Toc toc ! C’est un singulier visiteur du soir qui, le week-end dernier, frappait quasiment à la porte de la luxueuse résidence de Benjamin Netanyahu sous la forme d’un missile tiré par le Hezbollah, et qui a pris en défaut la défense antiaérienne israélienne. L’alerte a été assez chaude pour susciter la fureur meurtrière du Premier ministre israélien, et le pilonnage de notre pays a redoublé d’intensité tout au long des derniers jours. Sans cesser un seul instant de charcuter le cerveau et les muscles de la milice, c’est le nerf de toute guerre, l’argent, que l’ennemi s’efforce maintenant de trancher en démantelant le réseau financier autonome dont s’est doté le Hezbollah sur une large partie du territoire. Des dizaines de millions de dollars en beaux billets auraient ainsi été réduits en cendres sur le monumental bûcher.
Toc toc et retoc ! C’est dans ce contexte on ne peut plus brûlant que deux distingués voyageurs américains viennent de s’inviter dans la région. Pour sa onzième mission du genre à Tel-Aviv, le secrétaire d’État Antony Blinken tentait sans trop y croire, hier, de gagner Netanyahu à l’idée d’une trêve à Gaza. Il a également plaidé pour une solution diplomatique au Liban et appelé Israël à la retenue face à l’Iran. Plus disert à propos du cas libanais s’était montré, la veille à Beyrouth, l’émissaire spécial Hochstein, devenu la coqueluche du pouvoir local pour avoir fait office de médiateur dans la délimitation de la frontière maritime libano-israélienne. Pour le Dear Amos, la résolution 1701 du Conseil de sécurité demeure la base de tout règlement, mais elle n’est plus désormais suffisante, comme l’a amplement démontré l’expérience du passé. Des ententes négociées et entérinées hors ONU doivent donc accompagner ce texte pour le rendre applicable, pour que l’armée régulière libanaise et la force internationale (Finul) soient enfin seules présentes au Liban-Sud.
On imagine déjà l’énergie et le temps qu’il va falloir pour négocier de tels arrangements à l’ombre d’une configuration échappant à tout entendement. Ce qu’on a là, c’est en effet un pouvoir légal libanais incarné par un chef de gouvernement démissionnaire et un chef de législatif cultivant les ambiguïtés : allié du Hezbollah, il est néanmoins favorable à la détente. En revanche, le couple reste tragiquement dessaisi de toute décision à caractère militaire, celle-ci demeurant accaparée par une milice fidèle à son parrain iranien et résolue, quant à elle, à la poursuite de la guerre. En s’élevant, la semaine dernière, contre la prétention de Téhéran à négocier avec Paris les modes d’application de ladite résolution onusienne, le Premier ministre a paru vouloir faire d’une pierre deux coups. Il a certes dénoncé, pour la première fois d’aussi claire et abrupte manière, les visées hégémoniques persanes ; il est même revenu à la charge pour déplorer l’indésirable excès de sollicitude que nous voue la République islamique. Mais n’était-ce pas ainsi rappeler aux faiseurs de paix que la seule et unique intervention souhaitable, sinon nécessaire, de la part des mollahs serait d’amener le Hezbollah à composition ? Que par la pression ou la négociation, à l’aide du bâton ou de la carotte, il va falloir inclure le facteur iranien dans les grandes manœuvres en cours ?
Pour se hasarder à son grand déballage, Nagib Mikati n’a sans doute pas mangé du lion, pas plus qu’il n’a bu la potion magique du druide Panoramix ; il n’a pu s’y résoudre que fort de l’encouragement et du soutien massif de la communauté internationale. À la tête d’un gouvernement d’expédition des affaires courantes qui passait pour être celui du Hezbollah, il se retrouve, bien que dans des conditions plus dures encore, dans une position similaire à celles qu’ont connues deux de ses prédécesseurs : lesquels n’ont pas été payés de retour. En 1996, Rafic Hariri usait efficacement de son carnet d’adresses pour mettre fin à la sanglante opération Raisins de la colère lancée par Israël en obtenant un accord international sur l’interdiction des tirs contre les populations civiles qui pour la première fois engageait, sans les citer nommément, les groupes armés du Liban ; il était assassiné près d’une décennie plus tard dans un attentat que le Tribunal spécial pour le Liban imputait à des cadres du Hezbollah. En 2006, c’est le gouvernement de Fouad Siniora qui suscitait un vaste branle-bas diplomatique pour stopper les agressions israéliennes, mais seulement pour se voir assiéger deux ans plus tard par la milice.
En politique bien davantage que sur nos splendides plages envahies de détritus, hautement périlleuse est décidément, au Liban, la profession de maître-nageur : ce vigilant athlète en maillot rouge constamment prêt à piquer une tête pour repêcher les baigneurs par trop imprudents. Surtout quand ce n’est pas sous le seul feu du soleil que sont en train de rôtir nos rivages, nos villes et villages. Et encore plus quand le maître-nageur a lui-même besoin d’une secourable bouée internationale pour se décider à faire le plongeon.