Que reste-t-il encore à perdre, une fois que l’on n’a même pas sauvé la face ?
Inique, bancale, suprêmement humiliante de surcroît est cette trêve indirectement négociée et cautionnée par un Hezbollah pris à la gorge, et qui s’avère un panier percé. Car non contente d’avoir entraîné le Liban tout entier dans une guerre dévastatrice, c’est dans une nasse stratégique que la milice s’est bel et bien laissé enfermer, y entraînant derechef, et comme de règle, l’ensemble du pays. Exorbitante était déjà la facture, elle n’a sans doute pas fini de s’alourdir.
Cette nasse, c’est l’incroyable inégalité des contraintes qu’impose aux belligérants l’accord de fin novembre, fruit aigre-doux d’un intense effort diplomatique américain. S’il interdit aux deux parties toute provocation, cet arrangement octroie au seul Israël la latitude de se livrer à des actions dites défensives. L’effroyable massacre de Gaza en dit long sur la manière dont l’État hébreu conçoit et exerce son droit de défense. Pour reprendre ses frappes aériennes, Tel-Aviv n’a d’ailleurs pas attendu la mise en place du comité international appelé à superviser le respect de la trêve. Pire encore, c’est la menace d’une intervention plus en profondeur que brandissait hier encore le ministre israélien de la Défense. En cas de rupture du cessez-le-feu, ajoutait-il, nulle distinction ne sera plus faite entre le Hezbollah et le Liban; il n’y aura plus d’immunité pour l’État libanais, croyait-il bon de préciser, sachant que ses troupes ont déjà multiplié les sanglantes agressions contre notre armée régulière, pourtant appelée à pacifier la zone frontalière.
Non moins alarmants que cette brutale déclaration d’intentions émanant de l’ennemi sont cependant les bouleversements régionaux en cours ou annoncés, telle cette menace d’enfer que fait planer Donald Trump sur le Moyen-Orient si les otages retenus à Gaza ne sont pas libérés avant son investiture. Le Hezbollah a certes dû renoncer à la tonitruante unité des fronts contre Israël qu’il a obstinément prônée un an durant ; elle n’a pas disparu pourtant, à cette ironique nuance près : c’est à rebours, en sens inverse, qu’elle fonctionne désormais. Une fois la milice mise hors jeu, une fois coupées ses lignes de ravitaillement à travers une Syrie replongeant soudain dans la guerre civile, on voit ainsi le Hamas rechercher un accord de cessez-le-feu. Et c’est encore le Hamas qui s’empresse de s’entendre avec ses frères ennemis de l’Autorité palestinienne sur une future administration commune de l’infortunée Gaza…
Face à tout ce remue-ménage, on se reprend à demander ce qui nous reste encore à préserver, sinon à sauver. Évidente est pourtant la réponse : tout autant que l’intégrité du sol national, c’est cet éternel laissé pour compte, cet oublié de toutes les aventures guerrières – mais aussi de leurs tristes lendemains – qu’est le front interne. Même s’il est loin d’avoir perdu toutes ses plumes, le Hezbollah n’est plus en état de vendre ses chimériques victoires, de dicter ses volontés au reste des Libanais, ceux bien entendu qui forment l’écrasante majorité du peuple, mais aussi ceux qui, au sein même d’une communauté chiite particulièrement éprouvée, opposent un sincère, un authentique Liban d’abord aux chants de sirène venant de Téhéran.
À cet égard, l’agression dont a été victime samedi dernier le journaliste Daoud Rammal alors qu’il allait se recueillir sur la tombe de sa mère, au Liban-Sud, constitue un test décisif. Ce correspondant local de la chaîne Sky News Arabia avait déjà, à l’évidence, le courage de ses opinions, ce qui suffisait déjà pour essuyer les accusations d’espionnage et de trahison proférées par les fiers-à-bras qui l’ont rossé. Rammal a eu surtout celui de reconnaître formellement en l’un de ses agresseurs un militant du Hezbollah et de déposer plainte en bonne et due forme.
Comme on pouvait s’y attendre, le Hezbollah a nié tout rapport avec l’incident. C’est en songeant plutôt à la justice libanaise, trop longtemps sujette aux manœuvres d’intimidation ou de séduction, que l’on vous parlait de test. Un peu candidement sans doute…
Issa GORAIEB