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Au fil de nos 100 ans - POINT DE VUE

Il est beau le labo

Gaby Nasr, éditorialiste, se remémore les grands moments de ses plus de quatre décennies au journal.

Il est beau le labo

L'imprimerie de L'OLJ. Photo Matthieu Karam

Quand je suis arrivé la première fois au journal en mai 1978, un collègue du service International m’attrape et me dit : « Écoute, ici, c’est un repaire d’anormaux. À chacun sa petite lubie. Tu vas les regarder comme dans un spectacle, la seule différence c’est qu’au lieu de payer ta place, on te donnera un chèque à la fin du mois. » Il faut dire qu’à l’époque, une bonne partie des collègues étaient en représentation permanente. Il y avait le boulot en pleine guerre civile bien sûr, mais celui-ci était régulièrement entrecoupé de périodes d’animation : batailles à coup de bouteilles en plastique, repas pantagruéliques à même les bureaux, et pour certains, travail dans le plus simple appareil dans les périodes de grosses chaleurs, quand la clim était en panne.

Aujourd’hui, les anormaux ne sont plus là et c’est dommage ! Mais il reste les originaux, dont les travers ne demandent qu’à croître et se développer. Certains d’entre eux, je les ai connus dès mon arrivée. Les autres, j’ai eu tout le loisir d’en suivre l’évolution. Fidèle au fameux conseil de mon collègue, j’ai continué à les observer comme dans un cours de leçons de choses, mais toujours au même tarif mensuel.

Je commencerais bien évidemment par Issa Goraieb, notre grand frère à tous, calme, pondéré, tout en nuance. Mais il fallait le connaître quand il était en charge de la rédaction. Son principal travers était de nous donner, en moins de 3 secondes chrono, 8 heures de travail d’affilée, avant de nous annoncer, cigare au bec, qu’il devait s’absenter pour un déjeuner. Chiant, mais en toute élégance.

Son successeur à la tête de la rédaction, Nagib Aoun, était à lui seul un morceau d’anthologie. Branché en permanence sur un pylône de haute tension, il entrait en transe à chaque fois qu’un politicien bavait une déclaration. Aujourd’hui, il est à la retraite mais aura probablement passé une bonne quinzaine d’années de sa vie professionnelle, la tête plongée dans la corbeille à papiers de mon bureau à rattraper les dépêches que je balançais allègrement.

Élie Fayad, l’un des rédacteurs en chef actuels, est quant à lui l’intello du groupe. Il lit encore Le Monde, c’est dire ! Pire encore : il le comprend ! Élie est aussi un téméraire-né, puisqu’il accepte parfois de donner des interviews en arabe, sans craindre de perdre sa crédibilité.

Et comment ne pas évoquer Émilie Sueur, première rédactrice-en-chef de notre histoire. Faut croire que la politique locale, les querelles de clochers et de minarets, les crêpages de touffes confessionnelles, ce n’était pas son genre de beauté. Aussi, elle a vite fait de se tailler vers des embrouillaminis numériques plus fréquentables.

Puis bien sûr, il y a ceux qui sont partis, mais qui laissent chez les plus anciens d’entre nous un souvenir impérissable. D’abord Abdo Chakhtoura. L’ami précieux, parce que dès qu’on avait une emmerde à régler, il connaissait toujours le chelou à qui s’adresser. Acheter une auto, rabattre le caquet d’un fonctionnaire véreux, faire sauter un PV. Neuf fois sur dix, Abdo trouvait la perle rare. Parfois, il s’agissait de quelqu’un dont le CV – pour ne pas dire le casier – en imposait. Mais il est vrai qu’on est au Liban, pas au concours de valse de Vienne.

Ensuite Michel Touma, l’ami, le pote de 40 ans, entré presque en même temps que moi au journal. Lui, avait vraiment gardé à la rédaction son âme pure des premiers jours : il aimait le Liban, ce qui est facile, et les Libanais, ce qui l’est beaucoup moins. Aujourd’hui, il est directeur de la rédaction d’un site d’info concurrent.

Pour terminer, place à la ribambelle des pioupious ! Embauchés à la chaîne, ils ont vite fait de noyer les ancêtres de l’équipe. Une bouffée de fraîcheur, beaucoup d’originalité, voire un brin de désinvolture. Totalement imprégnés de l’air du temps, ils cochent toutes les cases de la bien-pensance standard : réchauffement climatique, régime végan, #MeToo, LGBTQ+… Toute leur vie est articulée autour du smartphone, dont le pépiement imbécile donne l’impression d’annoncer des nouvelles planétaires. Tant et si bien que toute séparation du petit appareil peut conduire au « syndrome de la déconnexion », durant lequel le sujet est agité d’une frénésie de tâtonnement. Son pouls ne revient à la normale qu’au moment des retrouvailles avec le réseau Wi-Fi.

Je n’ai pas abordé le cas des autres. Ils sont encore à l’étude, mais pour moi ce journal restera toujours un laboratoire permanent de sciences appliquées. C’est bon d’être si bien entouré !

Quand je suis arrivé la première fois au journal en mai 1978, un collègue du service International m’attrape et me dit : « Écoute, ici, c’est un repaire d’anormaux. À chacun sa petite lubie. Tu vas les regarder comme dans un spectacle, la seule différence c’est qu’au lieu de payer ta place, on te donnera un chèque à la fin du mois. » Il faut dire qu’à l’époque, une bonne...
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Et Roger Geahchan…?

ABDO-HANNA Nicolas

08 h 35, le 30 août 2024

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Commentaires (1)

  • Et Roger Geahchan…?

    ABDO-HANNA Nicolas

    08 h 35, le 30 août 2024

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