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Culture - CONCERT

Alessandra Ammara a entraîné Debussy dans une nuit sans étoiles

À l’invitation de l’Institut culturel italien, la pianiste transalpine a donné deux concerts au Liban, à l’Université antonine et à l’église Saint-Joseph.

Alessandra Ammara a entraîné Debussy dans une nuit sans étoiles

La pianiste Alessandra Ammara lors de son concert à l'église Saint-Joseph. Photo Nabil Ismail

Nous avons eu le plaisir de découvrir Alessandra Ammara, grande pianiste italienne, dans un récital en collaboration avec l'Institut culturel italien et l'Université Antonine de Baabda, intitulé « De la nuit » à cause des morceaux choisis de Claude Debussy, de Maurice Ravel et d’Alexandre Scriabine. Très beau programme, certes, avec le Clair de lune, La Soirée dans Grenade, la Terrasse des audiences du Clair de lune, la Sérénade interrompue et La lune descend sur le temple qui fut, de Claude Debussy, Ondine, Le Gibet et Scarbo de Maurice Ravel, et enfin la cinquième sonate de Scriabine.

Ne rouvrons pas le vieux débat du « Debussy, brumeux ou pas », parce que l'interprétation de la pianiste l'était et ce qui est naturel. Le texte est plein de caprices du temps et de dynamique que la musicienne a surmontés sans aucune difficulté.

Ammara a entraîné Debussy dans une nuit sans étoiles, où les notes du texte forment un écran assez opaque. Le résultat est surprenant et intrigant à la fois. Il est toujours difficile de percer le mystère aquatique d'Ondine, première pièce de Gaspard de la Nuit de Maurice Ravel, sommet pianistique du compositeur et l’une des grandes pages de musique de piano du XXᵉ siècle.

Triptyque sur des poèmes d’Aloysius Bertrand, l'Ondine chante tendrement, le Gibet, c'est « la cloche qui tinte au mur de Neuville sous l'horizon et la carcasse d'un pendu que rougit le soleil couchant ». Scarbo est le « nom d'un gnome surgi de visions cauchemardesques. Que de fois j’ai entendu bourdonner son rire dans l’ombre de mon alcôve, et grincer son ongle sur la soie des courtines de mon lit » !

Quelle promesse ne va pas accomplir l'impétueuse Alessandra sur son piano. L'émotion est encore plus rare qu'on ne l'attendait. La magie digitale opère à l'intérieur d’un registre de nuances qui s'interdit le moindre effet acoustique. Le Gibet se dresse au centre d'un paysage désolé, au rythme atone du glas et son Scarbo relève de la sorcellerie pure. Sans aucun doute l'un des moments les plus impressionnants du récital.

La cinquième sonate de Scriabine, pur vacillement lunaire, Alessandra, loyale et fervente, la rapatriait dans le soleil. Fabuleuse expérience que ce récital.

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Jour deux. Malgré des problèmes techniques des touches du piano, ce mardi soir, en l'église Saint-Joseph, sous la houlette du Conservatoire et toujours de l'Institut culturel italien, notre pianiste a su surmonter toutes les difficultés et son Chopin était à la fois tumultueux et passionné.

On a souvent dit que Chopin était l'âme de la Pologne. C'est plutôt l'âme du piano. Le Chopin d'Alessandra séduit par sa simplicité, sa retenue et son élégance naturelle, sans préciosité et d'une chaleur tonique. Les mazurkas tiennent bien au sol, populaires, savoureuses, sans mièvreries. Superbe première ballade d'une richesse d'éclairage et de ton. La Barcarolle a quelque chose d'émotionnel, un sfumato, un talent, une envolée avec des ponctuations à la basse obstinée au-dessus desquelles se déploie le chant le plus libre et le plus ardent. « Du sang, de la volupté, de la mort », c’est Alfred Cortot qui a donné ses titres aux 24 préludes. Il y en a eu plusieurs, pas seulement celui-ci, d'une extrême virtuosité pianistique. Ces 24 préludes sont une épreuve physique et d'endurance à celui ou à celle qui les joue en concert.

Notre pianiste pèse les pédales longues et les ponctuations brusques avec un discernement admirable. La continuité du discours est marquée avec une patience et une obstination presque maniaque. On n'a plus l'habitude d'entendre Chopin joué avec ce poids, arrivant en forte forte fortissimo avec tout le son, n'hésitant pas devant le martèlement des accords à la fin du 24ᵉ prélude, effet d'accumulation d'énergie presque insoutenable. Et comme l'écrivait André Gide, ce prélude se conclut dans une épouvantable profondeur où l'on touche le sol de l'enfer. 

Nous avons eu le plaisir de découvrir Alessandra Ammara, grande pianiste italienne, dans un récital en collaboration avec l'Institut culturel italien et l'Université Antonine de Baabda, intitulé « De la nuit » à cause des morceaux choisis de Claude Debussy, de Maurice Ravel et d’Alexandre Scriabine. Très beau programme, certes, avec le Clair de lune, La Soirée dans Grenade, la Terrasse...
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