
Illustration générée par ChatGPT. J.H.
Dimanche 10 juin 2040. Dix-huit heures quarante-cinq. Les derniers bureaux de vote n’avaient pas encore fermé, mais les partisans de la droite comme de la gauche commençaient déjà à se rassembler place de l’Étoile pour les uns, place Sassine pour les autres. L’identité du nouveau président de la République n’allait pas être dévoilée avant vingt heures. Les derniers sondages, parus la semaine dernière, avaient annoncé un scrutin très serré.
Dans le métro beyrouthin, carte électorale à la main, un jeune homme de dix-huit ans, Camille, était toujours indécis. Il faut dire que chacun des candidats avait un projet radicalement différent de l’autre. L’un proposait la gratuité des transports en commun et un revenu universel, quand l’autre promettait une croissance à deux chiffres et un plan de recherche scientifique. Quand le premier parlait d’écologie et d’interventionnisme, le second évoquait l’égalité des chances, le mérite et le sens du devoir.
Les deux candidats s’accordaient cependant sur un certain nombre de points comme le non-alignement du Liban, le renforcement de l’identité libanaise à travers les arts, l’histoire et la culture, la volonté de poursuivre les réformes du système éducatif et d’allouer un budget considérable au ministère de la Santé publique. Les deux hommes avaient la stature d’un président de la République et pouvaient, sans aucun doute, incarner la désormais première puissance du Moyen-Orient.
Riche de son histoire, de son climat et de son système politique moderne, le Liban d’aujourd’hui est l’une des premières destinations touristiques, un pays exportateur de gaz et de pétrole et un pôle agroalimentaire d’envergure.
Les plus vieux disaient qu’il avait retrouvé ses couleurs d’antan. Nation laïque, indépendante et souveraine, le pays du Cèdre et du Phénix est (re)devenu le pays de la mode, de la gastronomie, de l’ouverture, de la littérature et de la pensée libre.
La climatisation du métro offrait un agréable contraste avec la chaleur brûlante de l’extérieur. Bien installé dans la fraîcheur, le jeune homme se divertissait en écoutant les nouvelles annonces sonores, que la RTBM (Régie des transports de Beyrouth Métropole) avait qualifiées de « plus musicales ».
« Prochaine station : Musée phénicien des pays de la Bible ». Camille esquissa un sourire. Il aimait bien ce musée. Il avait, avec ses parents, assisté à son inauguration quand il avait huit ans. Le garçon s’estimait chanceux de vivre sur une terre millénaire, mentionnée plusieurs fois dans les textes saints. Ce musée était également devenu un lieu de pèlerinage pour les passionnés d’histoire du monde entier.
« Prochaine station : Centre francophone ». Le Liban est devenu un bastion de la francophonie. Membre fondateur de la communauté francophone, il avait signé, avec d’autres pays, des accords économiques, politiques, culturels et sportifs. La langue française, langue de la littérature, a gagné du terrain face à l’anglais, situation inédite dans la région. Le pays bénéficie d’un programme d’échange universitaire, l’un des plus performants au monde.
« Prochaine station : Nahr Beyrouth ». Le métro passe depuis quelques années à côté de la vallée de Nahr Beyrouth. Poumon vert de la capitale et site archéologique très prisé des touristes, l’aqueduc et le pont témoignent de la riche histoire du Liban, ancienne terre romaine.
« Prochaine station : CEDRE - Beyrouth Technopole/Correspondance Ligne C ». Le Centre d’études, de développement, de recherches et d’échanges de Beyrouth est la technopole la plus importante du Moyen-Orient. Aire urbaine concentrant des activités de haute technologie, elle accueillait sur son sol, entre autres, la très prestigieuse École nationale supérieure d’ingénieurs de Beyrouth et le siège social d’EDL, numéro 8 mondial en production d’énergie.
« Prochaine station : Bibliothèque Fouad Chéhab ». La Bibliothèque nationale du Liban rend hommage à un président qui a su faire de son mandat une période dorée. L’un des pères de l’État-nation, on l’appelait désormais le de Gaulle libanais. Il était en avance sur son temps, lui qui disait que les Libanais de 1970 n’étaient pas prêts à abandonner la politique féodale et à passer à une société politique moderne.
« Prochaine station : Sainte-Thérèse ». C’était l’arrêt de Camille. Son bureau de vote se situe non loin de son quartier natal, quartier qu’il habitait jusqu’à la semaine dernière, avant son déménagement. Il descendit quand le train s’arrêta.
Des scooters électriques écologiques étaient à la disposition des usagers à la sortie de la station. Mais Camille avait envie de marcher, peut-être allait-il avoir le déclic et savoir à qui donner sa voix ? Alors qu’il approchait de l’entrée du lycée transformé en bureau de vote, il sentit une vibration dans sa poche. C’était un message de son meilleur ami, Mohammad : « A voté ! Je ne te dirai pas pour qui, mais je crois qu’on a une vraie chance cette fois. Fais le bon choix, mon ami ! »
Cher lecteur, je le sais, toi aussi, tu souhaites que ton futur ressemble à cela. Qu’en 2040, tu puisses toi aussi, comme Camille, avoir l’embarras du choix.
Je sais, toi qui me lis en 2025, que tu penses que cette utopie est irréalisable. Toi qui vis dans un semblant de démocratie, dans un pays en proie aux guerres, qui attends que les puissances étrangères choisissent ton président, qui vois, impuissant, ton pays subir les caprices des uns et des autres, incapable de peser dans le concert des nations. Je sais ta déception et j’entends ta colère.
Le Grand Liban a besoin d’un chef qui gouverne. Un chef, c’est fait pour « cheffer », disait Jacques Chirac. L’autorité est en effet une vertu première. Le pays du Cèdre doit avoir un président légitime, véritablement fort, élu au suffrage universel direct, qui gouverne avec sa majorité et ses ministres. Le système consensuel doit mourir. Le pays ira à gauche, à droite, au centre. Mais il ira quelque part. Car, pour l’instant, le bateau Liban coule en essayant d’aller dans tous les sens.
Ton pays a besoin d’une vie politique nouvelle. Il a besoin de partis politiques qui représentent des idées, des valeurs, des visions, mais pas des religions. Un président ou un député qui se présente à une élection doit avoir un programme. Il sera élu pour appliquer ce programme. La phrase type, « j’œuvre pour le bien du pays et son développement », ne doit plus nous satisfaire. Il œuvre pour le bien, oui, il n’y a pas de doute. Mais quel bien ? L’enfer est rempli de bonnes intentions.
Le Liban doit retrouver sa grandeur. Et il n’attend que nous. Faisons preuve, chers concitoyens, de plus d’intelligence, soyons à la hauteur de notre renommée, soyons au
rendez-vous de l’histoire. Demandons une nouvelle Constitution, réclamons un Liban nouveau. Faisons émerger un parti de gauche, un parti de droite, un parti libéral, un parti républicain, un parti conservateur, un parti démocrate, un parti écologique, etc. C’est à nous de créer le sang neuf que nous demandons.
Et peut-être, un jour, nous lirons : « Article 1 : Le Liban est une République unitaire, indivisible, laïque et démocratique. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion. Elle respecte toutes les croyances et ne reconnaît qu’une seule communauté : la communauté nationale. »
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Merci Monsieur Hamdan de dire tout haut ce à quoi certains d'entre nous osent espérer: une République unitaire, indivisible, laïque et démocratique.
08 h 52, le 16 janvier 2025