C’est le 2 août 2024 que, dans une cérémonie mémorable à Bkerké, le Vatican a décidé que, sous les auspices du patriarche maronite, le cardinal Béchara Raï, le patriarche Estephan Doueihi qui a occupé le siège patriarcal maronite du 20 mai 1670 au 3 mai 1704 sera élevé sur les autels.
Considéré, à juste titre, comme un grand patriarche par une vie exemplaire et une action courageuse et engagée, son règne a coïncidé avec des événements politiques et sécuritaires graves dont la transition du pouvoir entre les Maan et les Chéhab en 1697 à Semkanieh et les troubles l’avaient même obligé à payer de sa personne au Liban le poussant à se transporter d’une région à l’autre pour sa sécurité et à adresser plusieurs missions à Rome et à Versailles auprès de Louis XIV. Doueihi est également l’auteur d’une œuvre considérable constituée de nombreux ouvrages dans les domaines religieux, théologique et historique faisant toujours référence dont surtout ses Annales qui couvrent l’histoire du monde arabe et du Liban du VIe au XVIIIe siècle.
Ce que je voudrais particulièrement rapporter dans ce texte, c’est qu’il existe trois représentations du patriarche Doueihi faites de son vivant :
– La première, peut-être connue, se trouve au siège patriarcal de Qannoubine dans la Vallée sainte de la Qadisha. Elle a été reproduite par le père Boutros Daou dans son ouvrage History of the Maronites où la figure 302 représente le patriarche Doueihi et il est dit que cette représentation a été peinte du vivant et même devant le patriarche Doueihi.
– La deuxième reproduction est certainement très peu connue et elle est d’un intérêt majeur. Elle a été publiée dans l’ouvrage – aujourd’hui extrêmement rare à trouver – paru à Rome en 1685 sous le titre Compendiaria Ennaratio apparatus in honorem D. Ioannis Evangelistae Patroni Ecclesiae et Collegii maronitarum exhibiti ab alumnis eiusdem Collegii ob evolutum proxime annum ab erectione Collegii Centesimum, commémorant le centenaire de l’établissement du Collège romain maronite par le pape Grégoire XIII. Cet ouvrage de 85 pages, tout en présentant l’histoire de l’établissement du Collège, son rôle, son apport pédagogique, a également, à partir de la page 49, relevé les noms des élèves du Collège, avec leur portrait et un bref rappel sur chacun d’eux. Et le premier cité des élèves est le patriarche Estephan Doueihi – dénommé en latin Stephanus Petrus Edenensis – qui était justement le patriarche siégeant sur le siège patriarcal en 1685 puisqu’il avait été élu en 1670. Ainsi donc ce portrait que nous présentons a été dressé par une personne connaissant le patriarche et donc tenu de respecter son vrai visage particulièrement suite au rang patriarcal de Doueihi. C’est dire que grâce à cet ouvrage paru en 1685 nous disposons de la représentation de la figure véritable du patriarche Doueihi tel que l’ont connu ses contemporains.
– La troisième représentation mérite quelques explications. En effet, entre 1714-1719, l’œuvre du franciscain Pierre Hélyot, en religion le père Hippolyte (1660-1716), était publiée en France en huit forts volumes In-4 sous le titre Histoire des ordres religieux et militaires ainsi que des congrégations séculières de l’un et l’autre sexe qui ont été établies jusqu’à présent, contenant leurs origines, leur fondation, leur progrès, les événements les plus considérables qui y sont arrivés ; la décadence des uns et leur suppression ; l’agrandissement des autres par le moyen des différentes réformes qui y ont été introduites ; les vies de leurs fondateurs et de leurs réformateurs. L’ouvrage était orné de 812 figures colorées représentant d’une manière parfaite tous les différents costumes de ces ordres et de ces congrégations. Monument à la fois historique et iconographique, cet ouvrage était le fruit de 25 années de travail de l’auteur et qui, paru originellement en 1714-1719, fut terminé par Maximilian Bullot puis réédité dès 1721. Cette œuvre du franciscain Pierre Hélyot forme l’ensemble le plus complet sur les anciens ordres religieux avant les bouleversements radicaux induits par la Commission des réguliers d’abord, puis les diverses législations révolutionnaires ensuite au point qu’au niveau iconographique, certaines des planches sont souvent les seules attestations des costumes portés par quelques congrégations peu connues.
Dans cette œuvre monumentale, Pierre Hélyot a placé au tome 1 la planche 93 représentant le patriarche des maronites avec son fameux sceptre en bois et un plant de cèdre au fond. Or rien n’empêche de penser que ce franciscain, qui a passé 25 années de travail à collectionner les documents en Orient, a bien rencontré le patriarche Doueihi à un moment ou à un autre puisque ce dernier est décédé en 1704 et que la représentation d’un patriarche maronite dans son œuvre représente bien la figure du patriarche Doueihi alors à la tête du patriarcat. Sans être totalement affirmatif, rien n’empêche de considérer pareille coïncidence et concomitance avec sérieux.
Si nous rappelons ces faits aujourd’hui, ce n’est pas uniquement à l’occasion de l’élévation du patriarche Doueihi sur les autels mais également pour sensibiliser les Libanais à leur patrimoine permettant à chaque communauté d’identifier ses apports singuliers dans le domaine de la culture et de l’héritage patrimonial.
Hyam MALLAT
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