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Au Liban, le début d’une nouvelle ère ?


À partir de quel moment peut-on se laisser aller à l’optimisme quand on est libanais ? Il y a seulement quelques semaines de cela, l’horizon semblait complètement bouché. La guerre était encore là. Le pays paraissait au bord de l’implosion. Les évolutions régionales et internationales étaient des plus préoccupantes. Et le Liban, cette idée si précieuse que l’on devrait protéger envers et contre tout, continuait de se déliter sans que cela ne provoque de véritable sursaut national. Nous étions prisonniers d’une histoire que nous avions pourtant largement contribué à écrire. Nous le sommes toujours en partie. Mais l’espoir est désormais permis.

L’élection de Joseph Aoun marque l’entrée du Liban dans une nouvelle ère. Elle n’aurait pas été possible sans la défaite du Hezbollah, sans la chute du régime syrien et sans l’effondrement de « l’axe de la résistance ». Le Liban n’est officiellement plus une province de Damas et de Téhéran. C’est suffisamment important pour prendre le pas sur tout le reste. Mais cela ne doit pas nous faire oublier que le plus dur reste à faire.

Le Liban est encore un pays en morceaux, qui n’a jamais tourné la page d’une guerre qui a pourtant débuté depuis bientôt cinquante ans. C’est encore un pays en partie en ruine, occupé par les Israéliens et grignoté par les Iraniens. C’est encore un pays irréformable, où tout n’est que rapports de force et petits arrangements, où le clan passe avant la communauté, et la communauté avant la nation.

L’excellent discours de Joseph Aoun, ferme et rassembleur, tranchait avec le spectacle désolant auquel nous avons une nouvelle fois assisté au cours de la séance. Ce cirque est parfois drôle, il faut le reconnaître. Mais il est le plus souvent pathétique. Il donne à voir – y compris aux ambassadeurs invités à participer à la séance pour l’occasion – un Liban qui pourrit par la tête mais dont le corps ne se porte pas vraiment mieux. Tout, des invectives aux propos sexistes, des petites accolades au concours de populisme, du détricotage de la Constitution à la mise en scène grotesque du tandem qui a négocié, jusqu’à la dernière minute, le prix de sa défaite, a de quoi nous faire honte. Surtout lorsque l’on sait que sans les interférences soutenues et assumées de l’Arabie saoudite, des États-Unis et de la France, nous n’aurions toujours pas de président.

Si ces pays ont tant insisté pour que Joseph Aoun soit élu, c’est avant tout pour des raisons géopolitiques. Le nouveau président doit incarner le basculement du Liban dans une autre sphère d’influence. Sa sortie de l’ombre iranienne, et son rapprochement avec les pays arabes et les puissances occidentales, seule façon d’obtenir les fonds nécessaires à la reconstruction, ce que le tandem chiite a fini par admettre. Il serait toutefois malhonnête de comparer l’influence des uns – qui cherchent à renforcer l’État – à celle des autres, qui tentaient au contraire de le dévorer.

La mission de Joseph Aoun est si complexe qu’il est nécessaire, dès le départ, de bien la définir et de ne pas trop lui en demander. D’abord parce que l’idée qu’un homme providentiel puisse à lui seul sauver un pays a fait assez de dégâts ici ou ailleurs pour ne pas que l’on soit obligé de le constater à nouveau à nos dépens. Ensuite, parce que l’ancien chef de la troupe, qui semble vouloir ressusciter l’idée d’une « présidence forte », pas vraiment dans l’esprit de Taëf, a des prérogatives limitées et devra tenir compte des équilibres politiques. Enfin, parce que nous ne savons pas encore grand-chose de Joseph Aoun, de sa vision économique, sociale ou diplomatique, même si son discours a tracé de grandes lignes aussi prometteuses que floues.

Le nouveau chef de l’État devra accepter de participer au jeu politique sans se compromettre. Il aura aussi la lourde tâche de reconnecter le Liban au monde arabe et d’établir des relations saines et pérennes avec la Syrie. Parfois comparé à Fouad Chehab, il pourrait poser les jalons de la (re)construction d’un État moderne.

Mais pour y parvenir, il devra d’abord réaliser sa principale mission, celle pour laquelle il a été élu : faire accepter au Hezbollah de devenir un parti politique comme les autres.

La formation pro-iranienne est blessée, mais loin d’être vaincue. Elle ne peut plus imposer mais peut encore paralyser. Elle a compris qu’elle avait intérêt à lâcher du lest, à privilégier l’intérêt national, pour le bien de sa propre communauté, mais cela ne veut pas dire qu’elle est prête à rendre les armes. Elle quitte le sud du Litani sous la pression internationale. Elle est empêchée de se réapprovisionner en armes et en fonds sous la pression de la communauté internationale. Mais le cœur de l’enjeu pour Joseph Aoun sera de négocier le maintien des armes de la milice au nord du Litani. En les intégrant à l’armée, avec le risque de la faire imploser ? En montrant les muscles, avec le spectre d’une nouvelle guerre civile ? Compte tenu de son passif, il optera probablement pour la première option.

S’il parvient à désarmer le Hezbollah sans s’aliéner la communauté chiite, Joseph Aoun aura plus que réussi son mandat. L’objectif est dantesque. Mais le général semble le mieux armé, sans mauvais jeu de mots, pour y parvenir. Alors oui, pour une fois, l’optimisme est permis. Mais comme nous le rappelait il y a quelques jours un diplomate émérite, « comme toute drogue, il doit être consommé avec modération ».

À partir de quel moment peut-on se laisser aller à l’optimisme quand on est libanais ? Il y a seulement quelques semaines de cela, l’horizon semblait complètement bouché. La guerre était encore là. Le pays paraissait au bord de l’implosion. Les évolutions régionales et internationales étaient des plus préoccupantes. Et le Liban, cette idée si précieuse que l’on devrait...
commentaires (14)

L'optimisme qui règne se comprend quand on mesure la détresse qui régnait il y a si peu; mais une hirondelle ne fait pas le printemps...we are not out of the woods !

Lecure serj

11 h 01, le 12 janvier 2025

Tous les commentaires

Commentaires (14)

  • L'optimisme qui règne se comprend quand on mesure la détresse qui régnait il y a si peu; mais une hirondelle ne fait pas le printemps...we are not out of the woods !

    Lecure serj

    11 h 01, le 12 janvier 2025

  • Ni désarment du Hezbollah , ni lutte contre les trafics et la corruption , ni indépendance de la justice ne ni réforme de l’administration ne seront possible sans une nouvelle et large mobilisation du peuple comme en Octobev2019 . . Il faut que le peuple , toutes confession confondues , occupe la rue sans discontinuer pour soutenir le programme de Joseph Aoun . Sinon ce dernier sera démuni face à un premier ministre, un président de la chambre ,représentatifs d’un parlement de filous et d’une oligarchie sans scrupules à commencer par les banquiers.

    Tabet Lamia

    14 h 08, le 11 janvier 2025

  • Bonne chance et bon travail ça sera dur

    Eleni Caridopoulou

    19 h 32, le 10 janvier 2025

  • Voilà enfin quelqu’un de réfléchi qui ne s’emballe pas très tôt et impulsivement devant le nouveau venu

    Hitti arlette

    16 h 45, le 10 janvier 2025

  • -PERMETTEZ-MOI DE PARLER, -DES DEUX HEURES MYSTERIEUSES, -QUE NOTRE CHEF DE MILICE, -EXCUSEZ, DU PARLEMENT, -NEGLIGEANT LE SECOND TOUR, -SE LES PERMIT EN VACANCE, -( VIOLANT LA CONSTITUTION, -OFFENSANT TOUS LES PRESENTS, -AMBASSADEURS ET HOTES, ) -POUR ALLER A SON NEGOCE, -IMPOSER DES CONCESSIONS, -AU PROFIT DES DEUX MILICES, -PUIS REVENIR DE NOUVEAU, -REPRENDRE LE SECOND TOUR.-S,IL FUT PRIS SUIVANT LA LOI,-SANS LES DEUX MAGIQUES HEURES,-AVEC LA MOITIE PLUS UN,-AOUN AURAIT ETE ELU. =IL CHOISIT LA MASCARADE, -POUR TROMPER LES VISITEURS, -QUE SANS LES VOIX DES MILICES, -RIEN NE VA DANS LE PAYS.

    LA LIBRE EXPRESSION. LA PATRIE EST EN DANGER.

    16 h 09, le 10 janvier 2025

  • Les interventions syro-assadiennes ont souvent accentué les divisions entre libanais, les interventions israelo-internationales semblent plutôt accentué l'union... on se demande s'il y aurait une notion scientifique qui expliquerait ce phénomène à l'ère des nations zunies

    Wlek Sanferlou

    14 h 41, le 10 janvier 2025

  • Un président aussi fort ne élit rien sans le peuple. Des échéances et non les moindres nous attendent pour aider ce Président à nous mener au bon port. Vous avez écrit: Il serait toutefois malhonnête de comparer l’influence des uns – qui cherchent à renforcer l’État – à celle des autres, qui tentaient au contraire de le dévorer. Rien n’est plus vrai, mais comment faire entendre raison à ceux qui continuent à se comporter comme s’ils détenaient les sciences infuses et qui continuent à croire en des fossoyeurs et des corrompus qui ont eu raison de leur pays?

    Sissi zayyat

    12 h 20, le 10 janvier 2025

  • Comme d'habitude excellente analyse. Merci Mr Samrani. On est très heureux que vous faites partie de ce journal. Vous êtes la voix de la raison.

    Ma Realite

    10 h 11, le 10 janvier 2025

  • Un rêve éveillé que nous vivons.L’important est que la politique à venir de TRUMP poursuive la même tâche que l’actuelle.Du moins celle que le liban vit depuis Décembre 2024.Que le Hezbollah et cie, ne ressortent pas leurs griffes si l’iran le leur demande, en cas de guerre directe entre israel et l’iran par ex.Que le Hezbollah ne fiche pas en l’air le rêve des libanais le jour où les villages auront été reconstruits et l’argent arabe déjà reçu. Bref, notre président a besoin de l’appui des libanais dans sa mission et il a toute la confiance des citoyens libanais. Merci Monsieur Le Président.

    LE FRANCOPHONE

    09 h 25, le 10 janvier 2025

  • Très bonne analyse. Mais comme vous le soulignez nous sommes sur la bonne voie mais au début d'un chemin semé d'embuches, une main même volontaire et vigoureuse n’applaudit pas toute seule. L’élection de J Aoun est un bon signe mais nous ne sommes plus dans un régime présidentiel. Il faudra aussi un PM de la même mouvance c’est à dire de préférence une nouvelle téte non choisie par les vaincus qui ont ruiné le pays et surtout un gouvernement où le 8 Mars ne puisse en aucun cas avoir son mot à dire pour les décisions stratégiques. Les pressions que Trump va mettre sur l’Iran aideront.

    Liban Libre

    08 h 00, le 10 janvier 2025

  • Tout est dit et si bien. Merciii

    khoury nabil

    07 h 55, le 10 janvier 2025

  • "S’il parvient à désarmer le Hezbollah sans s’aliéner la communauté chiite, Joseph Aoun aura plus que réussi son mandat". Tout est là. La reconstruction du Liban, la restauration de l’État libanais passent obligatoirement par la dissolution de la milice iranienne. Hier, entre les deux tours, un entretien a eu lieu entre Joseph Aoun et lws représentants du Hezbollah. Un acord a été conclu puisque les voix du parti auto-proclamé "divin" se sont portées ensuite sur le général. Quels en sont les termes?

    Yves Prevost

    07 h 47, le 10 janvier 2025

  • Chacun de nous a la responsabilité de l’aider à réussir.

    Vincent Makhlouf / ENHANCED FORM

    07 h 35, le 10 janvier 2025

  • Absolument! 'Spot on' comme on dit dans la langue de Shakespeare! L'enjeu est immense en effet et la reconstruction d'un Liban moderne, etat de droit qui soit bien integre dans la communaute internationale, ne pourra reussir sans le support externe (pays de l'Ouest et regionaux) et l'affaiblissement de l'Iran, relations saines avec la Syrie, paix avec Israel, ainsi que la bonne volonte des Libanais, peuple et gouvernement (nouveau, compose de specialistes integres)!

    Cadmos

    05 h 49, le 10 janvier 2025

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