« Merci de m’accueillir, Tripoli est tout aussi heureuse de vous accueillir », lance le rappeur Hamza Abdelkadi, mieux connu sous son nom de scène Dowar, à la fin de son spectacle vendredi 5 septembre au cœur du quartier de Mina.
En dépit du conflit au sud du pays et de la crise économique qui empoisonnent la vie quotidienne des Libanais, de nombreuses personnes ont fait le déplacement ce soir-là à Tripoli, pour le deuxième festival de musique annuel Rumman – le seul événement indépendant de ce genre dans la ville –, qui avait été annulé à l’automne 2023 en raison de la guerre à Gaza.
« Pour nous, il ne s’agit pas seulement d’un festival de musique », tient à préciser Mohammad-Yahya Tahan, coordinateur des événements et de l’administration de Rumman. « C’est notre façon de valoriser notre ville et de faire entendre notre voix. C’est aussi une façon pour nous de relancer la scène musicale du pays, qui a été fortement touchée par la guerre », assure l’administrateur.
Cette année, le festival de trois jours a été réorganisé et déplacé au Studio Kawalis, un ancien cinéma devenu salle de concert, du 5 au 7 septembre. Rumman a supervisé la transformation du bâtiment, qui a été achevée juste à temps pour accueillir plus de 450 invités.
« Nous venons de compléter la rénovation depuis à peine quelques jours », précise Mohammad-Yahya Tahan. Lors de l’achat des billets en ligne et à l’entrée du festival, les visiteurs sont invités à faire un don pour soutenir les artistes de Gaza par l’intermédiaire de la Delia Arts Foundation.
Le spectacle doit continuer
Cette année, la ville a été désignée capitale culturelle du monde arabe – un titre qui lui avait été attribué en 2023 mais qui a été reporté parce que « la municipalité n’était pas suffisamment préparée à l’époque » et n’avait pas les ressources nécessaires pour organiser de nombreux événements culturels, avait expliqué Mohammad al-Tannir, cofondateur et directeur de Rumman, à L’Orient Today.
Après cinq années d’une crise économique qui a particulièrement frappé Tripoli et le Liban-Nord, la scène culturelle libanaise est aujourd’hui gravement touchée par le conflit en cours au Liban-Sud et par la guerre à Gaza. Rumman a dû composer avec des ressources financières limitées, des annulations dues à l’instabilité régionale et un sentiment de désespoir persistant qui l’a presque poussé à abandonner. Malgré ces difficultés, Rumman, les artistes et la ville sont restés convaincus de l’importance de leur travail.
« Le rap levantin est politique. C’est notre façon de résister »
« Pour ma part, lorsque la guerre a commencé, j’ai cessé d’écrire et de jouer », confie Raed Gheneim, rappeur palestinien connu sous le nom de Soot Gilgamesh, qui est monté sur scène après Dowar. « Mais au cours des onze derniers mois, ma perception de l’importance de notre travail a changé », nuance-t-il.
« Le rap dans les pays du Levant est unique en son genre parce qu’il est politique, social, poursuit l’artiste. Maintenant, je crois qu’au lieu de nous arrêter, nous devons aller plus loin. C’est notre façon de résister. »
Debout face aux séquences animées projetées sur ce qui était jadis un écran de cinéma, Soot Gilgamesh raconte son enfance dans un camp de réfugiés palestiniens à Damas. Dans la foule, Samia Sbeiti, 72 ans, danse au son de sa musique.
« C’est la première fois que j’assiste à un concert de rap », dit-elle en riant, ajoutant qu’elle ne manque jamais un spectacle musical à Tripoli.
« J’étais même là hier pour le premier jour du festival », assure la septuagénaire mélomane.
Le premier jour du festival a mis l’accent sur la musique rock libanaise, tandis que la nuit de vendredi à samedi a été réservée à la scène de rap arabe, accueillant les artistes résidents libanais Dowar et Soot Gilgamesh, l’artiste soudanais 249TooDope et le rappeur égyptien El Waili. Celle de samedi a accueilli un concert de la palestinienne Salwa Jaradat et du libanais Etyen, tandis que d’autres ont dû annuler leur performance en raison du conflit en cours.
« C’est une belle chose de voir tous ces gens venir ici, soupire Samia Sbeiti. En tant qu’habitants de Tripoli, nous sommes frustrés par la façon dont notre ville est représentée dans les médias. »
Au final, ce que les rues de Mina ont vu ce soir-là, ce sont des centaines de personnes venues non seulement de Beyrouth, mais aussi de régions situées plus au nord et plus au sud de la capitale. Même en marge du festival, les commerçants locaux, qui ne connaissaient peut-être pas Rumman ou l’événement en tant que tel, ont accueilli chaleureusement les festivaliers en diffusant de la musique libanaise, en installant des chaises pour les fumeurs de narguilé et en organisant leurs propres rassemblements impromptus, désireux de prendre part aux réjouissances.
« Pour une fois, Beyrouth est venu à nous, se réjouit Loulwa Kalassina, spectatrice de 24 ans. J’ai l’impression que la scène musicale est morte ici depuis un certain temps, alors c’est incroyable de la voir revivre. »
« En général, on voit des musiciens des quatre coins du pays se rendre à Beyrouth pour y trouver leur place, estime Dowar. C’est très bien, mais nous devons commencer à déplacer ces espaces vers d’autres villes que la capitale. »