C’est par message vocal, en pleine nuit, que Lany*, travailleuse domestique, se confie. Elle fait partie des rares à oser parler : la Philippine veut fuir le Liban par crainte que le conflit entre Israël et le Hezbollah, principalement limité au sud du pays, ne dégénère en guerre « totale ».
« Je veux rentrer chez moi », souffle-t-elle. « Mais Madame refuse. Elle a dit qu’elle ne voulait pas me libérer » car « mes années de contrat ne sont pas terminées. » Puis, « il serait difficile de trouver quelqu’un de confiance comme moi », rapporte Lany, 38 ans, venue au Liban il y a près de 17 ans pour « offrir un avenir meilleur » à ses enfants. « Ça me rend triste… » conclut-elle simplement.
La mère de famille est rattachée au système de la « kafala », qui exclut les employés de maison du code du travail et les rend dépendant de leurs employeurs, à l’instar d’environ 250 000 femmes au Liban, venues des Philippines, d’Éthiopie, du Sri Lanka, du Népal ou de Madagascar, selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), selon un recensement datant de 2019. Mais ce chiffre serait toutefois passé à 180 000, selon l’association Anti-Racism Movement (ARM), après le déclenchement de la crise économique en 2019 et l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020.
Des hauteurs du caza de Jbeil, Lany se trouve à plus d’une centaine de kilomètres de la frontière. « Je suis loin de la guerre, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver », se justifie-t-elle. « En plus, le gouvernement des Philippines nous donne une aide financière si l’on souhaite partir. Ça me conforte dans mon choix. » Contactée, l’ambassade des Philippines n’a pas répondu à nos sollicitations. Elle a toutefois communiqué sur son compte Facebook avoir évacué 27 de ses ressortissants entre les 14 et 16 août dernier.
Alors, partir ou rester ? En réalité, la question ne se pose pas vraiment pour ces travailleuses domestiques. D’un côté, le coût des vols, le refus de l’employeur, ou encore les papiers non à jour sont tout autant d’obstacles qui les empêchent de partir. De l’autre, l’insécurité dans leur pays, le chômage et la nécessité de continuer à aider financièrement leur famille à partir du Liban les forcent à rester.
« Je n’ai rien là-bas »
C’est après avoir entendu les bangs supersoniques de l'aviation israélienne à Beyrouth que Sandra*, qui a quitté l’Éthiopie pour le Liban il y a 10 ans, a commencé à craindre le pire. « Pour la première fois, j’ai ressenti le danger… Je ne veux pas mourir ici », lâche-t-elle au téléphone. Mais la trentenaire, qui tente de partir du Liban par tous les moyens, est livrée à elle-même. Son salaire ne suffit pas pour réserver un vol retour. « C’est beaucoup trop cher », rapporte-t-elle, ajoutant qu’aucune évacuation n’a été prévue par le consulat d’Éthiopie au Liban. Contacté, ce dernier n’a pas été en mesure de nous donner plus d’informations.
Alors que la tension était montée d’un cran fin juillet au Liban et dans la région, après les assassinats de Fouad Chokor, un haut gradé du Hezbollah, dans la banlieue sud de Beyrouth, et d’Ismaïl Haniyé, chef du Hamas, à Téhéran, de nombreuses chancelleries avaient demandé à leurs ressortissants au Liban de quitter le pays. Nebiyu Tedla, porte-parole du ministère des Affaires étrangères d’Éthiopie, avait annoncé, lors d’une conférence de presse diffusée sur le réseau social X le 17 août par le média éthiopien Addis Standard, qu’aucune évacuation n’était prévue dans l’immédiat. Il avait également rapporté qu’un comité intérimaire avait été établi pour « s’assurer que les plus de 150 000 Éthiopiens au Liban sont loin du danger » et pour « préparer un plan sur la façon de sauver les citoyens et les diplomates » si la situation venait à se détériorer.
Agnès*, qui travaille au Liban depuis 7 ans, craint que la guerre s’étende mais « ce n'est pas pire que la vie en Éthiopie », insiste-t-elle. « Je ne trouverai pas d'emploi, je n'aurai pas d'argent. Ce sera très difficile. Je n’ai rien là-bas. » Pourtant, sa vie a été chamboulée : la famille pour laquelle elle travaillait a fui le pays il y a deux mois craignant un embrasement du conflit. Elle se retrouve donc à devoir payer un loyer, alors qu’elle peine à trouver des petits boulots. « Avant j'envoyais une petite somme à ma famille pour les aider. Maintenant, je ne peux plus du tout », dit-elle.
Rester dans un Liban en guerre ou retourner vivre à Nairobi, secouée par des manifestations antitaxes sévèrement réprimées par les forces de l'ordre ? : tel est le dilemme de Mercy, qui travaille au Liban depuis plus de 12 ans. Si elle dit ne pas vouloir partir, la Kényane admet se poser « mille questions ». Et d’admettre : « La situation commence à me faire peur. Il n'y a aucune bonne option…» alors qu’elle tente elle-même de venir en aide aux migrantes domestiques dans le sud du pays.
« Il y a des employeurs qui sont partis sans elles », rapporte-t-elle, tandis que le département d'État des affaires de la diaspora du Kenya a mis en ligne début août un formulaire de demande d’évacuation à ses ressortissants présents au Liban. « Ce n'est pas suffisant. Il y a des femmes qui n'ont pas de téléphone, qui ne peuvent pas demander de l'aide », rétorque-t-elle.
« Une réponse consulaire inefficace ou inexistante »
Selon les chiffres communiqués par ce département à la BBC fin août, 1 500 ressortissants kényans ont demandé à être évacués. Une source qui aide à l’évacuation nous a elle rapporté, sousle couvert de l'anonymat, qu’un donateur avait permis l'achat d'une douzaine de billets d'avion pour que des ressortissants soient évacués. Mais « beaucoup de ceux qui veulent fuir n'ont pas de papiers, alors nous essayons de voir si les autorités libanaises peuvent résoudre ce problème en les autorisant à partir sans payer de pénalités », explique cette source.
Interrogé par L’OLJ, le consul honoraire Sayed Jean Chalouhi a avancé qu'il « n'y a rien d'imminent » à propos d’une évacuation, rappelant que 26 000 Kényans sont présents au Liban, dont 25 995 « domestiques ». « Comme beaucoup de pays, nous réfléchissons à comment faire en cas d’évacuation. Mais la différence pour nous réside dans le fait que les communautés des pays comme le Kenya, l'Éthiopie, le Sri Lanka, le Bangladesh, sont liées par des contrats de travail au Liban. Et le coût global d’une évacuation sera énorme car il faut dédommager l'employeur qui a déboursé la somme de 2 000 à 3000 dollars pour faire venir l’employée de maison… » explique-t-il.
Du côté d’ARM, le mouvement dénonce plutôt « une réponse consulaire connue pour être inefficace ou inexistante », avait-il indiqué dans son rapport « Situation et besoins prévisionnels des travailleuses domestiques migrantes au Liban », le 17 janvier 2024, trois mois après le début de la guerre. Le document ajoute que la guerre a de fortes conséquences sur les travailleurs domestiques migrants, évoquant, entre autres, la hausse des loyers ou les menaces d’expulsion par des propriétaires souhaitant profiter du besoin de logement des Libanais déplacés du sud du pays ou d'abriter des proches, indique ARM. « D'autres travailleurs domestiques migrants ont également signalé une augmentation des pertes d'emploi, les employeurs se rendant à l'étranger, en principe jusqu'à ce que la situation s'améliore, ou réduisant les coûts du travail domestique », poursuit le rapport.
À un peu plus d’une vingtaine de kilomètres de la frontière, Hawa*, qui travaille pour une famille à Arabsalim, dans le caza de Nabatiyé, entend les bombardements. Rentrée au Liban en octobre, « au moment où la guerre commencé », dit-elle en riant, la jeune femme de 27 ans y travaillait déjà entre 2019 et 2021. Mais, au Kénya, elle ne trouvait pas d’emploi, malgré son diplôme universitaire en études de tourisme. « C’est comme les Libanais qui partent à l’étranger pour trouver un emploi… On fait la même chose. C’est pour cela que je suis là même si ce n'est pas facile », dit-elle, précisant que son employeur détient son passeport.
Comme le reste du pays, Hawa suit les informations et analyse la situation pour déterminer le niveau de danger afin de rassurer sa famille qui l’implore de rentrer. « Ils me disent que l’argent n’est pas important, que ma vie vaut plus… Je prie juste pour la sécurité. S'il m'arrive quoi que ce soit, ce sera la volonté de Dieu », ajoute-t-elle. Et de se rappeler de la raison pour laquelle elle est venue au Liban : « Tout ça je le fais pour ma fille. »
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12 h 00, le 01 septembre 2024