
Une vue aérienne de l’aéroport de Beyrouth, le 7 mars 2020. Photo d’archives AFP
La guerre est en train de faire bouger les lignes à une vitesse accélérée au Liban. Alors que le Hezbollah est accusé d’exercer un contrôle sur le port et l’aéroport de Beyrouth depuis des années, l’armée libanaise a renforcé son dispositif de sécurité au sein de ces deux institutions, a appris L’Orient-Le Jour auprès d’une source militaire de premier plan.
L’enjeu est important et multiple : il s’agit notamment d’épargner au pays un éventuel blocus, en envoyant des signaux positifs aux pays occidentaux sur la séparation entre le Hezbollah et l’appareil étatique, afin qu’ils continuent de dissuader Israël de cibler ces deux institutions, comme il l’a fait par le passé. Mais c’est aussi un signal que l’armée, et plus généralement l’État libanais, se prépare à l’après-guerre, non seulement dans le cadre de l’application de la résolution 1701 des Nations unies, mais aussi pour mettre en œuvre des mesures pour lutter contre la contrebande et l’évasion fiscale.
Ces deux sites auraient servi de points de transit pour des armes et divers équipements destinés à la logistique, à la fabrication et à l’usage militaire ou sécuritaire du parti chiite. L’un des cas les plus emblématiques de ces accusations reste l’explosion du port de Beyrouth en août 2020, à la suite de laquelle le Hezbollah a été accusé d’avoir importé et stocké le nitrate d’ammonium à l’origine de la déflagration, ce que le parti a toujours nié.
En 2018, dans un discours à l’ONU, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait même présenté une carte de Beyrouth, accusant l’Iran et le Hezbollah de stocker des armes et des explosifs dans trois sites, dont le port de la capitale libanaise. En septembre 2020, il avait également affirmé que le Hezbollah possédait une usine d’armement secrète à proximité de l’Aéroport international Rafic Hariri (AIB).
Reprise en main ?
Ce dernier a été au cœur de nombreux soupçons occidentaux concernant son contrôle réel. Fin juin, le Daily Telegraph rapportait que des sources internes affirmaient que le Hezbollah y stockait d’importantes quantités d’armes, de missiles et d’explosifs. Ces accusations ont été fermement démenties par le ministre des Transports et des Travaux publics, Ali Hamiyé, affilié au Hezbollah. Toutefois, selon nos informations, un tournant décisif s’est produit le 28 septembre, lorsque l’armée israélienne a infiltré le système de contrôle aérien de l’AIB, menaçant de cibler un avion civil iranien s’approchant de l’espace aérien libanais. Face à cette menace, M. Hamiyé a été contraint d’ordonner au vol de faire demi-tour, illustrant la tension extrême autour de ce point stratégique. Israël accuse régulièrement l’Iran de faire transiter des équipements à destination du Hezbollah via des vols civils et des valises diplomatiques.
Sur la scène intérieure, les forces d’opposition au tandem chiite critiquent depuis longtemps la mainmise supposée du Hezbollah sur le port et l’aéroport de Beyrouth, l’accusant de favoriser la contrebande, l’évasion fiscale ainsi qu’un contrôle sécuritaire qui profite avant tout au parti pro-iranien.
En 2023, des voix se sont élevées pour réclamer l’ouverture de l’aéroport de Qleyaat (Akkar), mais M. Hamiyé s’y est opposé, arguant que cela nécessiterait des autorisations sécuritaires syriennes, compte tenu de la proximité de cette infrastructure avec la frontière. Une position qui n’a pas manqué de soulever des critiques sur ses implications en matière de souveraineté.
Des sources douanières ont confié à L’OLJ que la situation a nettement évolué au cours de la dernière semaine. La présence renforcée de l’armée libanaise dans ces installations stratégiques rend désormais toute infraction pratiquement impossible, qu’il s’agisse de trafic d’armes ou d’autres équipements militaires. Les entrepôts sont placés sous une surveillance rigoureuse, réduisant à zéro la marge d’erreur, avancent-elles encore.
Le Liban est-il en train de reprendre le contrôle de ses infrastructures stratégiques ? Cette question alimente les espoirs de ceux qui veulent « voir l’État regagner du terrain face au Hezbollah », pour reprendre les termes d’un député farouchement opposé à l’influence du parti chiite. Selon lui, cette reprise de contrôle ne doit pas se limiter au port et à l’AIB, mais s’étendre également à tous les autres points de passage, qu’ils soient légaux ou illégaux, en particulier à la frontière syrienne. Depuis qu’il a été ciblé par une frappe israélienne la semaine dernière, le principal poste frontalier avec la Syrie, à Masnaa (Békaa), est fermé.
Fait notable, un ministre proche du Premier ministre Nagib Mikati a confié à L’OLJ que le contrôle sécuritaire de l’armée sur l’AIB et le port est une condition-clé pour l’application de la résolution 1701 des Nations unies. « Cela doit inclure tous les points de passage, ainsi que, naturellement, les frontières », précise-t-il. Cependant, cette montée en puissance des mesures de sécurité a provoqué des critiques virulentes de la part des médias proches du Hezbollah, tels que le quotidien al-Akhbar qui, dans un article publié ce vendredi 11 octobre, a dénoncé l’inspection de l’ensemble des hangars et des centres de fret de l’AIB par une délégation sécuritaire de l’ambassade américaine à Beyrouth deux jours plus tôt.
Lutte contre la contrebande et l’évasion fiscale
Sur le plan économique, le renforcement du contrôle sécuritaire de l’armée sur le port et l’aéroport pourrait ainsi contribuer à réduire l’évasion fiscale. Un responsable sécuritaire confie à L’OLJ que les inspections minutieuses de l’armée sur toutes les importations et exportations imposent désormais des déclarations précises quant aux quantités et à la nature des marchandises, ce qui rend plus difficile toute tentative de fraude douanière. Cependant, le même responsable souligne que la question des exemptions douanières dont bénéficient de nombreuses institutions religieuses et communautaires demeure problématique. Notamment parce que certaines factions politiques tirent profit de ces exonérations accumulées au fil des décennies – et renforcées pour la dernière fois en 2000 –, que ce soit à des fins sécuritaires ou d’enrichissement illicite.
Un cadre du ministère des Finances précise que la comparaison entre les importations du Liban et les recettes douanières révèle clairement que l’État perd des revenus importants à cause des exemptions croissantes et de la contrebande. Samir Daher, conseiller de Nagib Mikati, avait estimé en août 2023 que « l’évasion fiscale due à la sous-évaluation des déclarations de la valeur réelle des importations représente 4,8 % du PIB », soit environ 960 millions de dollars pour un PIB estimé à 20 milliards de dollars, et 800 millions de dollars de pertes pour un PIB estimé à 16,2 milliards de dollars.
Le cadre du ministère des Finances explique que ce système dépend en grande partie de la loyauté des douaniers et de hauts fonctionnaires vis-à-vis des entités confessionnelles ou politiques qui les ont placés à ces postes stratégiques. Ainsi, l’application de la résolution 1701 aux points de passage n’exonère pas le gouvernement de la nécessité d’une vaste réforme administrative et douanière. Une exigence déjà formulée par le Fonds monétaire international, mais restée sans suite de la part du gouvernement Mikati.
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15 h 22, le 12 octobre 2024