Nagib Mikati n’est pas un homme dénué de qualités. Sa capacité à s’adapter au contexte du moment, à arrondir les angles pour éviter tant les confrontations inutiles que les nécessaires mises au point, à être à la fois l’homme de personne et de tout le monde, celui qui ne semble avoir un avis complètement arrêté sur aucun sujet, peuvent constituer des atouts non négligeables dans les eaux troubles de la politique libanaise. Avec lui, pas de surprises, ni bonnes ni mauvaises. Pas de grands discours, pas de promesses, pas de menaces. Et surtout… pas de changements.
Nagib Mikati est un homme du passé. Il appartient à ce Liban qui veut le pouvoir mais ne décide finalement de rien, qui préfère les petits arrangements aux grandes réformes, qui manque autant de courage que de vision et qui a fini par dégoûter une grande partie des Libanais de leur classe politique. Il serait injuste de lui faire porter toute la responsabilité de décennies d’incompétences. Il n’a jamais été l’un des acteurs principaux de cette scène politique. Mais il a fini par en incarner certains des traits les plus caricaturaux : le clientélisme, l’immobilisme, la corruption ou encore la soumission à Nabih Berry et au Hezbollah.
Pour ne pas faire avaler une deuxième pilule au tandem chiite, parce qu’il gère déjà la plupart des dossiers importants depuis plus de deux ans et parce que les élections législatives doivent se tenir l’année prochaine, les Occidentaux, États-Unis et France ne semblent pas défavorables à sa reconduction.
Ce serait une erreur. Parce que l’espoir qu’a suscité l’élection de Joseph Aoun partirait en fumée si Nagib Mikati était nommé ce lundi Premier ministre. Parce qu’un homme qui a soutenu l’ancien gouverneur de la banque centrale Riad Salamé jusqu’à ce que cela devienne impossible de le faire ; qui n’a jamais évoqué les armes du Hezbollah avant que celui-ci ne soit en situation de grande faiblesse ; qui n’a entrepris aucune réforme sérieuse durant ses quatre mandats de Premier ministre ; qui a quasiment disparu quand la milice chiite a décidé de déclencher une nouvelle guerre contre Israël – dont le Liban payera le prix – ; qui dès le lendemain de l’élection de Joseph Aoun sous-entendait déjà une distinction entre la situation au sud et au nord du Litani ; et qui, cerise sur le gâteau, est lui-même visé par une plainte en France pour « biens mal acquis » – ce qu’il dément – ne peut pas être l’un des visages du nouveau Liban. Reconduire Nagib Mikati, c’est couper les ailes du nouveau mandat. D’autant que le premier cabinet sera appelé à prendre des décisions essentielles, tant sur les nominations – chef de l’armée, gouverneur de la BDL, chef de la Sûreté générale... – que sur la restructuration du système bancaire.
Il n’est pas question de nommer une personnalité ouvertement hostile au tandem qui ne verrait les choses qu’en termes de rapport de force. Mais plutôt quelqu’un qui, à l’instar de Joseph Aoun, est capable d’être inclusif sans ne rien céder sur l’essentiel. Nawaf Salam semble avoir le profil idéal. Le président de la Cour internationale de justice – quel prestige pour le Liban ! – est un homme de culture et de modération. Dans son livre, Le Liban d’hier à demain, l’ancien diplomate expose sa vision des réformes dont le pays a besoin pour devenir un État de droit. Qu’on la partage ou non, quel homme politique libanais peut-il prétendre en avoir fait de même – à l’oral comme à l’écrit – au cours de ces dernières années ou décennies ?
Tout dépendra ce lundi de l’Arabie saoudite. Si le royaume laisse faire, Nagib Mikati sera une nouvelle fois nommé Premier ministre. Si Riyad met au contraire son poids dans la balance, Nawaf Salam se retrouvera en position de force. Certaines voix réformistes au sein de l’hémicycle estiment que rien ne pourra se faire avant les prochaines législatives, en absence de majorité claire au sein du Parlement. L’argument s’entend mais le calcul est risqué. Parce que beaucoup de choses peuvent se passer durant les plus d’un an qui nous séparent du prochain scrutin et que certains partis traditionnels peuvent se refaire une santé d’ici là. En 2026, la dynamique électorale ne sera pas en faveur de la thaoura ou de l’opposition. Mais pour celui qui aura un bilan à défendre et un projet à proposer. La « nouvelle ère » devrait progressivement contraindre tous les partis à se réinventer. Et cela commence aujourd’hui.
Notre coeur n'a plus d'espace pour des blabla de repentir. Il faut passer au mode RAISON et justice exiger. Tout au moins, à l'instar des tribunaux instaurés en Afrique du Sud post-apparteid.
12 h 18, le 15 janvier 2025