D’une voix lasse entrecoupée de silences, Hicham Jaber, le fondateur et directeur artistique du théâtre Metro al-Madina, expose son nouveau projet. Le théâtre, à peine déménagé du centre Saroulla à l’Aresco Palace, n’a connu que de rares répits en 12 ans d’existence. « Nous avons ouvert en 2012 et depuis, les baffes n’ont cessé de pleuvoir », dit calmement, de son timbre feutré, celui qui a bouleversé la scène libanaise avec des comédies musicales insolites, grinçantes, hypnotiques, inspirées de la tradition urbaine de Beyrouth et de l’âge d’or du cinéma égyptien, mais aussi du spectacle absurde de la vie politique au Liban. Metro al-Madina s’est par ailleurs offert comme un espace inédit de liberté, ouvrant tour à tour ses planches à des formations soufies, de grands concertistes du oud ou des musiciens indépendants de tous les horizons du monde arabe.
« Les arts sont les premières victimes des crises et des guerres », souligne Hicham Jaber, et d’énumérer les coups qui ont paralysé Metro al-Madina depuis sa création, jusqu’à la mise à l’arrêt de la salle le 18 septembre dernier, quand le rideau est tombé sur Laziz, la dernière pièce en date. Ces coups, le public les a subis tout autant. « Attentats, combats contre Daech, thaoura, crise financière, Covid, explosion du 4 août 2020, et maintenant la guerre », détaille le metteur en scène pour qui seule une période de grâce, entre 2014 et 2016, a permis de consolider le projet. « C’est comme un jeu vidéo ; on traverse des épreuves pour passer au niveau suivant qui est de plus en plus dur à mesure qu’on avance. Mais ça finira par s’arrêter », soupire Jaber. Mais au-delà de ce jeu hystérique, encore faut-il payer le loyer du théâtre et les salaires des employés. « Comme on ne peut plus donner de spectacles vivants, tant parce que le moral n’y est pas que pour d’évidentes raisons sécuritaires, il a fallu trouver un moyen de générer un peu de revenu. Comme au temps du Covid, le streaming est la première idée qui nous est venue à l’esprit », explique encore Hicham Jaber.
« Il faut que nous nous en sortions ensemble »
Depuis le 1er novembre (et jusqu’au 30), il est donc possible, sur le site web de Metro al-Madina, d’acheter des billets comme pour un spectacle ordinaire, de réunir sa tribu et de s’offrir 1h30 de divertissement pur sur fond de caricature politique. Le choix de la comédie musicale Political Circus s’est imposé de lui-même, explique le directeur artistique du théâtre. « Ce spectacle, donné pour la première fois en 2017, nous a paru le plus pertinent pour une diffusion publique par les temps qui courent. Entièrement composé et produit en interne, avec l’implication d’une quarantaine de personnes, entre comédiens et techniciens, il aborde la boucle infernale dans laquelle s’est enferré le Liban politique, comment tout a commencé et comment on finit toujours par en arriver là où nous sommes », explique Hicham Jaber, lui-même auteur et metteur en scène de la pièce. « On n’allait pas proposer Hichik Bichick ou Bar Farouk », ajoute-t-il, en référence aux deux blockbusters du théâtre, deux pièces musicales et festives à souhait, qui ont drainé des milliers de spectateurs vers l’ancien cinéma en sous-sol du Saroulla, resté dans son jus depuis les années 1960. Outre le visionnage en ligne, des perspectives de projeter la pièce en salle, entre Montréal et Paris, sont en cours d’étude.
Sous le slogan « Il faut que nous nous en sortions ensemble », Metro al-Madina s’accroche et prépare l’après, parce que s’arrêter n’est pas une option. « En 12-13 ans, nous avons tissé des liens chaleureux avec notre public. Nous avons tissé ensemble de belles histoires. Nous avons fouillé les archives pour produire des récits du passé qui parlent au présent. Ce projet vivra tant que vivra Beyrouth. Tant que la ville cherchera ce genre de respiration, ces reflets qui lui ressemblent. Cela ne doit pas s’arrêter. Notre pays est ainsi, et finalement nous l’aimons malgré tout. Il faut que les gens prennent conscience de ce qu’ils ont. Qu’ils le traitent avec plus de gentillesse », plaide Jaber.
Entraide et nouveau spectacle sur le feu
En attendant des jours meilleurs, la troupe mène campagne pour les déplacés dont le nombre grossit de jour en jour. Cette campagne, « Fi houb annazihin » (Pour l’amour des déplacés), s’est jusqu’à présent développée en trois volets. Le premier s’est concentré sur les écoles d’accueil, avec une collecte de produits de première nécessité pour les arrivants. À présent, les aides se dirigent vers les familles réfugiées dans des maisons en location, qui ont perdu toute source de revenu et qui ne sont pas répertoriées pour recevoir une assistance. Enfin, des levées de fonds sont organisées à Montréal grâce à l’association Kaza Maza.
Et parce que, pour l’instant, le seul horizon possible pour le théâtre libanais est l’expérience virtuelle, Hicham Jaber enchaînera avec un nouveau spectacle pour finir l’année. Il aura la forme d’un journal télévisé sous l’intitulé Donnez de vos nouvelles.
Des promesses du jongleur à l’éthique du funambule
Quant à Political Circus, cette comédie musicale est un spectacle complet mêlant des éléments de fantaisie, de cirque et de magie pour créer un monde vibrant où tout est possible. Accompagnés d’une partition orchestrale luxuriante où s’enchaînent compositions classiques, musique folklorique et jazz, les citoyens hauts en couleur de Kherbet al-Ahlam (La ruine des rêves) se préparent à l’événement le plus attendu de l’année : les grandes élections. Cependant, il n’y a qu’un seul candidat, Abou Fes, dont le directeur de campagne éblouit les démunis et les opprimés à coup de grandes promesses de prospérité et de changement. Political Circus est rythmée par des numéros de chant et de danse entraînants, tandis que l’unique candidat se mesure à lui-même dans une série de concours scandaleux – allant des promesses du jongleur à l’éthique du funambule. Bien qu’elle n’ait été présentée qu’une fois au festival de Beiteddine, en 2017, la pièce est d’une actualité remarquable. Elle illustre comment le pouvoir et l’illusion se heurtent à la tragédie, poussant les citoyens ruinés vers une inéluctable émigration.
« Political Circus », du 1er au 30 novembre. Billets en ligne sur le site web de Metro al-Madina.
Voilà une excellente idée ! Les Libanais vivant à l'étranger vont enfin pouvoir accéder aux représentations artistiques du Liban. En France il est possible d'assister à un spectacle sur place ou en direct depuis son canapé. Les théâtres devraient généraliser ce moyen de diffuser leurs spectacles. En tous cas merci pour cet article, c'est une bonne nouvelle pour les amateurs !
00 h 44, le 04 novembre 2024