Jamais la menace n’a semblé aussi sérieuse. Dans la nuit de jeudi à vendredi, et malgré les appels américains à garder l’Aéroport international de Beyrouth à l’abri des frappes, l’aviation israélienne a mené des attaques ciblant les alentours de la seule infrastructure aéroportuaire du pays. Si cette opération semble être une riposte aux tirs de roquettes, quelques heures auparavant, du Hezbollah à proximité de l’aéroport Ben-Gourion, il n’empêche qu’elle est porteuse de signaux quant à une probable escalade sans limites entre les deux belligérants. De quoi mobiliser le Liban officiel pour (tenter d’) obtenir des garanties internationales sur la sécurité de l’aéroport. Beyrouth se base sur la position des États-Unis, qui avaient déjà exercé des pressions sur leur allié israélien pour préserver l’AIB, à en croire les milieux gouvernementaux et parlementaires libanais.
Au moins quatre frappes, dont une très puissante près de l’AIB, ont eu lieu dans la nuit de mercredi à jeudi, après l’annonce par le porte-parole arabophone de l’armée israélienne, Avichay Adraee, d’une nouvelle séquence de raids visant les quartiers de Ouzaï, Haret Hreik, Hadath et Tahouitat el-Ghadir dont les habitants ont été appelés à évacuer. L’un des bâtiments concernés par cette mise en garde est situé dans une partie nichée entre deux pistes de l’AIB, à Ouzaï, en contrebas de l’autoroute reliant Beyrouth à Saïda. Trois roquettes ont un peu plus d’une heure plus tard atterri à tout juste 200 mètres de pistes d’atterrissage de l’AIB.
« Tout le parking a tremblé »
« Après la frappe tout près de l’aéroport qui a visé un hangar dans le quartier d’Ouzaï, les pistes ont été atteintes d’éclats d’obus, de pierres et de gros bouts de ferraille », révèle à L’Orient-Le Jour une source à l’AIB sous couvert d’anonymat. « Mais les pistes ont été vérifiées et nettoyées tôt ce matin. Les vols ont repris normalement. Les employés sont aussi présents », assure-t-elle, précisant que les bâtiments n’ont pas été touchés. « Quelques lampes et vitres ont juste explosé à cause du souffle », ajoute-t-elle.
Abou Élie, un chauffeur de taxi, se trouvait à l’aéroport au moment de la frappe. « Tout le parking a tremblé », a-t-il dit à l’AFP. « Les gens ont porté leurs valises et se sont mis à courir », a-t-il ajouté, indiquant que le secteur était recouvert d’une épaisse fumée.
Contactée pour davantage d’informations, une source au sein de la Middle East Airlines assure, sous couvert d’anonymat, que ni les locaux ni la flotte de la compagnie nationale d’aviation n’ont subi de dégâts. « Quelques vitres ont juste été soufflées dans les locaux de la compagnie de maintenance », observe-t-elle, précisant que « la frappe israélienne était particulièrement proche de l’aéroport ». L’Orient-Le Jour n’a pas réussi à joindre le directeur général de l’AIB, Fadi el-Hassan, pour plus de précisions. Mais le ministre sortant des Travaux publics, Ali Hamiyé (Hezbollah), a assuré jeudi matin que l’aéroport continuait d’opérer « normalement ». Et le tableau en ligne des départs et des arrivées rapportait un mouvement habituel des vols de la MEA pour la journée de jeudi, sachant que la compagnie nationale est la seule à continuer d’opérer à l’AIB depuis l’assassinat de Hassan Nasrallah, ex-chef du Hezbollah tué le 27 septembre dernier dans la banlieue sud de Beyrouth par une série de violentes frappes israéliennes.
Contacts tous azimuts
De son côté, le Liban officiel a mené, depuis la publication de l’avertissement israélien dans la nuit, une série de contacts diplomatiques pour épargner la seule structure aéroportuaire du pays de la machine de guerre de l’État hébreu. Une source ministérielle confie à L’Orient-Le Jour que le président de la Chambre, Nabih Berry, est entré en contact avec « les parties influentes » pour garantir que l’AIB reste à l’abri des bombardements israéliens. « Il a contacté les Américains et les Français pour faire passer un message clair à Israël : l’aéroport est une ligne rouge à ne pas franchir quel que soit le prétexte », ajoute la source citée plus haut. Une démarche menée en concertation avec le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, qui a lui aussi mené ses propres contacts.
À noter que pour épargner au pays un éventuel blocus, le Liban avait envoyé dès le début du conflit des signaux positifs aux pays occidentaux sur la séparation entre le Hezbollah et l’aéroport où l’armée a renforcé sa présence et ses dispositifs sécuritaires. Ainsi, c’est l’armée qui est en charge de la sécurité de l’aéroport, « depuis plusieurs années », pour reprendre les termes d’une source militaire. Elle souligne qu’une sorte d’accord tacite avait été atteint entre Washington et Tel-Aviv pour ne pas cibler l’AIB tant que l’armée y est présente pour en garantir le bon fonctionnement et empêcher le trafic d’armes ou d’argent pour le compte du Hezbollah. C’est ce qui expliquerait le fait que jusqu’ici l’aviation israélienne n’a pas ciblé l’AIB, contrairement à juillet 2006. L’État hébreu s’était alors acharné contre l’aéroport dès les premiers jours du conflit.
Fait notable, un ministre proche de Nagib Mikati avait confié à L’OLJ que le contrôle sécuritaire de l’armée sur l’AIB et le port est une condition-clé pour l’application de la résolution 1701 des Nations unies (qui avait mis fin à la guerre de 2006 et qui est au centre des négociations diplomatiques en vue de mettre un terme au conflit actuel). « Cela doit inclure tous les points de passage, ainsi que, naturellement, les frontières », avait-il précisé.
Berri se met maintenant à tracer des lignes rouges:-)
07 h 56, le 08 novembre 2024