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Lifestyle - Histoires de thérapies

Les prisons ouvertes, le deuil devenu enfin possible

Dans cette rubrique, le Dr Chawki Azouri partage des histoires et des cas qu’il a vécus tout au long de sa carrière et profite de son expérience pour tenter d’analyser l’actualité sur un plan psychologique et émotionnel. Aujourd’hui, et dans le cadre des bouleversements en Syrie, retour sur le drame des prisonniers.

Les prisons ouvertes, le deuil devenu enfin possible

Émouvantes retrouvailles entre Moaz Merheb, 51 ans, et son fils alors qu'il rentre chez lui après 18 ans d'emprisonnement dans la tristement célèbre prison syrienne de Saydnaya, le 10 décembre 2024. Ibrahim Chalhoub/AFP

La pire souffrance que peut connaître l’être humain est l’impossibilité du deuil. Ne pas savoir si un proche parent disparu est toujours vivant ou mort met l’homme dans une souffrance insoutenable.

Il faut indiquer à ce sujet que la naissance de l’humanité s’est faite par l’enterrement des morts. Il s’agissait alors de ne plus les dévorer comme c’était le cas à l'époque du cannibalisme. D’où l’importance fondamentale de l’inhumation des morts et du deuil.

À part la douleur de l’absence, le mort est l’objet d’une ambivalence accrue, appelée aussi « hainamoration » dans le langage psychanalytique. Cette ambivalence est en elle-même insupportable, du fait de la coexistence d’un sentiment amour-haine vis-à-vis de l’autre. Si cet autre meurt, elle devient impossible. Comment peut-on haïr un être cher qui vient de mourir ? Comment puis-je le haïr alors que moi je suis toujours vivant ?

Toute la question est là.

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À un niveau quantitatif soutenable, l’ambivalence fait partie de la vie affective, surtout amoureuse. On aime et on hait en même temps. Mais l’un des deux sentiments prédomine sur l’autre et permet de le refouler, non de l’éliminer. C’est donc quand la force des deux sentiments est égale que le sujet humain éprouve de la détresse. La dépendance vis-à-vis de l’autre est la source principale de l’ambivalence.

Quand l’être que l’on aime et qui est l’objet de cette ambivalence meurt, le premier sentiment qui nous envahit est la haine. Cela nous torture, pour un certain temps, puis l’amour réapparaît. Le deuil nous permet de vivre notre ambivalence qui va s’atténuer progressivement pour laisser la place à l’amour. La fin du deuil, environ un an selon les estimations sociales, nous laisse dans un état sentimental neutre mais bienveillant à l’égard du mort.

Mission impossible

Mais quand ce deuil est impossible du fait de notre ignorance sur les raisons qui ont causé la mort ou encore si l’être aimé est vivant ou mort, la détresse nous envahit. Cette détresse prend la forme d’une mélancolie, variable dans son intensité.

Le deuil n’est pas une mélancolie, mais il lui ressemble. À ce sujet, le livre de Freud Deuil et mélancolie (1917) reste la référence.

C’est là que les rites du deuil sont fondamentaux. Les morts mal enterrés vont poursuivre les vivants. Parce que les rites expriment en eux-mêmes notre ambivalence à l’égard du mort, ils nous permettent d’accepter la mort et de finir notre deuil. À ce sujet, quand le deuil n’est pas fait, ce sont les enfants qui en payent la conséquence. Car alors, les parents projettent leur dépression au dehors, les fantômes apparaissent et prennent la place du mort. Pour cette raison, les photos du mort placées dans la maison aident les enfants à distinguer les fantômes des morts.

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L’importance fondamentale d’enterrer les morts et des rites funéraires apparaît magnifiquement dans la pièce de Sophocle, Antigone, créée en 441 avant JC. Le roi Créon refuse d’enterrer le frère d’Antigone, Polynice, parce qu’il a trahi sa patrie. Antigone brave la volonté du roi et enterre son frère. Elle en payera le prix puisque Créon la condamne à mort. Elle se pend dans la caverne où elle est emmurée. Braver la décision du roi pour enterrer son frère montre l’importance fondamentale du deuil qui commence avec l’enterrement.

Dans un documentaire sur la Commission de la vérité et de la réconciliation en Afrique du Sud, créée par Nelson Mandela en 1996, on voit une mère discuter avec le tortionnaire et meurtrier de son fils. Ce dernier reconnaît avoir coupé les mains de son fils journaliste qui écrivait contre le régime de l’apartheid et avoir ensuite brûlé son corps. La mère lui demande s’il avait gardé les mains de son fils. À sa réponse positive, elle lui demande de les lui restituer pour pouvoir les enterrer et commencer son deuil.

La pire souffrance que peut connaître l’être humain est l’impossibilité du deuil. Ne pas savoir si un proche parent disparu est toujours vivant ou mort met l’homme dans une souffrance insoutenable.Il faut indiquer à ce sujet que la naissance de l’humanité s’est faite par l’enterrement des morts. Il s’agissait alors de ne plus les dévorer comme c’était le cas à l'époque du...
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