
Un avion dans le ciel libanais, par Florient Zouein. Avec l'aimable autorisation de l'artiste
Le jardin de Sanayeh vit depuis quelques jours une activité assez inhabituelle. Autour de son bassin circulaire, les promeneurs sont interloqués par la présence de panneaux disséminés à l’ombre des arbres.
L’image d’un avion qui décolle sur fond de soleil couchant attrape l’attention en premier. Puis défilent les photos, une trentaine au total, que l’artiste Florient Zwein voudrait présenter comme un hommage au Liban.
Une sorte d’au revoir aussi puisqu’il quitte définitivement le pays dans quelques semaines.
Un accrochage qui interpelle les promeneurs du jardin de Sanayeh. Photo Alexandra Henry
Une attache singulière
Photographe franco-libanais vivant dans la métropole, Florient Zwein passe les étés de son enfance au Liban dans la famille de son père. Il n’était pas rentré depuis 2015 quand l’explosion au port, le 4 août 2020, secoue la capitale. Ce fut l’élément déclencheur qui le décide à s’installer dans son « pays de cœur », projet auquel il aspirait depuis déjà quelques années. « Cela faisait cinq ans que je n’y avais pas mis les pieds et le Liban me manquait. » Après le séisme du 4 août, il annule son départ, retrousse ses manches et rejoint les milliers de volontaires qui participent au déblayage de la ville puis à la reconstruction. Mais sa caméra ne le quitte pas. Il documente à travers la photo les destructions, mais aussi la colère et les manifestations qui ont suivi dans un ouvrage intitulé Beyrouth, des cendres à la colère. De projet en découverte, les deux mois de vacances estivales se transforment vite en résidence prolongée, « en quatre ans de passion pour le Liban », comme il le souligne.
Le départ, un projet de longue date
La réflexion de Florient Zwein sur la notion de départ ne date pas d'aujourd'hui. Elle remonte en réalité à ses années de Lycée, quand il avait réalisé un court-métrage narrant ses courts voyages au pays du Cèdre. À 20 ans, c'est la photo qu'il plébiscite comme moyen d'expression de prédilection. Lors de ses longues marches, il observe, s’imprègne des paysages et des corps qui l’entourent. Il ne cherche pas à contourner une réalité, « j’aime montrer les choses telles qu’elles sont, je veux capturer l’instant, capturer le réel », témoigne-t-il.
Son au revoir au Liban, l'artiste le veut stylé et différent. Il prend donc la forme de photographies accrochées entre les bancs qui entourent la grande fontaine de Sanayeh. Exposer dans un jardin, endroit public par excellence, permet à tous, statuts et confessions confondus, de venir ressentir cette « Lebanese story » qu’il souhaite raconter au terme de son séjour. Il présente alors les émotions fragiles des amoureux du bord de mer, l’attente indéfinie des pêcheurs en plein soleil, la solitude ou la peine de certains face à l’horizon infini.
Les photos de Florient Zouein à l'ombre des arbres du jardin de Sanayeh. Photo Alexandra Henry
Le Liban, un pays qui sépare...
Entre les montagnes aux cimes enneigées et les côtes sereines, Zwein tente d’atténuer la douleur des séparations par une toile calme et harmonieuse tout en décrivant le Liban comme un lieu où les émotions se mêlent et se confrontent. Entre paix et guerre, départ et retour, se trouve le quotidien des Libanais, jonglant sur le pont à deux extrêmes, essayant de trouver un équilibre stable pour survivre. Il déclare que sa propre identité s’assimile à celle du pays. Traversé par une grande ambivalence d’émotions, partagé entre colère et amour, il parvient à trouver une paix au milieu de ce chaos, « je me retrouve dans le Liban ».
À travers ses images et les avions qui s’en vont vers d’autres horizons, le photographe raconte ce destin tragique de séparation propre au pays. « Le Liban est un pays qui sépare, si ce n’est pas par le départ des enfants, cela peut être par la mort. » Il écrit sous ses clichés. « Is saying goodbye to their children the only fate of Lebanese mothers ? » (Dire au revoir à leurs enfants est-il l'unique destin des mères libanaises ?). En observant l’accrochage, une mère laisse couler une larme sur sa joue.
La caméra de Florient Zouein capte les paysages côtiers du Liban. Avec l'aimable autorisation de l'artiste
…et qui rassemble avec d’autant plus d’émotion
Il évoque dans ces clichés un pays qui offre le pire comme le meilleur. Seulement Florient Zwein ne souhaite pas se limiter à l’idée de souffrance, de déchirure, il célèbre aussi le sentiment de retour, l’amour du rassemblement illustré par l’arrivée d’avions qui percent le ciel rose du crépuscule. Cette descente sur un horizon calme et rougeoyant promet la réunion des familles, des couples, des amis. S’il aime tant venir ici sur les bords de mer de Beyrouth, c’est qu’il y voit plus souvent d’avions qui atterrissent que d’avions qui s’en vont.
Il évoque avec émotion ce sentiment libanais de retour à la maison. « Au moment de l’atterrissage, je me place à gauche pour observer les montagnes à travers le hublot, puis la ville dont je me rapproche enfin. »
À l’heure où l’été entame son retour et les expatriés préparent leurs valises pour rentrer, « By the sea » fait plus que jamais écho à ces sentiments complémentaires d’adieu ou de réunion propres au Libanais. Au fond de cette « Lebanese story » figurée par les clichés d’un bord de mer beyrouthin au soleil couchant, on retrouve le récit de son auteur, un homme pris par le chaos de Beyrouth, tombé amoureux d’un pays qui se présente à lui avec toute sa complexité.
« By the sea » par Florient Zwein, jusqu'au 16 juin 2024.
Jardin de Sanayeh/Jardin René Moawad, secteur Sanayeh, Beyrouth, ouvert tous les jours de 6h à 18h.
Merci
08 h 44, le 14 juin 2024