« Dans Perséphone, une histoire à déguster, j’ai mis en œuvre ce que je sais faire : raconter des histoires, ce qui me rattache à mon ancien métier d’institutrice, et cuisiner », lance Joumana Jacob d’une voix à la fois douce et joyeuse. Après des épreuves personnelles douloureuses, la cheffe franco-libanaise a souvent trouvé refuge dans la cuisine. « Cela me permettait de rester connectee aux membres de ma famille que j’avais perdus au Liban, et puis Beyrouth me manquait », ajoute-t-elle sobrement. Après une expérience bordelaise réussie dans la restauration, elle se lance dans l’événementiel et le catering en créant Maison Joumana à Paris où elle réside. Le succès est immédiat et la créativité culinaire enchante ses différents clients de renom, notamment des grandes marques. « Je m’adapte à leur style, leurs couleurs, leurs thèmes, leurs envies, leurs textures, tout en gardant l’influence libanaise », commente l’artiste du goût, dont la sensibilité esthétique s’exprime cette fois dans un livre insolite et transversal, qui raconte une histoire mythologique en convoquant tous nos sens.
Des mots, des images et des recettes à savourer
« Et reviendront le désir de la fleur de jaillir de la terre, la saison des flâneries dans les rues, le voyage du lierre de maison en maison. » La célébration du printemps correspond au retour de Perséphone auprès de sa mère, Démeter, qui avait délaissé la terre après le départ de sa fille. Avant d’être parvenue à cet équilibre, le cheminement a été chahuté. Et c’est de ce voyage initiatique qu’est partie Joumana Jacob dans le tissage original de son ouvrage, où elle réécrit le mythe de Perséphone, tout en y associant « recettes et symboles », un sous-titre à l’image de la double portée de l’œuvre. Les estampes de Virginie Clavreau proposent des contrepoints visuels et colorés, dont les contours fondus évoquent les lignes culinaires généreuses des mets photographiés, et l’écriture onctueuse des textes narratifs et poétiques. Les photos, outre celles de Joumana Jacob, sont signées Alice Gras, Pauline Gouablin, Marianna Stéphanian, Tiphaine Caro et Tadzio Dlugolecki.
« J’ai réécrit le mythe de Perséphone à une période très sombre de ma vie, en 2019, et ça m’a fait du bien. Souvent je fais des repas à thèmes et j’ai proposé les mets associés à cette histoire plusieurs fois : mes amis m’ont vivement encouragée à en faire un livre », confie l’auteure avec émotion. « Il s’agit d’un récit culinaire, je suis partie de la version traditionnelle du mythe, j’en propose une interprétation personnelle, qui ne présente pas l’héroïne comme une victime. Dans ma version, elle n'arrive pas à savoir qui elle est car elle ne se définit que comme la fille de sa mère », poursuit-elle. Koré, comme elle est nommée au début de l’histoire, est aimée d’un amour confortable et démesuré dans un printemps éternel. « Lorsque Perséphone va sentir la fleur interdite, le narcisse, fleur de l’introspection, elle s’interroge sur son identité. J’ai compris comme un choix sa volonté de suivre Hadès au royaume des morts, pour voir ce qu’il se passe de l’autre côté. D’un point de vue analytique, c’est une façon de signifier une démarche de confrontation à la part sombre en nous et dans l’univers », explique-t-elle. La mise en mots accompagne une mise en bouche. Dans le « dress code » du menu, Perséphone est représentée par du labné. « Le lait évoque l’abondance, la jeune enfance, la pureté de Perséphone avant son enlèvement. Sa mère, la déesse des moissons, est incarnée par un pain brioché, dont la forme arrondie évoque des seins. Pour Hadès, du pain au charbon, pour montrer deux visages différents de l’amour », précise Joumana Jacob.
La fugue de Perséphone se cuisine sous forme de rouleaux de shiso au labné ; le voyage au pays des morts par un carpaccio de kaki au sel fumé. Et c’est un flan au sésame noir qui raconte l’arrivée de Perséphone aux enfers.
« Si ce changement est difficile au départ, Perséphone devient la reine des enfers et elle est chargée de laver les morts de leur souffrance en devenant purificatrice », souligne la cheffe qui « cuisine » les mythes. Pour évoquer la purification, un bouillon au poulet et au citron. Et c’est par une allégorie culinaire qu’est évoqué l’amour, avec un carpaccio de Saint-Jacques à la passion. Au chagrin d’Hadès répond la poésie de Perspéhone. « Marchons un peu, mon ami, dans tes rues désertes, où les lanternes seraient des mandarines glacées. Je sais que le bonheur existe. Notre étreinte vaincra la surdité de l’hiver. »
La puissance narrative et symbolique des aliments
« Avant que Perséphone ne remonte sur terre pour la belle saison, Hadès lui fait manger une grenade, pour l’engager à redescendre chez lui», ajoute la fondatrice de Maison Joumana. Pour sceller la promesse de retour de Perséphone aux enfers, un taboulé d’hiver à la grenade.
Le récit se termine par quatre banquets qui épousent le cycle des saisons. « Le banquet de fin d’hiver marque le moment où elle va se séparer d’Hadès pour monter voir sa mère, avec une foccacia au charbon. Elle le mange pour emporter un peu de lui sur terre. Le potiron est au cœur du banquet d’automne, façon kebbé et houmous », poursuit-elle avec entrain. Le plus spectaculaire demeure le gâteau au yaourt et crème mascarpone à l’eau de rose, qui célèbre le retour de Perséphone et du printemps. « C’est aussi le moment de l’acceptation de la réalité comme elle est. » «En écrivant cette histoire, j’avais en tête celle du Liban, et sa descente aux enfers actuelle, avec l’idée que nous nous devons d’espérer le printemps », reconnaît tristement l’autrice.
L’histoire de Perspéhone en 20 recettes se dessine au gré d’images, de saveurs et de mets conçus comme des figures de style qui jouent avec les symboles. Certains plats mettent délicieusement en scène des lieux, des moments ou des émotions.
Joumana Jacob a déjà en tête d’autres récits culinaires. « J’organise parfois le repas des déesses, qui rassemble Tanit, Ishtar, Didon et Perséphone, et je les fais discuter : je suis en train de préparer un nouveau livre autour de cette rencontre. Parallèlement, je souhaite travailler sur Adonis », ajoute-t-elle.
*« Perséphone, une histoire à déguster » est actuellement en vente à la librairie Ofr, 20 rue Dupetit-Thouars, 75003 Paris.
L’ouvrage, qui connaît déjà un fort retentissement dans la presse, a été sélectionné pour le prix Festins féminins de Madame Figaro.
La kebbé de potiron de Joumana Jacob
Pour 8 personnes dans un moule de 24 cm de diamètre
INGRÉDIENTS
Pour la pâte :
1 300 g de chair de potiron
Huile d’olive
2 cuillerées à soupe de cinq-épices (mélange égal en poudre de coriandre, gingembre, cardamone, poivre blanc et cannelle)
130 g de bourghoul
130 g de farine
Coriandre hachée
2 pincées de sel.
Pour la farce :
2 oignons
Huile d’olive
1 cuillerée à soupe de cannelle
70 g de noix concassées
2 cuillerées à soupe de mélasse de grenade
70 g ou 2 grosses poignées d’épinard.
PRÉPARATION
Pour la pâte :
Couper le potiron en deux et l’épépiner.
Le cuire 20 minutes à la vapeur ou au four avec un filet d’huile d’olive. Vérifier la cuisson. Il doit être facile à écraser à la fourchette, sinon poursuivre la cuisson. L’éplucher, récupérer la chair et en faire une purée en l’écrasant à la fourchette. Mélanger cette purée avec le cinq-épices, le bourghoul, la farine, la coriandre hachée et 2 bonnes pincées de sel. Bien malaxer à la main pour que le mélange soit homogène. Laisser reposer 1 heure afin que le bourghoul absorbe l’eau du potiron.
Pour la farce :
Peler et hacher les 2 oignons. Les faire revenir dans l’huile d’olive jusqu’à ce qu’ils deviennent translucides, ajouter 1 cuillerée à soupe de cannelle, saler, poivrer. Concasser les noix et les mélanger à la mélasse de grenade.
Hacher l’épinard au couteau.
LE MONTAGE
Préchauffer le four à 200 °C. Enduire le moule de beurre ou d’huile d’olive et y étaler la moitié de la pâte. La lisser et la recouvrir de farce.
Avec vos mains, étaler sur la farce l’autre moitié de la pâte et en recouvrir tout le plat. Au couteau, faire un léger quadrillage afin que l’huile pénètre bien dans la pâte durant la cuisson. Verser dessus un filet d’huile d’olive et parsemer de graines de sésame ou de nigelle. Enfourner à 200 °C puis, au bout de 5 minutes, baisser la température à 180 °C et laisser cuire encore entre 20 et 30 minutes. Vérifier la cuisson à la pointe d’un couteau, comme pour un gâteau. Sortir du four, c’est prêt !
Servir avec une salade pleine d’herbes et bien citronnée.