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Lifestyle - Entretien

Entre satire et carte imaginaire, Bernard Hage revisite la crise libanaise

C’est un Liban meurtri et fragmenté que Bernard Hage a mis en images et en mots sous le titre de « La grande carte de la crise », avec cet humour noir qui est sa signature.

Entre satire et carte imaginaire, Bernard Hage revisite la crise libanaise

Nadyn Chalhoub et Bernard Hage, deux présentateurs décalés. Photo DR

Cela fait de nombreuses années que Bernard Hage partage son histoire sans fin d’amour et de désamour pour le Liban avec ses milliers d’aficionados qui ont découvert ce dessinateur tendance cartoonist sur les réseaux sociaux et dans la dernière page de L’Orient-Le Jour. Son trait minimaliste, son personnage, perdu et désespéré dans un espace blanc, qui représente le Libanais, son regard sur l’actualité locale et internationale qui navigue entre réalisme et absurdité, ont construit la personnalité artistique de Bernard Hage, sous l’alias The Art of Boo, avec lequel il tend néanmoins à prendre ses distances.

Installé à Berlin depuis trois ans, il continue de travailler sur des projets intimement liés au Liban. Le lancement du dernier en date, « The Great Map of the Crisis », est prévu le 4 juillet sur les réseaux sociaux. Il s’agit d’une série documentaire satirique en cinq épisodes qui revient sur les raisons de la crise actuelle au Liban. L’artiste a, en outre, créé une carte imaginaire, en forme d’étron, divisée en cinq régions, chacune correspondant à un épisode : « L'effondrement », une analyse approfondie de la dégringolade de 2019  ; « Les jours d'or », un retour sur la situation précédent la crise afin de déterminer si elle a réellement commencé en 2019 ou si elle se préparait depuis des décennies ; « Le système » dans le cadre duquel sont présentés les principaux acteurs économiques et politiques ; «La forêt de la guerre civile», où l’on parle de la guerre et de la loi d'amnistie qui en a découlé ; et enfin « Le passé actuel » décrit l'état d'esprit qui prévaut aujourd'hui au sein du peuple libanais.

Une fois n’est pas coutume, pour ce projet le cartoonist sort de sa réserve et se met en scène devant une caméra pour cinq épisodes caustiques, en compagnie de sa complice Nadyn Chalhoub, découverte dans le cadre du duo « Coffee Break ».

Pour L’Orient-Le Jour, il revient sur la genèse de cette « grande carte de la crise ».

Comment et quand est né le projet ?

Ce projet est né d'une nécessité, vers la fin de l'année 2020, alors que je vivais encore au Liban. La crise financière était alors à son pic et l'esprit de communauté était au plus bas. Le manque d'information et le nombre de questions sans réponses ont créé un besoin de « simplifier » la crise libanaise et de revenir sur les faits politiques, économiques et sociaux qui l'ont provoquée. Cette initiative est, aussi, née lorsque le pays vivait une vague d'éveil politique. J'ai été chargé de ce projet par l'Association libanaise pour l'histoire, une ONG formée d’historiens et d’enseignants. Il a été soutenu par forumZFD, une ONG allemande dédiée à la promotion de la paix et de la réconciliation à travers le dialogue et l'éducation.

Quelle est la particularité de ce projet dans votre œuvre ?

Ce projet m'a permis d'aller plus loin dans mon travail, et ce d'autant plus que j'expérimente de nouveaux formats, tels que l'écriture de scénarios et le jeu d'acteur. Ici, non seulement je commente la politique libanaise quotidienne, mais j'interroge également l'histoire qui a conduit à cette politique, et j'emballe le tout dans un joli bouquet d'informations avant de le transmettre à un public plus large. En tant qu'artiste, j'ai l'impression que c'est le but ultime de mon travail, surtout en ce qui concerne le Liban.

"La grande carte de la crise" selon Bernard Hage.

Comment se sont faits la préparation et le tournage ?

Ce fut un processus de quatre ans, long et certes fatigant, mais le résultat en valait la peine.

Nous avons d’abord monté une équipe de chercheurs afin de définir les sujets et la manière dont nous prévoyions de rassembler et de diffuser les informations. Une fois les recherches et les faits historiques réunis, il m’est revenu de trouver une idée créative pour traduire l’ensemble dans un langage accessible. En tant que dessinateur, j’ai d’abord créé une carte satirique dans laquelle les informations recherchées étaient organisées par « régions » thématiques. Cette idée s'est ensuite transformée en une vidéo pour chaque région qui a finalement évolué en une mini-série de cinq épisodes.

Pour mémoire

Dans l’assiette de hommos de Bernard Hage, tout son humour noir

J'ai alors opté pour le format de deux présentateurs de journaux télévisés installés dans un studio, présentant des faits actuels et historiques sur le Liban. Tout au long de l'émission, ils réagissent aux informations qu'ils partagent, en glissant parfois quelques plaisanteries ponctuelles. J'ai inclus des infographies animées et des scènes filmées servant de sketches humoristiques qui commentent certaines questions spécifiques. L'objectif était de rédiger une histoire objective. Avec le réalisateur Samir Syriani, nous avons décidé des détails tels que la forme et l'ambiance du studio, le langage de la caméra, etc. Les épisodes ont été filmés en cinq jours avec des journées de tournage de 12 à 14 heures ponctué de maladresses de lecture, de jeu, de prononciation... Mais aussi de moments hilarants. Je n’ai pas hésité une seconde quant au choix de Nadyn Chalhoub pour animer ce projet avec moi. Elle a un esprit vif, elle est poignante et a un vrai talent de comédienne. Je le sais parce qu'à chaque fois que nous nous rencontrons, elle fait semblant d'être heureuse de me voir !

Pourquoi avoir choisi l’humour pour évoquer un tel désastre ?

La crise libanaise est un sujet lourd dont les gens se sont lassés de parler, et je peux tout à fait comprendre pourquoi. C'est là que l'humour entre en jeu. L'objectif premier de ce projet est d'informer, l'objectif second de divertir, avec une pointe de sarcasme.

Tout Bernard Hage dans cette illustration à la fois absurde et sarcastique. Photo DR

Pourquoi cette illustration en forme d’étron ?

Je pense que la forme de la Carte de crise est explicite et qu'elle transmet le message à elle seule. Nous, libanais, savons très bien que nous sommes « dans la merde », alors autant l'officialiser, l'explorer et essayer d'y trouver notre place. Pour moi, il s'agit d'une île encombrée que l'on ne peut quitter qu'après l'avoir entièrement explorée. Je crois aussi que ceux qui ne font pas cet exercice ne trouveront jamais l’issue.

À part ce projet, quelle est votre actualité artistique ?

Travailler sur ce projet, malgré le résultat dont je suis très satisfait, a été physiquement, mentalement et émotionnellement épuisant. C'est pourquoi j'ai décidé que pour mon prochain projet, je vais éviter la politique en général et la politique libanaise en particulier, pour me concentrer sur un aspect plus personnel de la vie. À Berlin, j'ai commencé à écrire The Awkwardness of Being, qui sera mon premier roman graphique explorant les tragédies et les comédies de l'existence.

L'ensemble est disponible sur www.azmetlebnen.com. Les visiteurs peuvent interagir avec la carte, regarder les épisodes et accéder à des fonctionnalités supplémentaires telles qu'une version imprimée de la Carte de crise, des ressources de recherche, etc.

Une table ronde sur le sujet de la grande carte de la crise est organisée jeudi 4 juillet au Beirut Art Center de 18h à 20h en présence de Bernard Hage, de l’ancien ministre Ziyad Baroud et de la journaliste Josephine Deeb.

Beirut Art Center, Jisr-el Wati, Immeuble Safe, rue 93, zone 66, Adlieh.

Cela fait de nombreuses années que Bernard Hage partage son histoire sans fin d’amour et de désamour pour le Liban avec ses milliers d’aficionados qui ont découvert ce dessinateur tendance cartoonist sur les réseaux sociaux et dans la dernière page de L’Orient-Le Jour. Son trait minimaliste, son personnage, perdu et désespéré dans un espace blanc, qui représente le Libanais, son regard sur l’actualité locale et internationale qui navigue entre réalisme et absurdité, ont construit la personnalité artistique de Bernard Hage, sous l’alias The Art of Boo, avec lequel il tend néanmoins à prendre ses distances. Installé à Berlin depuis trois ans, il continue de travailler sur des projets intimement liés au Liban. Le lancement du dernier en date, « The Great Map of the Crisis », est prévu le 4 juillet sur les...
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