Y a-t-il un art culinaire propre au Liban ? Le vacancier italien Sandro Vepri, qui se pose la question, vient de se payer un repas dit pantagruélique dans le plus grand restaurant de Wadi el-Arayech à Zahlé. Devant ses interlocuteurs libanais, désemparés et profondément surpris, ce témoin de l’autre rive de la Méditerranée n’hésite pas à mettre en doute ce qu’on tient pour être l’une de nos fiertés touristiques : la cuisine libanaise, avec son mezzé, son kebbé, ses poussins grillés et ses salades, taboulé et fattouche compris. Voilà que tout cet étalage de mets aussi variés que pittoresques laisse pour le moins indifférent, et le touriste italien et, ce qui est plus grave, des centaines d’autres, dont on a recueilli les mêmes réflexions au cours de ces deux premiers mois d’été, dans les salons d’hôtel, aux terrasses des cafés ou à bord des avions et bateaux qui les ramènent chez eux. C’est peut-être la première fois que ce qu’on a convenu d’appeler « l’art culinaire libanais » est contesté par une masse de vacanciers dont l’opinion, si elle était plus généralisée, pourrait porter préjudice à notre tourisme dans la mesure où la bonne chère, autant que les loisirs, constitue un appât majeur pour n’importe quels type ou catégorie de visiteurs, qu’ils soient européens ou arabes.
De quoi se plaignent-ils au juste ? C’est un haut fonctionnaire du Qatar, Ahmad Kamel Sbaï, qui reprend les arguments du touriste italien pour s’élever contre « la qualité des mets servis par certains restaurants sur les deux rives du Berdaouni ». « Si l’on y va, ajoute-t-il, un jour de semaine, on est presque sûr de se voir servir les restes du week-end. Or les poussins grillés aussi bien que le célèbre kebbé perdent de leur saveur et de leur goût quand ils sont préparés la veille et réchauffés le lendemain. Ce n’est évidemment pas le cas les samedis et dimanches. Encore qu’il faille trouver de la place avec cet afflux, impressionnant cette année, d’émigrés et de touristes. Mais est-ce là une raison pour faire fuir du merveilleux Wadi les visiteurs des « jours maigres » de la semaine ?
Un autre, un Français celui-là, Yves Caron, habitué à la succulente cuisine toulousaine, ne peut que s’étonner de la réputation universelle de notre mezzé « qui n’a rien de spécifiquement libanais ». « Je veux bien m’amuser, précise-t-il, à compter les plats, à regarder faire les serveurs qui les alignent par rangées et par étages. Mais je ne voudrais pas pour autant goûter à ces spécialités qui n’ont rien de très spécial et qu’on aimerait tellement oublier lorsqu’on se trouve en vacances. Il ne s’agit évidemment pas des féculents dont on se lasse pourtant à force d’en manger. Mais le hommos et le foul ne forment pas l’essentiel de ce mezzé « national ». Que penser des conserves : le thon, la sardine, la mortadelle, le jambon, les cœurs d’artichaut, les asperges ? Qu’ont-ils de particulièrement libanais, ces produits manufacturés ou congelés qui viennent droit des pays régis par la société de consommation ? »
En fait, ces mezzés ressemblent comme des frères aux hors-d’œuvre européens, encore qu’il serait injuste de les comparer à ceux de l’Espagne, par exemple, autrement plus raffinés et plus riches. Sans compter qu’ils perdent leur fonction première dès l’instant où, au lieu de stimuler l’appétit du client qui attend le plat de résistance, ils le rassasient, l’amollissent et souvent l’abrutissent. Voilà que tout le repas se réduit à un hors-d’œuvre le plus souvent indigeste. « Votre mezzé est mortel », confiait une fois à un journaliste libanais feu le Pr Pasteur Vallery Radot au terme d’une tournée de conférences au Liban. Le célèbre spécialiste endocrinien estimait que ce mélange incongru de plats, de sauces et d’ingrédients arrosés à l’arak, au whisky et à la bière provoque une telle fermentation que peu d’estomacs peuvent résister aux maux qu’ils engendrent, et notamment l’ulcère. « ll y a moins de quarante ans, assure hage Élias Chakhtoura, vieux client du célèbre café Hage Daoud, le mezzé comportait quatre menues assiettes : dans l’une, quelques grains de pois chiches teintés de piment rouge ; dans la deuxième, un quart d’once de pépins ou de pistaches d’Alep ; dans la troisième, un seul concombre découpé en quatre morceaux et, dans la quatrième, une tomate. Très souvent, on ne touchait pas à ces assiettes, on se contentait de les contempler après chaque gorgée d’arak. Les vrais buveurs ne consomment pas le mezzé. »
Il ne reste pas moins que nous avons quelques bons restaurants au Liban. Ceux surtout qui se limitent à un petit nombre de spécialités – poissons, grillades, pâtes – et les deux ou trois établissements beyrouthins qui servent encore des plats typiquement libanais. Si les prix sont parfois exorbitants, il s’agit essentiellement alors des établissements qui importent par avion les produits frais : viandes, caviar, saumon – l’ensemble est honnête, mais il n’offre pas, pour autant, aux touristes moyens l’occasion d’apprécier la vraie cuisine libanaise, car celle-ci n’est pas un mythe et on peut encore s’en faire une idée assez vague, il est vrai, quand on se rend au Bristol, chez Ajami ou au Sofar à Beyrouth, au Samké Harra à Tripoli ou à Nabeh Mar Sarkis à Ehden.
À quelques exceptions près, la plupart des autres restaurants qui se concentrent dans la capitale et à Broummana ne servent plus que des mets occidentaux.
Pourtant, les vrais plats de résistance libanais ne manquent pas. S’ils ne pèchent pas par excès de raffinement, ils n’en sont pas moins savoureux, arrosés de sauces épicées ou onctueuses : de quoi convaincre les plus difficiles parmi les gourmets. Or on ne connaît pas, dans tout le Liban, un seul établissement dont l’ensemble des spécialités inscrites à la carte permettrait aux touristes de goûter : à l’arnabié, à la siyadiyé, à la moughrabiyé, à la mloukhiyé, au chich barak, au laban oummo, au dobbo, à la hrissé. De l’aveu des connaisseurs, ces plats, même quand ils sont très bien préparés, demeurent à la portée de toutes les bourses et pourraient concurrencer valablement les meilleures cuisines provençale, italienne ou grecque.
Un mot, pour finir, sur nos entremets. Il est établi que les douceurs arabes, dont nous avons pris le secret aux souks d’Alep et de Damas, sont les plus riches du monde. Mais on les a tellement commercialisées qu’elles risquent de se déprécier à brève échéance. Pour vendre moins cher que Samadi, les pâtissiers du Liban s’ingénient à préparer les mêmes douceurs en leur ôtant et le goût, et la saveur, à cause de la qualité bon marché de la matière première. Le touriste, qui ne connaît rien à nos traditions, est évidemment porté à acheter aux meilleurs prix ces gâteaux qui, de visu, ont partout le même aspect. Il en sera d’autant plus déçu que l’économie qu’il réalise par son choix est nettement en disproportion avec la qualité de la pâtisserie servie par les grands établissements de la capitale, de Tripoli ou de Saïda.
(Commentaire parti tout seul!). Suite donc. Les traiteurs Libanais sont partout sur les marchés mais aussi en boutiques. Je ne mentionne pas Noura, bien sûr ! Bref les mets Libanais ne sont plus des inconnus aujourd'hui. Et moi qui n'aime pas du tout les légumes, je raffolais de la Mouloukieh
19 h 08, le 27 juin 2024