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Culture - Théâtre

Pourquoi « Mjadra Hamra » a-t-elle toujours autant de succès ?

L’opus de Yahya Jaber avec Anjou Rihane a été joué à guichets fermés plus de 250 fois au Liban et à l’étranger depuis sa première il y a six ans. Comment expliquer la longévité de cette pièce qui raconte l’histoire de trois femmes originaires de Nabatiyé au Liban-Sud ?

Pourquoi « Mjadra Hamra » a-t-elle toujours autant de succès ?

Anjou Rihane campe trois femmes originaires du Liban-Sud avec un naturel désarmant. Photo DR

Interprétée pour la première fois en 2018, Mjadra Hamra de Yahya Jaber a été depuis jouée plus de 250 fois, au Liban et à l’étranger. Anjou Rihane, la comédienne (diplômée de la FBAA), a obtenu en 2020, à la 2e édition du Festival national du théâtre libanais, le prix de la meilleure actrice pour un premier rôle. Le festival, organisé par le ministère de la Culture, en coopération avec le Comité arabe du théâtre, avait mis en compétition six pièces de théâtre libanaises arrivées en finale parmi 15 pièces. Partant d’un plat traditionnel du Liban-Sud, la mjadra hamra (à base de lentilles rouges et de boulgour), Yahya Jaber livre une magnifique pièce qui aborde le destin de trois femmes. Mariam, Souad et Fattam vivent dans la banlieue sud de Beyrouth, abordent et expérimentent les thèmes du mariage, du divorce, des enfants, des hommes et de l’exil.


La pièce « Mjadra Hamra » a été jouée plus de 250 fois depuis sa première il y a six ans. Photo DR

Reprise au théâtre Monnot six ans plus tard, la pièce récolte toujours autant de succès. L’Orient-le Jour s’est posé la question : pourquoi ?

À voir et à revoir

D’abord, c’est une pièce écrite par un homme pour les femmes et contre les hommes, et s’il y en a un qui tire son épingle du jeu, c’est bien Yahya Jaber qui nous livre un scénario d’une force et d’une puissance remarquables, tant sur le niveau burlesque que tragique. Le texte est à la fois drôle et poignant, avec des envolées lyriques remarquables et des visuels qui sont tellement bien interprétés que le spectateur les imagine avec beaucoup de véracité, des scènes à l’intérieur de scènes. C’est un texte riche, à multiples strates ; d’abord un premier niveau de drôlerie, et plus on avance dans le temps, plus on avance en profondeur pour toucher au drame et au tragique. Mais le metteur en scène et la comédienne arrivent même dans les tréfonds du tragique à faire rire le public.

Dès le départ, le rythme est donné et la narration suit crescendo. Son succès tient bien sûr au texte, mais que serait le texte sans la prestation remarquable de la comédienne, seule sur scène à camper trois femmes : Mariam, qui habitait en France ; Fatam, veuve qui désire se remarier ; et Souad, l’héroïne qui justifie les coups journaliers qu’elle reçoit de son mari. Trois battantes touchantes d’authenticité. La comédienne Anjou Rihane tient magnifiquement la scène durant une heure et trente minutes, tellement que le public ne sent pas le temps passer. L’accent qu’elle adopte sonne toujours vrai, sans jamais verser dans la vulgarité ou l’indécence. Le vécu de ces femmes toujours d’actualité au Liban, ce quotidien très douloureux, est abordé à la fois avec légèreté et gravité.

C’est une pièce sensible et intelligente sur le combat des femmes qui est loin d’être gagné, au Liban et dans le monde arabe. C’est un message universel sur les femmes battues, les sociétés patriarcales, voire matriarcales, la violence des hommes, l’injustice des enfants vis-à-vis de leurs parents, le divorce, le mariage dans la religion musulmane qui permet de prendre plus d’une épouse. Pour ces femmes remarquables dont le destin a été brisé, à qui on n’a pas donné le choix, Yahya Jaber a donné la possibilité de la parole et de l’interprétation. Elles sont à la fois victimes et actrices de leur destin. C’est une pièce juste sur les injustices commises contre les femmes.

Si le public revoit cette pièce plus d’une fois, c’est qu’à chaque fois elle offre quelque chose de plus à découvrir. Une pièce tellement intelligente, poétique, drôle, violente, douloureuse et foisonnant de moments forts et de sous-entendus que chaque personne peut s’approprier. De l’avis même de nombreux spectateurs, Mjadra Hamra est une pièce de théâtre que l’on voit et revoit pour ses scènes mémorables : la gifle à laquelle le public participe, l’envolée de lentilles comme une pluie d’étoiles dans le ciel, la scène du cimetière, ou encore celle de la nuit de noces où la voix traverse toute la Méditerranée pour parvenir à la maman, mais aussi parce que Anjou Rihane danse, chante, bouge et joue avec une justesse remarquable, nous fait rire, nous fait pleurer, nous émeut, nous touche et nous fait vibrer.

Jamais pareil

Jusqu’à aujourd’hui, Anjou Rihane avoue que chaque montée sur les planches est pour elle comme une première fois. Elle prend toujours autant de plaisir à écouter les commentaires qui suivent. « Car, dit-elle, tout comme le public me regarde, moi aussi je regarde le public qui n’est jamais le même. Très différent selon la région où l’on se produit, le public s’approprie la pièce dans diverses situations et d’une façon propre à lui. Il ne rit pas de la même façon, ne pleure pas pour les mêmes raisons. »

Le metteur en scène et sa comédienne restent au fil du temps en perpétuel apprentissage. « Nous tirons des leçons à chaque représentation pour mieux évoluer et changer quelquefois la tonalité d’une phrase ou d’un mot. » Yahya Jaber, poète, auteur, journaliste et metteur en scène, est très exigeant et porte un tel respect au public qu’il n’accepte jamais la facilité ou la légèreté, chaque mot a son importance. « Il nous arrivait, dit la comédienne, de passer une semaine sur un mot. »


L’actrice Anjou Rihane dans la pièce « Mjadra Hamra » de Yahya Jaber. Photo DR

Si l’on se pose la question sur les raisons de ce succès, la comédienne et le metteur en scène le font aussi. « On ne s’attendait pas à cette réception six années plus tard, assure la comédienne, bien sûr on a acquis de la maturité et de l’expérience. Les premières fois, je m’appliquais surtout à délivrer un texte juste. Aujourd’hui, je suis plus à l’aise, j’ai atteint le niveau où je m’amuse sur scène avec le public, j’en fais mon allié », confie Anjou Rihane.

Et le public ne s’en trouve que plus ravi. Pour toutes ses raisons et encore davantage, Mjadra Hamra a gagné sa place sur les planches... et dans la postérité.


L’avis de la metteuse en scène Lina Abyad

Lina Abyad, qui ne connaissait pas la comédienne Anjou Rihane, avoue l’avoir découverte dans la pièce Mjadra Hamra. Elle se confie à L’Orient-Le Jour : « D’abord, elle travaille très juste. Sa précision du jeu quand elle passe d’un personnage à un autre est remarquable. Elle est étonnante, sérieuse et impliquée dans son travail, et cette pièce, sans aucune fioriture, dans une grande simplicité de décor et avec beaucoup de professionnalisme, est une grande réussite. J’aime aussi sa discrétion dans la vie de tous les jours, malgré le succès, elle n’a pas lâché prise, elle a toujours été exigeante envers elle-même et envers son public. »

La prochaine représentation de « Mjadra Hamra » aura lieu le 7 août, à 20h30, au théâtre Monnot. Réservations par WhatsApp : +961 70 912711.

Interprétée pour la première fois en 2018, Mjadra Hamra de Yahya Jaber a été depuis jouée plus de 250 fois, au Liban et à l’étranger. Anjou Rihane, la comédienne (diplômée de la FBAA), a obtenu en 2020, à la 2e édition du Festival national du théâtre libanais, le prix de la meilleure actrice pour un premier rôle. Le festival, organisé par le ministère de la Culture, en...

commentaires (3)

Mmmm... dé-li-cieux

Wlek Sanferlou

14 h 30, le 31 juillet 2023

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Commentaires (3)

  • Mmmm... dé-li-cieux

    Wlek Sanferlou

    14 h 30, le 31 juillet 2023

  • Après le "Addas bi choumar" ("lentilles au fenouil" pièce de théatre en 2022) maintenant le "mjadra hamra" ... Vive la cuisine du Liban Sud et le théatre libanais !

    Stes David

    09 h 49, le 31 juillet 2023

  • J'ai regardé l'extrait de 3mn sur YouTube, que je n'ai pas pu terminer tellement il montre un spectacle de mauvaise qualité, plus proche d'un spectacle de clown que d'une pièce de théâtre. Ça crie, ça hurle, ça braille, sur un ton monotone, aiguë et stressant... c'est ça le théâtre ?

    Souheil Mansour

    08 h 39, le 31 juillet 2023

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