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Le retour des « libanaiseries »

Parmi tous les maux dont souffre le Liban, notre inépuisable aptitude au déni, individuel et collectif, est peut-être le plus inquiétant. C’est parfois de la résilience, même si le terme a fini par être vidé de son sens. Mais c’est souvent bien plus que cela : une volonté de tordre la réalité pour ne pas avoir à l’affronter. Une autopersuasion que nous sommes si intelligents, si en avance sur tout et sur tout le monde que ce qui est vrai pour les autres ne l’est pas pour nous.

Le Hezbollah est le champion incontestable en la matière. Le parti a entraîné le pays dans une guerre destructrice et continue de prétendre l’en avoir protégé, et même de l’avoir emporté. Mais le reste du pays, si prompt à moquer la surenchère grotesque de l’autoproclamé parti de Dieu, n’est pas beaucoup mieux. Nous avons vécu l’une des pires crises financières de l’histoire, l’une des pires explosions non nucléaires de l’histoire et une énième guerre aussi absurde que dévastatrice sans que nous en tirions collectivement la moindre leçon. Les choses bougent, mais trop peu. Trop lentement. Les mythes sur lesquels reposait le pays depuis des décennies se sont effondrés – tant celui du système bancaire que celui de la « résistance » –, mais une grande partie d’entre nous (pas toujours les mêmes d’ailleurs) refuse ne serait-ce que de le reconnaître.

La région se redessine et le Liban passe une nouvelle fois à côté de l’histoire. Tellement centré sur lui-même, sur ses petits calculs, sur ses libanaiseries, qu’il ne comprend pas – à l’exception notable de Walid Joumblatt – que, quoi que l’on pense d’Ahmad el-Chareh, le nouvel homme fort de Syrie, il était essentiel de se rendre au plus vite à Damas. Pour assainir les relations entre les deux pays. Pour reconnecter Beyrouth au reste du monde arabe. Et pour tenter, pour une fois, de ne pas être le simple réceptacle des dynamiques régionales, mais de contribuer à les aiguiller avec nos atouts, loin d’être négligeables pour celui qui sait en faire usage.

Après une année noire, nous avons une occasion historique – le terme n’est pas exagéré – de rebâtir le pays sur des bases nettement plus saines. La chute du régime syrien et l’effondrement de « l’axe de la résistance » ont fait sauter les verrous les plus hostiles à toute possibilité de changement. Mais pour que ce changement puisse avoir lieu, dans l’intérêt de l’ensemble des Libanais, il faudrait déjà que le Hezbollah sorte complètement de son hubris et que les anti-Hezbollah aient pour leur part quelque chose d’intelligent et d’inclusif à proposer. Nous sommes encore à mille lieues de cela. Les Kataëb sont les seuls, pour l’instant, à avoir entrepris une démarche sérieuse en la matière.

Rien n’est plus révélateur de l’imperméabilité de notre classe politique à tout changement que le spectacle pathétique – et non moins amusant – auquel nous assistons actuellement, à quelques jours de la séance consacrée à la présidentielle. Le pays est ruiné. La population est à bout de tout. Mais dans les salons des uns et des autres, on continue de jouer à ce petit jeu que le zaïm libanais maîtrise comme personne, le seul dans lequel son avis compte encore, pour être tout à fait honnête : l’art de la dissimulation et des compromis boiteux.

Tout le monde s’en donne à cœur joie. Le tandem chiite bloque l’élection du grand favori, Joseph Aoun, soutenu par l’ensemble de la communauté internationale ; Gebran Bassil trouve tout à coup des qualités à Samir Geagea ; ce dernier se voit comme le nouveau sauveur du pays ; et l’opposition est incapable de s’entendre sur un nom.

Avec Joseph Aoun et Jihad Azour, nous avons, pour une fois, deux candidats crédibles et qui semblent à la hauteur de l’enjeu. Le premier incarne la stabilité. Le second l’ouverture. Parce que le premier fait peur à tout le monde, le second a encore une petite chance de l’emporter. Mais nos zaïms sont encore capables de n’élire aucun de ces deux hommes jeudi prochain et même – bien que cela paraisse très improbable – de s’entendre sur un autre nom.

Le Liban a besoin d’un président, mais le président, quel qu’il soit, ne va pas sauver le Liban. C’est une première pierre, importante, dans la fortification d’une bâtisse depuis trop longtemps en voie d’effondrement. Nous commémorerons dans quelques semaines l’anniversaire des 50 ans du début de la guerre civile. Cinq décennies plus tard, sommes-nous enfin capables de regarder l’histoire en face et de sortir du déni ?

Parmi tous les maux dont souffre le Liban, notre inépuisable aptitude au déni, individuel et collectif, est peut-être le plus inquiétant. C’est parfois de la résilience, même si le terme a fini par être vidé de son sens. Mais c’est souvent bien plus que cela : une volonté de tordre la réalité pour ne pas avoir à l’affronter. Une autopersuasion que nous sommes si...
commentaires (27)

Hélas, et sans vouloir s'autoflageller, nous avons les politiciens que nous méritons.

Ilya

16 h 41, le 07 janvier 2025

Tous les commentaires

Commentaires (27)

  • Hélas, et sans vouloir s'autoflageller, nous avons les politiciens que nous méritons.

    Ilya

    16 h 41, le 07 janvier 2025

  • Ainsi, nous mesurons l'état de déliquescence avancée dans laquelle se trouve une grande partie de la société libanaise. Effarant.

    I A

    15 h 16, le 07 janvier 2025

  • Comment les libanais peuvent ils être individuellement aussi brillants et talentueux et collectivement aussi stupides et inefficaces ?? Cette question me tracasse depuis longtemps. Me Samrani, avez vous une piste de réponse ?

    JB El catalán

    14 h 33, le 07 janvier 2025

  • L'article résume parfaitement bien la situation ubuesque dans laquelle le Liban se trouve enfermé depuis trop longtemps. Cela m'attriste et me peine car je ne vois aucune volonté de revenir vers un état de droit sans milices mafieuses et sans classe politique corrompu.

    Zeidan

    12 h 41, le 07 janvier 2025

  • Cette tribune, par sa synthèse et sa lucidité, sonne très juste. J'aimerais que ma famille chiite la lise et la relise...

    Elsa farhat

    10 h 59, le 07 janvier 2025

  • Merci !

    Myriam YARED

    09 h 55, le 07 janvier 2025

  • 50 ans du début de la guerre...qui continue et nous a coûté une faillite, une énorme explosion, une guerre et les esprits restent toujours les mêmes. Regarder les enfants sur al Jadeed discuter politique, en dit long. Peut-on espérer que les choses changent ?

    Onaissi Antoine

    09 h 11, le 07 janvier 2025

  • Mr Samrani, qu'est ce que vous attendez de ces politiciens médiocres. 75% d'entres n'ont ni d'intellect, ni une conscience .......

    hrychsted

    00 h 56, le 07 janvier 2025

  • Haha vous devriez plutôt dire LIBANIAISERIES. Un peuple prompt à donner son avis mais qui ne fait aucune action si ce n’est pour son intérêt égoïste. Il était un temps où nous disons el ARAB JARAB maintenant c’est eux qui nous regardent avec pitié. De même les Jordaniens pauvres BADOU. Donnez 5 ans à la Syrie et ce sont les Libanais qui finiront comme main d’œuvre d’un pays qui est en train de faire les bons choix. Le Liban est comme un enfant huppe doué qui gâche sa vie car trop pourri et ne forçant pas son destin.

    Liban Libre

    00 h 31, le 07 janvier 2025

  • Remarquable de lucidité . Hélas oui le liban wsr encore capable de rater sa chance de faire le premier pas en finir avec ses libaNIAISERIES . Sa classe politique debile sauf quand il s’agit de ruiner le pays pour se remplir les poches .Imbattable dans ce seul cas !

    Tabet Lamia

    23 h 55, le 06 janvier 2025

  • Excellente analyse. Certes, Monsieur Samrani nous y a habitués, mais cette fois il monte au créneau et il a bien raison!

    Clavel Adrien

    19 h 32, le 06 janvier 2025

  • -PAS D,ACCORD POUR LA SYRIE. -ON LIVRA SOIXANTE SEPT -PERSONNES, DES REFUGIES -POLITIQUES, PAR NOS SOINS, -ENVOYEES A L,ABATTOIR, -D,UN REGIME JIHADISTE. -ENCORE NON RECONNU. -DES LORS NOS INCOMPETENTS, -LIEVRES ET JOUMBLATT TORTUE, -DANS LE CIRAGE DE BOTTES. =LES AUTRES ONT ENVOYE, -DES DELEGATIONS SONDER, -LES INTENTIONS DES NOUVEAUX -MAITRES ENCOR DANS LE FLOU, -ET NON PAS LES RECONNAITRE. =QUAND A NOUS, EN LEUR LIVRANT, -LES REFUGIES POLITIQUES, -NOUS RECONNUMES DE FAIT, -LE REGIME PROVISOIRE, -POUR LE MOMENT JIHADISTE.

    LA LIBRE EXPRESSION. LA PATRIE EST EN DANGER.

    16 h 45, le 06 janvier 2025

  • Extrêmement décevant de donner du crédit à Walid Joumblatt

    Maria

    16 h 24, le 06 janvier 2025

  • Lucide Monsieur Samrani. Et comme le dit M. Vincent Maklouf: et si l'armée prenait le pouvoir? Le temps de désarmer, de trainer en justice zaïms, corrompus et responsables du Port. Et de renvoyer les soutanes dans leurs lieux de culte.

    Alain Raymond

    15 h 44, le 06 janvier 2025

  • Il est en effet consternant qu'un peuple aussi courageux face à l'adversité compte une classe politique aussi médiocre, qui recourt à des arguties et à des surenchères mortifères et risque de manquer l'occasion en or qui s'offre d'élire rapidement un président, de rebâtir les institutions, de relancer l’économie, de réparer le tissu social, de (re)nouer avec les pays voisins, etc. La tâche est monumentale et nous en sommes encore au stade des palabres inutiles et des gesticulations. Quel gâchis.

    AA

    14 h 51, le 06 janvier 2025

  • On peut nier la réalité mais pas ses conséquences.... et elles se font déjà sentir, le vent a tourné.

    Charbel Moussalem

    13 h 41, le 06 janvier 2025

  • Oui édito au top !

    Philippe NABAA

    13 h 01, le 06 janvier 2025

  • On peut même dire continuité des libaNIAISERIESMoughtareb1860

    GANDOUR Antoine

    12 h 10, le 06 janvier 2025

  • Une question : si l’armée prenait le pouvoir par la force , qui s’opposerait ?

    Vincent Makhlouf / ENHANCED FORM

    12 h 05, le 06 janvier 2025

  • Excellente analyse Anthony, un des éditos les plus percutants!

    ted amyuni

    11 h 43, le 06 janvier 2025

  • Bravo Mr Samrani , l'analyse et le raisonnement est excellent, profitons de ce moment plutôt de cette chance pour s'en sortir de cette.....

    Khalil Antoine

    11 h 35, le 06 janvier 2025

  • Tres bon article. L'OlJ sait prendre de la hauteur quand il le faut.

    Michel Trad

    09 h 44, le 06 janvier 2025

  • Excellente analyse

    Dorfler lazare

    09 h 29, le 06 janvier 2025

  • Article exceptionnellement bien écrit Anthony. Tant que le pays des cèdres aura de brillants penseurs comme vous, il y aura toujours de l'espoir, même infinitésimal. Nos atouts en tant que libanais sont à la fois une malédiction céleste et une bénédiction providentielle.

    La voix du centre

    08 h 14, le 06 janvier 2025

  • Absolument et excellent article! On doute que nos politiciens soient a la hauteur de ce leadership dont le Liban a tant besoin pour sortir de ce cercel vicieux et de se developper. On l'espere toujours, peur etre avec des nouveaux noms....Une nouvelle generation?

    Cadmos

    05 h 16, le 06 janvier 2025

  • You mean liba-niaiseries ?

    Wlek Sanferlou

    03 h 14, le 06 janvier 2025

  • Ça depend de mr. Berry ….. .

    Eleni Caridopoulou

    00 h 55, le 06 janvier 2025

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