
Un ouvrier assis au milieu des débris du port de Beyrouth, le 27 juin 2024. Mohammad Yassine/Aechives L'Orient-Le Jour
Face à l’interdiction imposée depuis deux ans par le parquet de cassation à la police judiciaire de collaborer avec le premier juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, dans l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth survenue le 4 août 2020, ce dernier a décidé de notifier ses convocations via des huissiers civils dès le milieu de la semaine en cours, a indiqué à L’Orient-Le Jour une source informée.
L’obstacle dressé par le parquet remonte à janvier 2023, lorsque l’ancien procureur général près la Cour de cassation Ghassan Oueidate avait prohibé à la police de réceptionner et délivrer les mandats d’arrêt et notifications émis par Tarek Bitar, ainsi que de transmettre à celui-ci des documents relatifs à son enquête. Ghassan Oueidate réagissait alors aux poursuites que le juge Bitar venait d’engager contre lui dans le dossier du port. Dans la foulée, l’ancien chef du parquet avait libéré 17 détenus arrêtés par le juge d’instruction et engagé des poursuites contre ce dernier pour « usurpation de pouvoir ».
Dès l’accès de Jamal Hajjar à la tête du parquet en février 2024, suite au départ à la retraite de M. Oueidate, Tarek Bitar avait tenté d’obtenir l’annulation de l’interdiction de son prédécesseur. Le juge Hajjar avait cependant posé la condition que le dossier d’enquête soit subdivisé, de sorte que le juge d’instruction ne soit en charge que des fonctionnaires publics présumés impliqués dans l’affaire, à l’exclusion des responsables politiques. Un avocat qui suit le dossier indique même que le juge Bitar aurait été exhorté à exclure également les officiers et les magistrats mis en cause. En tout état de cause, ce dernier a rejeté toute proposition qui irait à l’encontre de l’unicité du dossier, ajoute l’avocat.
L’été dernier, le bureau de plaintes au sein de l’ordre des avocats de Beyrouth avait demandé à Jamal Hajjar de lever l’interdiction, mais celui-ci n’avait pas fait suite à sa requête.
Face à la position inflexible du parquet, et alors que deux ans sont passés depuis le début de l’impasse, le juge Bitar semble donc avoir finalement opté pour le recours aux huissiers civils. « Le juge d’instruction veut continuer ses investigations sans faire de concessions », commente l’avocat précité, estimant que « les notifications civiles sont légales, même en matière pénale ».
Selon nos informations, Tarek Bitar serait en train de préparer une liste d’audiences qu’il fixera « par ordre de priorité ». Que se passerait-il si les personnes convoquées refusaient de comparaître ? Au cas où les huissiers ne parviendraient pas à effectuer les notifications en mains propres, les convocations se feront « par affichage public », notamment à leur dernier domicile et au Palais de justice, indique un magistrat sous couvert d’anonymat. « Le juge Bitar aura ainsi rempli ses obligations avant de poursuivre son enquête et prononcer son acte d’accusation », ajoute-t-il.
Quid des détenus libérés par le parquet en 2023 ? « Le juge d’instruction n’aurait pas à les convoquer parce que, au plan légal, ils restent sous l’emprise de la justice et doivent donc être réincarcérés », indique le magistrat précité, précisant que « la responsabilité de leur incarcération incombe au parquet ».
Le boycott prendra-t-il fin ?
Selon la loi, le juge d’instruction ne pourra publier son acte d’accusation qu’après avoir soumis au parquet le dossier d'enquête pour avis. La question est de savoir si celui-ci continuera de boycotter toute pièce émanant du juge Bitar, ou s’il acceptera de réceptionner le dossier, reconnaissant alors que le juge d’instruction n’a pas usurpé le pouvoir, contrairement aux accusations formulées par Ghassan Oueidate.
Depuis bientôt quatre ans que Tarek Bitar détient ce dossier sensible dont les proches des victimes et l’ensemble des Libanais attendent toujours l’issue, il ne s’en est jamais désisté. Ce en dépit des multiples recours dont l’avaient visé des responsables mis en cause, ainsi que des menaces proférées en plein Palais de justice de Beyrouth par Wafic Safa, patron de la sécurité au sein du Hezbollah, en septembre 2021, et les incidents de Tayouné, qui avaient opposé des militants armés du tandem chiite aux habitants du quartier chrétien de Aïn el-Remmané et à l’armée, en marge d’une manifestation contre le juge, en octobre de la même année. « Le juge d’instruction a toujours été déterminé à mener l’enquête à son terme, ne se laissant intimider ni par des pressions politiques ni par des considérations sécuritaires », assure l’avocat cité plus haut.
Enfin!!! Il est grand temps de mettre les criminels sous les verrous
16 h 37, le 15 janvier 2025