Joe Biden hors course, Kamala Harris en piste sans encore de colistier, Donald Trump trouvant son âme sœur en la personne du caricatural JD Vance : sous le plus grand chapiteau politique du monde, c’est tout le programme de la présidentielle US qui est apparemment en cours de refonte. Monstres sacrés pour les uns, monstres tout court pour les autres, le casting local s’agrémente même d’un très authentique monstre d’importation, avec le tumultueux séjour à Washington de Benjamin Netanyahu.
Assez paradoxalement, on voit le plus haut placé de la meute faire figure de vedette américaine. Nullement réservé au pays de l’Oncle Sam, ce terme désigne, dans le monde du théâtre et du music-hall, l’artiste qui se produit en première partie : qui, en somme, chauffe la salle en attendant que passe le clou du spectacle. C’est au président des États-Unis qu’a échu cette aigre-douce performance, quand il a jeté l’éponge et proclamé son soutien à la candidature de sa vice-présidente, Kamala Harris. Tout renoncement a, bien sûr, quelque chose de pathétique ; plus rarement, il peut être aussi empreint de grandeur. Est-ce bien le cas cette fois ? Dans son adresse aux Américains, le chef de la Maison-Blanche a certes assuré qu’il ne faisait que répondre à l’appel du devoir pour sauver la démocratie et la nourrir de sang neuf. Mais en réalité n’est-ce pas plutôt à la pression conjuguée de son parti, des donateurs et des sondages qu’il a fini par céder ? L’histoire tranchera, comme dit l’inusable cliché, et elle n’a pas encore dit son dernier mot. Sauf imprévu, l’actuel président des États-Unis demeure à son poste pour plus de cinq mois et garde la haute main sur la politique étrangère des États-Unis. Comme il le soulignait à l’adresse de Netanyahu en le recevant jeudi, un cessez-le-feu à Gaza, un règlement négocié de l’affaire des otages détenus par le Hamas palestinien et l’ouverture d’un chantier de paix au Moyen-Orient figurent en bonne place dans l’héritage politique qu’il entend laisser. Qu’il se montre inflexible sur la question (n’ayant plus à redouter le moindre chantage électoral, il en a les formidables moyens) et Joe Biden aura alors réussi sa sortie de scène.
Encore plus intraitable s’affirme une Kamala Harris séchant cavalièrement le discours de Netanyahu au Congrès ; clamant à la face du Premier ministre israélien, qu’elle recevait à son tour, l’horreur que lui inspire le bilan humain de l’expédition sur Gaza ; réitérant enfin, avec plus de vigueur que jamais, son appui à la solution des deux États en Palestine. Bien que discrète jusqu’à l’effacement dans sa fonction de vice-présidente, Kamala n’avait jamais fait secret de ses vues sur ces thèmes précis. En rupture avec le style de son patron qui évitait soigneusement tout signe public de désaccord avec Tel-Aviv, et maintenant qu’elle est la candidate virtuelle du Parti démocrate, elle est plus que jamais maîtresse de ses propos.
Incroyable mais vrai, même l’imprévisible Donald Trump en vient désormais à juger que la guerre de Gaza a beaucoup trop duré. Il est vrai que ce que le candidat républicain reproche à Israël, ce n’est pas tant sa meurtrière et dévastatrice équipée que l’inexcusable retard mis à finir le job ! Recevant l’omniprésent, l’incontournable Netanyahu qui clôturait ainsi sa singulière tournée des grands-ducs, l’ancien président s’est néanmoins appliqué à faire ami-ami avec ce dernier, réservant ses piques à celle qui est devenue la femme à abattre. Car en dépit du dédain qu’il voue à sa rivale, le contexte électoral n’est soudain plus le même pour le misogyne milliardaire. Non seulement en effet la candidature Harris, parrainée avec enthousiasme par Barack Obama, redonne confiance et combativité à un Parti démocrate en proie à l’abattement ; non seulement offre-t-elle un choix de nature toute nouvelle aux électeurs non partisans, que l’ancienne et insoluble équation plongeait dans le plus grand embarras ; mais surtout elle fait de Donald Trump un Trump nullement à l’abri lui-même des atteintes de l’âge, le dernier de ces inquiétants prétendants au titre d’homme le plus puissant de l’Univers.
De colosse aux muscles surdéveloppés mais aux neurones d’argile.
Issa GORAIEB