Effondrement économique depuis cinq ans, affrontements meurtriers au Liban-Sud entre le Hezbollah et l’armée israélienne depuis près de onze mois : le Liban est en pleine tourmente et cela dure depuis trop longtemps. Source d’espoir pour l’avenir du pays, la diaspora libanaise semble désormais en lutte permanente entre un amour sans faille pour sa patrie et une frustration de plus en plus vive face à une situation jugée presque désespérée.
C’est en tout cas ce qui est ressorti des conversations que L’OLJ a eues avec cinq acteurs influents de la diaspora libanaise en France et au Canada. Si tous soulignent la nécessité de réformer un pays acculé par les crises, certains prônent une approche globale, axée sur des réformes structurelles et une diplomatie forte, d’autres se concentrent sur l’urgence d’une mobilisation immédiate pour pallier l’effondrement de l’État. Des témoignages qui illustrent en tout cas une diaspora en proie à des contradictions profondes, faites d’espoirs et de désillusions, mais aussi de solidarité et de divisions internes.
« L’espérance est un acte de bravoure »
« Nous sommes pires que certains pays autoritaires africains », lâche tout de go Naoum Abi Rached, fondateur en 2010 à Paris de l’association Diaspora Libanaise Overseas (DLO) dont l’objectif est de faciliter l’intégration des jeunes libanais expatriés en France. Pour lui, le Liban est pris en otage par une mafia qui « détient tout et assiège le pays », empêchant toute perspective de redressement. Plus inquiétant encore, il affirme qu’il n’existe « pas de projet pour le Liban de demain, pas de gouvernement, pas de vivre-ensemble ». Face à cette impasse, Naoum Abi Rached considère la diaspora comme une « sortie de secours » pour les Libanais, grâce à la fuite des cerveaux du Liban, seule alternative pour protéger l’identité libanaise en l’absence de solutions internes.
Ce pessimisme est quelque peu nuancé par Rodrigue Raad, président de la même association. Celui-ci voit la diaspora et les nouvelles générations jouer un rôle essentiel, considérant qu’elles aspirent à une reconstruction du pays basée sur les accords de Taëf et la Constitution. Seul bémol : « Présente à travers le monde et occupant des postes importants, la diaspora souffre cependant d’un manque de coordination collective », note-t-il. Dans ce cadre, il plaide pour une meilleure représentation de la diaspora au sein de la politique locale et appelle à renforcer le lobbying pour affirmer la place de la diaspora sur la scène internationale. Rodrigue Raad ne cache toutefois pas son inquiétude face au conflit en cours dans la région : « L’avenir du Liban est en jeu » et, selon lui, les résultats des prochaines élections américaines seront décisifs pour déterminer le sort du Liban. Et de conclure : « L’espérance est un acte de bravoure. »
« Le vivre-ensemble est le plus grand défi à relever »
Cette divergence de perspectives met en lumière une contradiction centrale : alors que certains voient la diaspora comme une force salvatrice, d’autres s’interrogent sur sa réelle capacité à influer sur l’avenir du pays. Pour le professeur Fouad Zmokhol, président de la Confédération internationale des hommes d’affaires libanais (Midel) et doyen de la business school de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth, « sans la diaspora, les Libanais ne seraient pas les mêmes », affirme-t-il, soulignant son influence sur la manière de penser et de vivre des Libanais au pays.
Cependant, il reconnaît que cette diaspora, qui a envoyé 6,7 milliards de dollars en transferts de fonds en 2023, selon les chiffres de la Banque du Liban publiés en mai dernier, pour soutenir le secteur privé, est minée par une perte de confiance. Selon lui, la pandémie de Covid-19 a permis de geler temporairement la crise, offrant aux entreprises libanaises l’occasion de se restructurer malgré les difficultés en cours. Mais la reprise économique reste quasi impossible sans une stabilisation politique durable, « qu’elle vienne de l’intérieur ou de l’extérieur ». Ainsi, pour Fouad Zmokhol, le défi réside moins dans l’absence de fonds que dans la gestion défaillante et la fragmentation sociale qui affaiblissent la résilience collective du pays.
La question de la fragmentation est également centrale pour Ziad el-Sayegh, directeur exécutif du Civic Influence Hub. Fondé en 2012 au Liban, le CIH se présente comme un groupe de pression stratégique contribuant à la création de divers comités diasporiques tels que le Comité de coordination libano-français (CCLF) et le Comité de coordination libano-canadien (CCLC). « Nous sommes en discussion avec d’autres pays pour implanter ces lobbies associatifs, notamment en Australie, en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en Suisse », souligne-t-il. Pour lui, la diaspora souffre avant tout de son manque de coordination collective, un problème exacerbé par la méfiance généralisée envers les institutions libanaises. « Il faut une diplomatie publique forte et une force diasporique unie pour établir un État de citoyenneté », a-t-il ainsi plaidé. Ziad el-Sayegh insiste également sur la nécessité de restructurer le pays de l’intérieur avec une vision à long terme, en renforçant les institutions et en définissant une identité commune autour de la citoyenneté et du libéralisme.
Enfin, Marc Morkos, doctorant en droit et enseignant à l’université de la Sorbonne à Paris, et membre actif au sein du CCLF, partage cette vision critique de la situation au Liban mais exprime plutôt ses préoccupations quant à l’effondrement des institutions publiques et à l’incapacité des leaders politiques à rétablir une stabilité durable. Toutefois, il voit dans la diaspora une communauté capable de rétablir le vivre-ensemble et de dépasser les divisions internes. « La fragmentation du tissu social, aussi bien au Liban qu’au sein de la diaspora elle-même, est un véritable frein », note-t-il. « Le vivre-ensemble est le plus grand défi à relever, et ce le plus vite possible », a-t-il conclu.
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22 h 28, le 28 août 2024