Elle a réussi à faire oublier le froid. Le temps de deux soirées, la comédienne Anjo Rihane a réchauffé la salle André-Mathieu, à Laval dans le Grand Montréal. Avec Mjadra Hamra et Chou Mnelbous ?, elle a offert les 29 et 30 novembre des prestations remarquées, empreintes d’émotion et d’humour.
Ce rendez-vous théâtral, organisé par le producteur Tarek-Gabriel Sikias, n’était pas qu’un simple divertissement, résonnant symboliquement auprès d’un public nostalgique d’un Liban entre deux conflits. Il s’est en effet imposé comme un des événements culturels incontournables de cette fin d’année.
Dans Mjadra Hamra, Anjo Rihane incarne trois femmes libanaises issues de la communauté chiite : Mariam, l’expatriée hantée par son passé ; Fattam, la veuve en quête d’amour malgré le poids des traditions ; et Souad, l’épouse maltraitée dissimulant ses blessures derrière des excuses. Une heure et demie durant, seule en scène, elle a jonglé avec subtilité entre rires et larmes, capturant avec justesse les clichés et les complexités des femmes rongées par le poids des traditions.
Signée Yahya Jaber, Mjadra Hamra est en effet bien plus qu’une simple pièce de théâtre : entre la critique indirecte du système patriarcal et l’exploration des aspirations personnelles de femmes n’ayant que le droit de rêver, l’œuvre présentée pour la première fois au Liban en 2018 a, au Canada aussi, résonné fort. Le titre, inspiré d’un plat traditionnel du Liban-Sud à base de lentilles rouges et de boulgour, devient un symbole universel de mémoire collective.
Dans Chou Mnelbous ?, Anjo Rihane explore les contradictions d’une société tiraillée entre apparences et vérités, tradition et modernité. Elle incarne – toujours sous la direction de Yahya Jaber – une multitude de personnages avec une maîtrise impressionnante, interrogeant ce que l’on choisit – ou subit – de porter, qu’il s’agisse de vêtements, d’idées ou de jugements.
À travers des récits entrelacés, elle décortique les pressions sociales liées à l’amour, au mariage, à la politique et même à la révolution, tout en questionnant la liberté et l’identité.
Un pont entre le Liban et le Canada
Ce contexte a trouvé une résonance particulière en cette fin d’année 2024, alors que le Liban vit les premiers jours d’un cessez-le-feu fragile entre le Hezbollah et Israël. Dans la salle comble, les rires et les applaudissements ont parfois laissé place à des larmes silencieuses. Pour de nombreux Libanais installés au Canada depuis des décennies, des pièces comme Mjadra Hamra ou Chou Mnelbous ? sont bien plus que de simples œuvres : elles sont un pont, une fenêtre sur un pays laissé derrière eux, mais jamais oublié.
Sur scène, Anjo Rihane a dansé, chanté, et s’est exprimée tantôt en franbanais et tantôt avec le parler du Liban-Sud, deux dialectes synonymes d’un pays éternellement scindé par ses diverses cultures. La prestation de l’actrice, diplômée de la FBAA et lauréate en 2020 du prix du Festival national du théâtre libanais pour la meilleure actrice dans un premier rôle, transcende ainsi les frontières. Si les pièces s’enracinent profondément dans les réalités sociales du Liban, les thèmes résonnent universellement.
« Merci d’avoir été un public fantastique et pour cet accueil chaleureux », a déclaré, sous les applaudissements, l’actrice à la fin de sa première performance.
Pour Tarek-Gabriel Sikias, faire venir Anjo Rihane au Canada était un pari audacieux, mais nécessaire. Avec cette tournée, il a permis à la diaspora libanaise de ce pays de renouer avec une partie de son patrimoine culturel à un moment très sensible pour le Liban.
Pour ceux qui ont eu la chance d’y assister à Montréal, la performance d’Anjo Rihane restera mémorable : un témoignage vibrant de la résilience des femmes, une ode à la mémoire libanaise et, surtout, une célébration de l’art sous toutes ses formes.
Prochain arrêt : Toronto, le 2 décembre. Une dernière étape pour la comédienne mêlant dans ses valises la douceur d’une patrie fantasmée comme l’amertume d’un passé qui ne cesse de se répéter.