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Manger - LOrientLeSiecle

« Va, goûte et deviens »

Dans les histoires de tables et de goûts, il est toujours amusant de démêler l’acquis de l’inné.

« Va, goûte et deviens »

Grandir, c'est aussi apprendre à goûter. Photo DR

La nourriture est langage et demande, comme tous les autres, patience et temps pour son apprentissage. Acte social fédérateur par excellence, manger est un témoin quotidien de nos particularités, de notre appartenance, véritable cordon ombilical qui nous relie tous les jours à travers notre assiette au vivant qui nous entoure.

Dans les histoires de tables et de goûts, il est toujours amusant de démêler l’acquis de l’inné.

Si lorsqu’il arrive au monde le petit de l’homme est lesté d’informations enregistrées au fil des siècles par tous ceux qui l’ont précédé, il est également muni au niveau de son cerveau limbique (celui qui gère nos émotions) de plusieurs décodeurs de saveur.

Goûter et sentir étant inséparables, ces décodeurs sont des petits capteurs sensoriels répartis, au niveau des papilles de sa langue, de son palais et de ses parois nasales, dont la mission est l’analyse des aliments qui lui sont présentés.

De l'importance de partager en famille des repas au quotidien. Photo DR

De la même façon que la couleur de notre peau, de nos yeux, de nos cheveux nous est transmise par notre hérédité familiale, la qualité et la quantité de nos cellules gustatives et olfactives sont elles aussi tributaires de notre patrimoine génétique et varient d’une personne à une autre. Il en est de même pour la capacité que chacun de nous a de traiter les informations de senteur et de goût qui lui sont offertes.

Dès ses premières minutes de vie, le nourrisson recherche instinctivement et avidement le gras et le sucré. Ces deux piliers du goût se retrouvent heureusement naturellement dans le lait maternel (souvent copié, jamais égalé !).

L’acquisition de la préférence pour le goût sucré semble déjà se mettre en place dès le troisième mois de grossesse, grâce au liquide amniotique, que le fœtus tète et déglutit plusieurs fois par jour.

Le petit humain va montrer par ailleurs d’emblée une solide aversion pour le goût amer, l’amertume dans la mémoire humaine collective étant associée à divers poisons et donc source de danger.

Au fil de ses mois de vie, avec ce qu’il a reçu en héritage et ce qui lui est offert, le bébé va mettre en place son petit répertoire personnel, fruit du croisement entre les aliments qu’on lui présente et ceux qu’il va sélectionner suivant ses préférences. Son « identité goût » va ainsi s’affirmer, avec parfois une nette attirance pour l’acidité, d’autres fois pour le piquant ou le fermenté... Certains bébés auront ainsi au moment de la diversification alimentaire dès l’âge de six mois des goûts marqués pour des fromages forts, pour le chocolat ou pour les épices qui surprennent souvent leur famille.

Prendre conscience pour l’entourage de l’enfant de la variabilité des perceptions olfactives et gustatives entre individus permet de mieux comprendre son rejet très marqué pour certains aliments.

Souvent qualifiés injustement de « difficiles à nourrir », certains petits sont en fait plus sensibles à des flaveurs et forcément plus sélectifs vis-à-vis de certains composés aromatiques. Ils écarteront par exemple obstinément des légumes aux senteurs soufrées comme les crucifères (choux, brocolis), alors que d’autres les avaleront sans sourciller.

À ces données, il faut ajouter les réticences induites par la néophobie naturelle et universelle que partagent tous les enfants du monde. Cette peur instinctive de tout ce qui est nouveau dans leur assiette déboussole souvent les parents qui regardent perplexes leurs petits se mettre à examiner, trier et mettre de côté dans leur assiette ce qui leur semble nouveau et bizarre.

Garder à chaque fois le même positionnement des aliments présentés dans une assiette devient alors un rituel indispensable pour rassurer et dépasser sereinement cette étape.

L’importance de partager en famille aussi s’avère apaisant et permet d’instaurer une connivence, en racontant par exemple une petite histoire autour d’un plat et de sa tradition. Prendre une cuillère du mets pour les encourager à faire de même est également essentiel.

Se rappeler que bien goûter se fait avec les cinq sens.

Un plat joliment présenté est un régal pour les yeux et le cœur.

Humer un aliment avant de le manger est une promesse de bonheur.

Prendre le temps de déguster un aliment à bonne température est un corollaire indissociable pour en magnifier le goût, parce que avaler une assiette devant un poste de télévision n’est pas goûter.

Être attentif aux textures par l’ouïe et le toucher finit de parfaire l’apprentissage, et tout cela se fera progressivement, au rythme et selon les disponibilités de chacun, avec pour but ultime d’inculquer de bons réflexes alimentaires qui encourageront l’enfant d’abord à bien s’alimenter ensuite à reproduire des gestes pour tenter de retrouver des goûts qui le ramèneront en une bouchée plus tard à la bibliothèque de son enfance, bibliothèque qu’il n’aura de cesse de compléter puis de transmettre à son tour.

Grandir, c’est appendre. L’éducation du goût en est une composante passionnante. Même si elle demande patience et imagination, elle offre à un enfant en retour un passeport quotidien fait d’émerveillement, d’enthousiasme et surtout de plaisir.

« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es. »

Brillat-Savarin, avocat du bon goût et phare de tout gastronome, l’avait parfaitement compris.


Dr Noha Baz est un médecin pédiatre de formation. Elle est diplômée des hautes études du goût et de la gastronomie et auteure de plusieurs livres gastronomiques, et fondatrice du prix gastronomique Ziryab.



La nourriture est langage et demande, comme tous les autres, patience et temps pour son apprentissage. Acte social fédérateur par excellence, manger est un témoin quotidien de nos particularités, de notre appartenance, véritable cordon ombilical qui nous relie tous les jours à travers notre assiette au vivant qui nous entoure.Dans les histoires de tables et de goûts, il est toujours...
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