Le chemin de Baabda est-il désormais (un peu plus) ouvert devant Joseph Aoun ? Cette question se pose dans les milieux politiques depuis la relance du débat autour de la présidentielle dans la foulée de la guerre entre Israël et le Hezbollah au Liban. Car aux yeux de la communauté internationale, ce n’est pas n’importe quel président qui devrait être élu dans les plus brefs délais. Aussi bien plusieurs protagonistes locaux, à commencer par le président de la Chambre Nabih Berry (qui a abandonné la condition du dialogue avant l’élection), que de grandes puissances pressent pour que soit mené à Baabda rapidement un chef de l’État consensuel, une option longtemps associée au nom du commandant en chef de l’armée, présenté comme bénéficiant notamment de l’appui des États-Unis. Washington estime en effet que c’est le bon moment pour arracher à un Hezbollah affaibli par Israël l’élection d’un nouveau président de la République. Sauf que dans le contexte actuel, une telle démarche ne serait pas sans rappeler l’élection de Bachir Gemayel en 1982. Le leader chrétien avait en effet accédé à la magistrature suprême deux mois après l’invasion israélienne de juin. De quoi pousser les détracteurs de Gemayel à dénoncer « l’élection d’un président sur un char israélien ». Plus de quatre décennies plus tard, certains observateurs disent craindre une réédition de ce scénario, au vu du contexte de la guerre et des revers que le Hezbollah a subis ces dernières semaines. Une autre vision des choses exclut cette éventualité, le Hezbollah demeurant un acteur influent qui a son mot à dire dans la présidentielle, indépendamment de la guerre qui bat son plein.
Ce sont des informations publiées récemment par le site web américain Axios qui ont suscité la querelle. « La Maison-Blanche entend profiter du coup dur porté par Israël au Hezbollah afin de presser en faveur de l’élection d’un président au Liban dans les prochains jours », a écrit le site il y a quelques jours, ajoutant que le chef de l’armée Joseph Aoun, « soutenu par les États-Unis et la France », est un des candidats à la présidentielle.
Depuis plusieurs mois, l’éventualité d’un appui américain à l’option Aoun est évoquée dans les milieux politiques et médiatiques, d’autant que Washington est compté parmi les plus grands soutiens à l’institution militaire, appelée à jouer un rôle important dans la phase de l’après-guerre. Mais certains proches du parti de Dieu ne voient pas les choses ainsi. Dans une interview accordée au site web Lebanon debate, le cheikh Sadek Naboulsi, réputé proche du Hezbollah, s’est voulu très clair : « (L’élection de) Joseph Aoun ne passera pas sur un char américain. » « Ces propos ne reflètent pas la position officielle du Hezbollah », confie cependant à L’Orient-Le Jour une figure proche du parti chiite qui a souhaité garder l’anonymat. Elle fait savoir que « Joseph Aoun était le plan B du parti, après le chef des Marada, Sleiman Frangié ». Mais la formation jaune, dont Washington est un ennemi juré, pourrait-elle avaliser une candidature voulue par Washington ? « Joseph Aoun figurait sur la liste des présidentiables du Hezbollah depuis longtemps. Tel était même le cas lorsque les Américains se prononçaient pour Jihad Azour (ancien ministre des Finances qui avait fait l’objet d’une convergence entre l’opposition et le Courant patriotique libre) », dit encore cette figure gravitant dans l’orbite de Haret Hreik. Dans certains milieux politiques, on fait même valoir que le Quintette impliqué dans le dossier libanais (États-Unis, France, Arabie saoudite, Égypte, Qatar) ne verrait pas de problème à l’élection du chef de l’armée à la tête de l’État. Une information que L’OLJ n’était pas en mesure de confirmer lundi, le groupe des Cinq s’en tenant à sa position officielle : le Quintette ne se mêle pas des noms de présidentiables. Ce qui lui importe, c’est que les protagonistes libanais s’entendent et comblent le vide à Baabda le plus rapidement possible.
Toujours est-il que le dernier clin d’œil américain en direction de Joseph Aoun divise les tenants du pouvoir politique. D’après nos informations, le Premier ministre sortant, Nagib Mikati, s’est montré favorable à cette option, tout comme l’opposition, quoique de manière encore officieuse. En face, le président de la Chambre Nabih Berry, rejoint sur ce point par le chef druze Walid Joumblatt, s’est prononcé pour une candidature « consensuelle », ce qui revient à dire que dès lors qu’elle est avancée par Washington, celle du chef de l’armée ne l’est plus.
Quoi qu’il en soit, personne ne se fait d’illusions. Un accord sur la présidentielle ne pourra pas voir le jour sans un « oui » du parti de Dieu. « Il est faux de parier sur la guerre en cours pour imposer à un Hezbollah affaibli un président », explique à L'OLJ Mohammad Obeid, analyste proche de la formation jaune, appelant à attendre la fin du conflit avant de se prononcer sur ce plan. « Je crois qu’il est encore très prématuré d’évoquer le scrutin. Car il n’aura pas lieu avant la fin des affrontements. Ensuite je vois très mal (le président de la Chambre) Nabih Berry convoquer une séance parlementaire dédiée à la présidentielle avant que les canons ne se taisent », appuie Karim Bitar, politologue, soulignant que cela n’a rien à voir avec la personne de Joseph Aoun. « Même si ce dernier est la figure consensuelle qui semble désormais avoir le plus de chances de gagner l’élection », dit-il. D’ailleurs, dans les cercles proches de Yarzé, on exclut catégoriquement le fait de voir le chef de l’armée accepter de combler le vide à Baabda avant de s’assurer que le Hezbollah a avalisé un tel accord.
L’obstacle Bassil
De toutes les façons, on n’en est pas encore là. Outre le parti chiite qui a le regard rivé sur le terrain, le numéro un de l’institution militaire doit encore obtenir le feu vert explicite des protagonistes de l’opposition, dont les Forces libanaises. Celles-ci étaient parmi les premiers à proposer le nom de Joseph Aoun en tant que candidat consensuel. « Il est vrai que le chef de l’armée pourrait faire l’objet d’une entente élargie. Mais à ce stade, nous n’allons pas lâcher Jihad Azour, ou du moins pas avant que le camp adverse n’abandonne clairement Sleiman Frangié », lance le porte-parole des FL, Charles Jabbour. Une position qui complique la tâche au général. Car les FL détiennent une des clés du principe de la « conformité au pacte national » pour ce qui est de la représentativité des chrétiens. Ce privilège, Meerab le partage avec son plus grand adversaire chrétien, le CPL de Gebran Bassil. Tout en voulant s’affirmer comme l’élément incontournable dans le choix d’un candidat consensuel, le député de Batroun semble toujours s’en tenir à son veto à l’élection de Joseph Aoun, le présidentiable qui pourrait lui disputer sa base populaire. De quoi mettre le Hezbollah dans une position critique si un accord venait à être conclu autour de l’option Aoun. « Le Gebran Bassil d’aujourd’hui n’est plus le même qu’au début de la course présidentielle », déclare Mohammad Obeid, rappelant que le bloc parlementaire du CPL est passé de 17 à 13 députés (après les récentes exclusions et démissions de certains députés). « Il n’a donc plus le même poids, même s’il continue de peser dans la balance », souligne-t-il, excluant le fait de voir le Hezb chercher à ménager son (ancien ?) allié après les sérieuses secousses ayant traversé les rapports entre les deux alliés, tant à cause de la présidentielle que de la guerre en cours.
Ce n’est plus un secret pour personne . Les Libanais ont compris Les ambitions du général Joseph Aoun.. D’ailleurs, ses fréquentes navettes aux États-Unis en disent long . Cependant, on dirait que c’est devenu comme un rituel d’avoir à Baabda un président issu de l’armée nationale devenue extrêmement passive.
14 h 01, le 08 octobre 2024