
Des manifestants réclamant que justice soit faite pour la double explosion au port de Beyrouth du 4 août 2020, lors des commémorations du 4 août 2024. Photo Matthieu Karam
Sous une chaleur écrasante et dans un contexte de vives tensions régionales, plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés dimanche sur l’autoroute longeant le port de Beyrouth, quatre ans après la double explosion en son sein qui avait dévasté une partie de la capitale, tuant 235 personnes et en blessant plusieurs milliers d’autres. Démarrant vers 16h30, deux cortèges se sont ainsi rejoints près de la statue de l’Émigré, après un départ divisé entre le centre-ville, près de la place des Martyrs, et la caserne des pompiers de Beyrouth, dans le secteur de la Quarantaine. Encore une fois cette année, « justice » était le maître-mot de cette mobilisation, revenant sur toutes les lèvres et sur tous les panneaux, alors que l’enquête piétine depuis quatre ans.
« Nous jurons, au nom de toutes les victimes et de leurs proches éplorés, de lutter sans relâche jusqu’à ce que justice soit rendue », est-il notamment écrit de part et d’autre du cèdre d’un drapeau libanais géant, déroulé dans la caserne dont étaient partis dix pompiers tués dans la déflagration. Ce jour-là, Joe Bou Saab, Sahar Farès, Mithal Hawa, Charbel Hitti, Najib Hitti, Rami Kaaki, Charbel Karam, Élie Khouzami, Ralph Mallahi et Joe Noun avaient été envoyés au port pour lutter contre un incendie dans le hangar n° 12 où, le peuple libanais l’apprendra plus – trop – tard, étaient stockées des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium.
« Justice ratée », peut-on lire sur cette pancarte brandie lors du rassemblement en commémoration de la tragédie du 4 août 2020 à Beyrouth, le 4 août 2024. Photo Matthieu Karam
« Nous continuerons de lutter », affirment, déterminées, trois amies, Dolly, Tania – qui a été blessée à Gemmayzé le 4 août 2020 – et Aïda. Interrogé par la presse, un homme ne parvient pas à parler à cause de l’émotion. Une jeune femme, elle, fond en larmes quand on lui pose des questions sur sa mère emportée par l’explosion. « Si nous nous arrêtons, les gens vont nous oublier. Nous allons tout faire pour obtenir la vérité. Notre blessure est éternelle », affirme encore une mère de famille qui a perdu son frère, Rami Kaaki. Le fils de Rami, âgé de 3 ans aujourd’hui, n’a pas connu son père. « C’est le Hezbollah qui est responsable. Il obstrue le cours de la justice », dénonce de son côté Nada qui, elle, a perdu son neveu.
Accusé d’être le détenteur du nitrate d’ammonium mal stocké, ce qu’il a toujours démenti, le Hezbollah affronte l’armée israélienne depuis le 8 octobre dernier au Liban-Sud, dans le cadre d’un front « de soutien » à la guerre de Gaza. Un front de plus en plus investi dans le conflit, alors qu’une frappe israélienne a visé un haut gradé de la milice chiite dans la banlieue sud de Beyrouth mardi dernier, faisant craindre un embrasement du conflit au Liban. « Ce qui est arrivé le 4 août est pire que la guerre », avance néanmoins une manifestante se présentant comme « madame Khalil ». « Les gens n’oublieront jamais », ajoute-t-elle.
Les martyrs du Liban
Au pic du rassemblement, à 18h07, heure de l’explosion, les manifestants ont respecté une minute de silence au cours de laquelle ont toutefois été diffusés un enregistrement du son de l’explosion du 4-Août, des cloches d’église et un appel à la prière musulmane. Sur place, des proches de victimes, dont certains sont visiblement émus, brandissent des photos d’hommes et de femmes tués par l’explosion du port.
« Pendant les quatre dernières années, nous nous sommes battus pour la justice, même lorsqu’on nous a battus et qu’on a essayé de nous arrêter », lance peu après, sur la scène installée devant le port, Cécile Roukoz, dont le frère Joseph a été tué dans l’explosion. Elle énumère ensuite les dirigeants tenus pour responsables du drame, qui sont hués par la foule, tandis que certains manifestants scandent « Terroriste ! Hezbollah terroriste ».
« Nous sommes là pour la quatrième année consécutive », déplore ensuite William Noun, frère de Joe, un des pompiers tués. Il pointe du doigt le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah. « Le sayyed ne montre de l’affection que pour les gens du Sud », dénonce-t-il. « Nous sommes aux côtés des martyrs du Liban-Sud, même s’ils sont membres du Hezbollah, mais pourquoi eux ne sont-ils pas solidaires de nos martyrs ? » lance-t-il, alors que la foule l’applaudit. Le conflit en cours au Liban-Sud a fait 535 victimes, dont 94 civils, le reste étant majoritairement des combattants de le milice chiite.
Une manifestante brandissant une horloge dont l’heure est fixée à 18h07, instant de l’explosion au port de Beyrouth le 4 août 2020, lors des commémorations le 4 août 2024. Photo Matthieu Karam
Non loin de là, des activistes et membres des familles ont planté des panneaux à l’effigie de plusieurs hommes politiques, notamment les ex-ministres Ghazi Zeaïter, Nouhad Machnouk et Youssef Fenianos, mis en examen dans l’enquête de la justice locale sur le drame menée par le juge Tarek Bitar. Une enquête qui est au point mort depuis février 2023 en raison d’ingérences politiques de tous bords et de recours à répétition contre le magistrat. « Criminels », peut-on lire sur ces pancartes, éclaboussées de peinture rouge sang.
Michelle Douairy, une femme d’une trentaine d’années, porte un t-shirt portant en arabe le message « Victimes du 4-Août, leur sang est sur vos mains, nous n’oublierons pas vos crimes ». « Mon message aux responsables qui ont causé l’explosion est qu’il faut juste qu’ils aient un peu d’humanité », confie-t-elle. « Nous n’allons pas arrêter de demander la vérité, même si cela va prendre du temps… Personne ne peut oublier le 4-Août », affirme de son côté Roudayna Makarem.
« La justice pour moi serait que la vérité soit révélée, que les coupables soient tenus pour responsables », affirme George Pezekhian, le père de Jessica, l’une des 235 victimes. « Nous ne pouvons pas perdre espoir, si nous restons silencieux, la porte se fermera et ne pourra plus jamais s’ouvrir », dit-il, tout en commentant la situation sécuritaire. « Nous savons que nous ne sommes pas la priorité des gens alors que nous vivons la menace d’une guerre, mais aussi à cause de la crise économique, admet-il. Mais nous sommes toujours là aujourd’hui, car nous ne pouvons pas perdre espoir. Ce n’est pas une cause pour Beyrouth. C’est une cause pour tout le pays. »
Concernant la participation relativement timide de cette quatrième mobilisation, Georges, le père de Sahar Farès, l’une des secouristes au sein de l’équipe des pompiers, avance que « chacun a ses raisons ». Puis d’ajouter : « Nous avons besoin que tout le monde se souvienne que si ce sont nos enfants qui sont morts lors du 4-Août, demain ça pourrait être les leurs... »
À la fin des discours, la manifestation est rapidement levée. En dix minutes, les gens se sont dispersés et les voitures ont repris leurs droits sur l’autoroute.
Ils étaient combien ces libanais venus réclamer justice? Le peuple aurait profité de l’occasion que le HB soit déjà débordé pour aller manifester leur colère et demander à ce que leur pays soit libéré de tous ces vendus qui œuvrent pour les achever. Mais non on préfère attendre que le couperet tombe pour pleurnicher
10 h 35, le 05 août 2024