique des conflits, au dialogue des cultures et des religions. C’est là une vocation naturelle du Liban.

Elle donnerait la part belle enfin à la diplomatie culturelle, l’outil principal du soft power, une émulation civilisée entre les pays. La diplomatie libanaise, longtemps alourdie, voire handicapée par les tiraillements internes, pourrait enfin trouver son véritable essor dans cet aspect fondamental du « Liban-message ».

Par Carole H. DAGHER

Essayiste et romancière.

Deux mots dans le discours d’investiture du président Joseph Aoun peuvent révolutionner la politique étrangère libanaise. Le chef de l’État, sur lequel se porte l’espoir du renouveau, a parlé de « pratiquer une neutralité positive », en appelant à « cesser de parier sur l’étranger ». Les implications d’une telle promesse sont énormes : le Liban devrait cesser...
commentaires (2)

La neutralité se construit et cela commence par l’instauration d’un état de droits où chaque citoyen aurait des droits et des devoirs dans son pays. Personne ne doit se sentir mis à l’écart ni avoir le besoin de recourir à un politicien pour obtenir un dû que l’état a le devoir de lui fournir. Ainsi aucun gourou ne pourrait s’infiltrer dans les failles et les citoyens deviendraient des citoyens exemplaires et les premier défenseurs de leur nation.

Sissi zayyat

13 h 33, le 18 janvier 2025

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Commentaires (2)

  • La neutralité se construit et cela commence par l’instauration d’un état de droits où chaque citoyen aurait des droits et des devoirs dans son pays. Personne ne doit se sentir mis à l’écart ni avoir le besoin de recourir à un politicien pour obtenir un dû que l’état a le devoir de lui fournir. Ainsi aucun gourou ne pourrait s’infiltrer dans les failles et les citoyens deviendraient des citoyens exemplaires et les premier défenseurs de leur nation.

    Sissi zayyat

    13 h 33, le 18 janvier 2025

  • Tres , tres instructif, merci!

    Madi- Skaff josyan

    08 h 27, le 18 janvier 2025

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