La Banque mondiale (BM) a publié jeudi un nouveau rapport selon lequel le taux de pauvreté au Liban avait atteint 44 % de la population en 2022, et touchait un Libanais sur trois, soit le triple de ce taux mesuré en 10 ans.
Hasard du calendrier, ce nouveau rapport a été présenté à quelques heures d’intervalle de la publication du compte rendu de la visite d’une délégation du Fonds monétaire international (FMI) à Beyrouth, qui a souligné que « l'absence de réformes économiques nécessaires » avait poussé le chômage et la pauvreté à des niveaux « exceptionnellement élevés » en cinq ans de crise socio-économique.
Le taux de la Banque mondiale est celui de la pauvreté monétaire, un indicateur calculé de manière différente que celui de la pauvreté multidimensionnelle publié par d’autres organisations internationales dont la BM et la Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale (Escwa).
« Pour la première fois en 10 ans, la Banque mondiale, en collaboration avec le Programme alimentaire mondial et le Haut comité pour les réfugiés de l’ONU, a réussi à collecter des données sur la consommation et les dépenses des ménages dans cinq gouvernorats du Liban (Akkar, Beyrouth, Békaa, Liban-Nord et la grande partie du Mont-Liban, ndlr) » a expliqué Tala Ismaïl, économiste de la BM à L'OLJ.
Le nouveau taux de pauvreté est déterminé sur la base d’une étude qui couvre environ 60 % de la population répartie sur la majorité du territoire, en excluant certaines régions du sud et de l'est du pays, frontalières d'Israël et de la Syrie respectivement. « Cette enquête réalisée auprès des ménages a permis de calculer de nouveaux chiffres de pauvreté monétaire pour les années 2022 et 2023 en utilisant un nouveau seuil de pauvreté non officiel », poursuit Tala Ismail.
Jusqu’à présent, la Banque mondiale se basait sur une estimation approximative du taux de pauvreté monétaire calculé sur des données remontant à 2011 et 2012, faute d’avoir accès à des statistiques actualisées fiables. Elle considérait alors que plus 50 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté.
Le nouveau seuil de pauvreté est fixé à 53,4 millions de livres libanaises par personne et par an « au taux de change de janvier 2023 », soit 1.100 dollars convertis au taux de 48.545 LL pour un dollar selon nos calculs réalisés à partir des informations fournies par la BM. Il s’agit du taux pris en compte par l’institution pour janvier 2023. Ce montant représente 91,6 dollars par mois, environ 3 dollars par jour.
Lors d'une conférence de presse présentant le rapport, le directeur de la Banque mondiale pour le Moyen-Orient, Jean-Christophe Carret, a souligné « la nécessité impérieuse (..) d'étendre la couverture et l'ampleur des programmes d'aide sociale ».
L'effondrement économique du pays depuis l'été 2019 est imputé par une grande partie de la population à la mauvaise gestion, la corruption, la négligence et l'inertie de la classe dirigeante et du secteur bancaire.
Pauvreté inégalement répartie
Les données suivantes figurent parmi les autres conclusions du rapport :
• En comptant toutes les personnes, notamment les Syriens, vivant sur le territoire national, le taux de pauvreté au Liban atteignait 44 % en 2022, alors qu’il était de 12 % en 2012. La BM considère que 1,5 million de Syriens vivent dans le pays, soit un quart de la population, une des plus fortes proportions de réfugiés dans le monde.
• L'incidence de la pauvreté est inégalement répartie sur le territoire libanais, allant de 12 % de Libanais en dessous du seuil de pauvreté à Beyrouth contre 70 % dans le Akkar.
• Les ménages syriens sont relativement moins bien lotis, selon toutes les mesures et indicateurs comparables liés au bien-être. Près de neuf Syriens sur dix se trouvaient sous le seuil de pauvreté en 2022, tandis que 45 % des familles syriennes pauvres ont un niveau de consommation alimentaire inférieur à la normale. Les Syriens en âge de travailler ont un faible niveau d'éducation et ceux qui travaillent occupent des emplois informels mal rémunérés et plus précaires, ce qui contribue à l'état de pauvreté et d'insécurité alimentaire de leurs ménages.
• Les prix globaux ont été multipliés par un facteur de près de 15 au cours de la dernière décennie, érodant le pouvoir d'achat des revenus libellés en LL. Les données de l'enquête reflètent également ce changement dans les habitudes de consommation : les ménages libanais résidant dans les gouvernorats couverts en 2022 consomment un tiers de la quantité de viande et de fruits de mer (principalement importés) qu’ils consommaient 10 ans plus tôt, tandis que la consommation de pain et de céréales, plus abordables, a augmenté de plus de 20 %.
• L'inégalité des revenus semble également s'accroître parmi les Libanais. Le Liban a été signalé comme ayant l'un des niveaux d'inégalité de revenus les plus prononcés en 2014, se classant 129e sur 141 pays au niveau mondial en ce qui concerne l'inégalité de revenus élevée. Il a été constaté que le premier et les 10 % d'adultes les plus riches recevaient respectivement 25 et 55 % du revenu national. Les données de l'enquête de 2022 suggèrent également que l'inégalité des revenus par habitant pour les ménages libanais, mesurée à l'aide de l'indice de Gini (qui sert à mesurer ce type d’inégalités), a augmenté de 0,4 en 2012 à 0,6 dans les cinq gouvernorats.
• La BM a estimé que l'économie du cash représentait 46 % du Produit intérieur brut (PIB) du pays, les Libanais se méfiant des banques depuis le début de la crise en 2019.
OLJ, Pourquoi vous comptez "les syriens" avec les libanais ??
10 h 01, le 25 mai 2024