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Comment vivrons-nous maintenant ?


«L’attente israélienne depuis une semaine fait partie de la punition », a dit le chef du Hezbollah. Mais nous attendons aussi, punis, au même titre que « l’ennemi », qu’il soit décidé de notre sort, semble-t-il sur un coup de dés. Réjouissons-nous, cependant : « Nous ne sommes plus seuls à encaisser les pertes. Le trafic aérien est interrompu tant à l’aéroport de Beyrouth qu’à celui de Ben Gourion et les déplacés le sont des deux côtés de la frontière. » Voilà qui nous rassure, nous soulage et nous oblige. Tant que les Israéliens ne pourront plus voyager, qu’importe que nous soyons nous aussi empêchés de partir ou revenir, regrouper nos familles ou recevoir des denrées vitales, médicaments et autres. Nous nous contenterons de regarder le ciel pour vérifier que les bangs qui nous terrassent ne sont « que » des avions de combat qui s’amusent à franchir le mur du son en attendant des instructions autrement dangereuses.

Le seul point où la punition des Israéliens ne reflète pas la nôtre, depuis que le parti de Dieu a lancé les hostilités contre l’État hébreu dans l’espoir plutôt vain d’alléger la pression sur Gaza, ce sont « les pertes économiques d’Israël » qui, selon le tribun, « se chiffrent à plusieurs milliards de dollars du fait de l’arrêt de l’activité au Nord ». Nous, nous n’avons pas de milliards à perdre. La « résistance » s’est d’ailleurs arrangée pour que nous n’ayons plus rien à perdre, sinon le peu qui fait une existence. Le Nord israélien perd des milliards issus d’activités économiques florissantes. Mais notre pauvre Sud a plus important que des milliards à perdre. Son agriculture représente un pourcentage considérable des ressources alimentaires de ce pays dont toutes les autres productions sont déjà en surchauffe.

Jouant sur des peurs anciennes, le chef du Hezbollah agite l’épouvantail mité de « l’implantation des Palestiniens qui menacerait l’équilibre démographique, en cas de victoire d’Israël ». Faut-il lui rappeler le fameux vers d’al-Mutanabbi : « Je suis le noyé, que m’importe d’être mouillé » ? Face à près de deux millions de réfugiés syriens, que représentent désormais les quelque trois cent mille Palestiniens qui naissent et meurent dans le dénuement des camps depuis 1958 ? Et, parlant de réfugiés, il a beau dire que sa base populaire est seule à payer le prix, quand les autres sont encore autorisés à faire la fête, comment ferait-il s’il fallait organiser un exode massif vers d’autres régions de ce pays complexe, reloger et assurer les besoins d’une vaste population dont la présence serait perçue comme inquiétante, dès lors que des éléments armés pourraient s’y infiltrer, incitant Israël à les pourchasser de ses drones ? Comment ferait-il s’il prenait à Israël – dont on connaît la perversion et le sadique esprit de vengeance quand il se sent menacé – d’instaurer autour du Liban un blocus terrestre et maritime comme il l’a fait à Gaza ? Et qu’à nouveau, le manque poussant à l’aigreur, les communautés entrent en guerre civile ?

Comment lui dire que nous sommes las des deuils, las des destructions, épuisés par des guerres qui n’ont jamais été les nôtres, des calculs toujours mauvais qui n’ont jamais pris en compte la possibilité d’une résistance autre qu’armée. Quelles que soient les ambitions territoriales ou les intentions crapuleuses attribuées, à tort ou à raison, à l’État hébreu, nous avons mieux à donner que de la chair à canon, mieux à faire de nos vies que les passer dans les files, tête basse et inquiets, à quémander tantôt nos économies aux guichets des banques, tantôt un peu d’essence ou un paquet de pain, un médicament ou du lait maternisé. Si les guerres inutiles et les complicités mafieuses dans les cercles du pouvoir nous avaient été épargnées, si les jeunes Libanais, si brillants, si efficaces et créatifs à l’étranger, avaient pu rester, mettre à contribution leurs compétences et participer à l’édification d’un État qui tienne la route, le Liban se serait imposé de lui-même, structuré, influent, intouchable. Au lieu de quoi, le voilà ouvert aux quatre vents, insignifiant confetti sur la carte du monde, décadent, déclinant, dévitalisé, de plus en plus inculte, front ouvert sans raison, comme une blessure incicatrisable, pays de peu dont on évacue les étrangers en leur enjoignant de « ne pas se retourner ».

«L’attente israélienne depuis une semaine fait partie de la punition », a dit le chef du Hezbollah. Mais nous attendons aussi, punis, au même titre que « l’ennemi », qu’il soit décidé de notre sort, semble-t-il sur un coup de dés. Réjouissons-nous, cependant : « Nous ne sommes plus seuls à encaisser les pertes. Le trafic aérien est interrompu tant à...
commentaires (9)

Très beau et courageux édito, et toutes les guerres sont inutiles. Les Libanais avaient subi toutes ces périodes d'instabilité et leurs conséquences sur leur vie au quotidien. Dans la situation actuelle, et compte tenu de l'importance des enjeux j'irai plus loin que la citation d'Al Moutanaby. Je citerai ce qu'avait dit la mère du dernier roi de l'Andalousie lors de sa fuite : "ne pleure pas comme une femme un royaume que tu n'as pas su le défendre comme un homme". "Le Liban vivra". Sa jeunesse qui a choisi de vivre au Pays a toutes les capacités de re-construire une société généreuse digne

IRANI Joseph

17 h 32, le 12 août 2024

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Commentaires (9)

  • Très beau et courageux édito, et toutes les guerres sont inutiles. Les Libanais avaient subi toutes ces périodes d'instabilité et leurs conséquences sur leur vie au quotidien. Dans la situation actuelle, et compte tenu de l'importance des enjeux j'irai plus loin que la citation d'Al Moutanaby. Je citerai ce qu'avait dit la mère du dernier roi de l'Andalousie lors de sa fuite : "ne pleure pas comme une femme un royaume que tu n'as pas su le défendre comme un homme". "Le Liban vivra". Sa jeunesse qui a choisi de vivre au Pays a toutes les capacités de re-construire une société généreuse digne

    IRANI Joseph

    17 h 32, le 12 août 2024

  • Tant qu'à reprendre al-Mutanabbī, prenez - vous le méritez - les vers de l'aveugle et du sourd : "Je suis celui dont l'aveugle a lu la littérature Et celui dont les paroles ont fait entendre le sourd". Bravo pour la qualité de vos impressions écrites.

    CODANI Didier

    11 h 34, le 09 août 2024

  • Les israéliens convoitent notre Sud, nos eaux , notre fleuve Litani et probablement tout notre territoire pour l'intégrer à leur futur Grand Israel , car cette entité est la seule au monde dont la Constitution de délimite pas de frontières ! Notre vaillante armée libanaise (qui laisse tout bonnement les avions ennemis voler à trés basse altitude au dessus de notre capitale ) avait laissé le Tsahal occuper notre Sud pendant plus de 20 ans sans réagir ! Que nous reste-il pour nous défendre contre les convoitises de l'ennemni ? Que quelqu'un nous trouve la solution svp !

    Chucri Abboud

    13 h 49, le 08 août 2024

  • Madame Abou DIB ne dit que la verite hezbollah ne peut pas vivre sans faire la guerre et si il n'y pas de guerre il va en creer une c'est sa raison d'etre.

    EL KHALIL ABDALLAH

    13 h 02, le 08 août 2024

  • Le sionisme gouverne le monde

    Eleni Caridopoulou

    12 h 46, le 08 août 2024

  • Quand l'intelligence du cœur rejoint l'intelligence de l'esprit ça s'appelle du talent. Merci

    gabriel boustani

    11 h 27, le 08 août 2024

  • J'ai toujours grand plaisir à vous lire. Merci

    KHLF V

    10 h 35, le 08 août 2024

  • Plus qu’une “impression”, Fifi, c’est un décryptage implacable de notre réalité, écrit d’une main de maître merci.

    NOUHAD BAROUDI

    09 h 34, le 08 août 2024

  • Merci de cet article. Nous prions pour que ce gouvernement comprenne, si toutefois ils sont vraiment Libanais ! Un vrai Libanais ne se comporte pas comme eux.

    Hélène SOMMA

    02 h 52, le 08 août 2024

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