
Le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, avant une conférence de presse vendredi 18 octobre 2024, au Grand Sérail. Anwar AMRO / AFP
C’est une première. Le Premier ministre sortant Nagib Mikati s’est insurgé vendredi matin contre des propos du président du Parlement iranien Mohammad Ghalibaf, publiés la veille dans un entretien et dans lesquels il a laissé entendre que Téhéran serait prêt à négocier avec Paris un cessez-le-feu au Liban sur la base de l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité. Une déclaration qui érige l’Iran en porte-parole du Liban en lieu et place de ses autorités officielles.
Dans un communiqué, M. Mikati s’est dit « surpris » par la déclaration faite par le chef du législatif iranien dans son entretien avec le quotidien français Le Figaro. Cette prise de position « constitue une ingérence flagrante dans les affaires libanaises et une tentative d’établir une tutelle inacceptable sur le Liban », a écrit le Premier ministre sortant. Il affirme avoir « informé » lors de leurs récentes visites les responsables iraniens, notamment M. Ghalibaf et le chef de la diplomatie Abbas Araghchi, de « la nécessité de comprendre la situation libanaise ».
Lors de sa visite au Liban, le chef du législatif iranien a déclaré qu’à l’issue de sa tournée, il se rendrait à Genève et porterait avec lui « les problèmes des peuples libanais et palestinien opprimés ». Une mission dont il s’est auto-investi sans en avoir été officiellement chargé par le gouvernement libanais. Sa visite, le 12 octobre, survenait dix jours à peine après celle du ministre iranien des Affaires étrangères. Un ballet diplomatique iranien destiné à marquer que le Liban reste la chasse gardée de Téhéran. C’est dans cette perspective qu’il faudrait interpréter la déclaration de M. Ghalibaf lors d’une conférence de presse organisée à l’issue de sa rencontre avec son homologue Nabih Berry. « La République islamique soutiendra certainement les décisions du gouvernement libanais, du peuple libanais et de la résistance », dans une allusion au Hezbollah. Une manière de rappeler que la formation chiite a son mot à dire dans le cadre du règlement de la crise que tente de négocier le gouvernement libanais.
« La provocation de trop »
« Nous travaillons avec tous les amis du Liban, y compris la France, pour faire pression sur Israël » afin de parvenir à un cessez-le-feu, a ajouté Nagib Mikati, qui a souligné que les négociations sur la mise en œuvre de la 1701 sont aux mains « de l’État libanais ». Il a dans ce cadre rejeté toute tentative d’« imposer de nouveaux mandats » sur le Liban « qui sont rejetés par toutes les considérations nationales et souveraines ».
Après la publication de ce communiqué, Nagib Mikati a également demandé au ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib, de convoquer le chargé d’affaires de l’ambassade d’Iran à Beyrouth afin de l’interroger sur les propos de Mohammad Ghalibaf. Il a demandé au chef de la diplomatie d’informer le chargé d’affaires iranien de la position officielle libanaise à cet égard.
C’est la première fois que le chef du gouvernement libanais, qui était resté très prudent sur ce sujet depuis le début de l’escalade israélienne au Liban, exprime une critique aussi frontale à l’encontre de l’Iran. Un sursaut souverainiste que certains observateurs ont expliqué par la volonté du chef de l’exécutif de montrer patte blanche à la communauté internationale, qui s’active aujourd’hui à trouver un cessez-le feu à la guerre en cours, voire même de s’affirmer sur la scène interne.
« Les propos de M. Ghalibaf sont la provocation de trop, la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La réaction de Nagib Mikati s’explique du fait qu’il s’agit d’un empiètement direct sur ses prérogatives. Jusque-là, de tels propos étaient exprimés de manière tacite, sauf qu’il s’agit là d’une déclaration assumée et décomplexée. Reste à voir si le Premier ministre maintiendra cette ligne louable. Il faut l’espérer, mais aussi en douter quand on connaît l’itinéraire politique du personnage », commente pour L’Orient-Le Jour Karim Bitar, politologue.
Propos « totalement erronés »
Une source proche de M. Ghalibaf, citée par la chaîne pro-iranienne al-Mayadeen, a ultérieurement affirmé que les propos rapportés par Le Figaro étaient « totalement erronés ».
La veille, le député du Hezbollah Hassan Fadlallah avait assuré que les négociations sur un cessez-le-feu étaient « aux mains du président du Parlement Nabih Berry, en coopération avec M. Mikati », et précisé que le parti chiite « coordonnait » avec M. Berry, interlocuteur privilégié du Hezbollah.
Dans son interview, M. Ghalibaf avait affirmé souhaiter « un cessez-le-feu aussi rapide que possible » au Liban-Sud. Pour atteindre cet objectif, le président du Parlement iranien affirmait que son pays serait prêt à négocier concrètement les mesures d’application de la 1701 avec la France, qui agirait en pays médiateur entre le Hezbollah et Israël.
La résolution 1701 du Conseil de sécurité, adoptée pour mettre un terme à la guerre de juillet 2006, prévoit notamment le retrait du Hezbollah des zones au sud du Litani ; le déploiement de l’armée libanaise dans ces secteurs et, puis, à terme, la mise en œuvre de la résolution 1559. Ce texte, qui date de 2004, exige en effet le désarmement des « milices libanaises et non libanaises » au pays du Cèdre.
« Une lueur d'espoir »
Le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a salué la réaction du Premier ministre sortant. « Ce que Nagib Mikati a dit aujourd'hui en réponse au président du Parlement iranien donne une lueur d'espoir que l'État libanais, même si cela arrive trop tard, commence à assumer ses responsabilités », a écrit Samir Geagea dans un bref communiqué. « Ce qu'a dit M. Mikati exprime le point de vue de tous les Libanais, et nous souhaitons qu'il continue sur cette voie en disant que le gouvernement libanais exige un cessez-le-feu basé sur la mise en œuvre des résolutions 1559, 1680 et 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies », a-t-il déclaré, estimant que c'est « le seul moyen de mettre fin aux massacres ».
La résolution 1559 (2004) du Conseil de sécurité de l'ONU appelle notamment au désarmement et la dissolution de toutes les milices sur le territoire libanais. La 1680, adoptée en 2006, appelle à la pleine mise en œuvre de la résolution 1559. La résolution 1701 (2006) a pour objectif de mettre fin aux hostilités entre le Hezbollah et Israël, le Conseil appelant à un cessez-le-feu permanent fondé sur la création d'une zone tampon.Le député Simon Abi Ramia, qui a claqué la porte en août dernier du Courant patriotique libre, a lui aussi « salué » la réaction de M. Mikati. Pour le député, cité dans un communiqué du Grand sérail, le Premier ministre a rempli son obligation « naturelle », qui consiste à défendre la souveraineté libanaise, et a contribué à faire primer « l'intérêt national suprême sur les intérêts de tous les autres pays. »
Je pense qu'il l'a fait pour sa propre pomme pas pour le Liban... Il l'a fait pour que l'Arabie saoudite ne lui file pas une raclée comme à HARIRI fils
19 h 24, le 19 octobre 2024