Gebran Bassil revient à Jezzine. Deux ans après avoir subi une difficile défaite aux législatives dans cette région, le chef du Courant patriotique libre semble œuvrer à la réhabilitation de son image auprès de sa base populaire en prévision d’échéances futures. Il a donc mené un déplacement – hautement médiatisé par son parti – dans cette ville chrétienne du Liban-Sud épargnée jusque-là par les raids israéliens sans échapper au climat d’insécurité et d’incertitude qui règne dans les localités chiites adjacentes. Une visite qui intervient dans un contexte politique particulier : le rapprochement initié il y a quelques semaines par le CPL en direction d’un rival historique, le chef du Parlement et leader chiite Nabih Berry.
Leur rivalité avait conduit ces deux alliés du Hezbollah à faire cavalier seul lors du dernier scrutin législatif. Résultat, ni la liste aouniste ni la liste berryste n’a pu franchir le seuil électoral (20 %). Le CPL et Amal n’ont donc obtenu aucun siège dans la circonscription du Liban-Sud I (Saïda et Jezzine), pourtant considérée comme leur étant acquise. Une défaite qui a profité à leur adversaire commun, les Forces libanaises de Samir Geagea, qui ont créé la surprise en raflant deux des trois sièges de ce caza.
« Imaginez que Jezzine soit isolée »
Le tandem Berry-Bassil semble toutefois vouloir remettre les choses en ordre, comme il l’a fait lors de l’élection du président de l’ordre des ingénieurs à Beyrouth. Ainsi, lors de la visite de dimanche, la délégation aouniste a d’abord été reçue au domicile de l’ancien député maronite du bloc Amal Ibrahim Azar. Le leader du CPL a d’ailleurs placé son allocution sous le thème du rapprochement intercommunautaire. « Notre rôle est l’unification, et non la division et la partition », a martelé Gebran Bassil. Et d’estimer que le rôle de sa formation « est de servir de trait d’union et de rassembler, non de promouvoir la partition », critiquant ainsi sans les nommer les FL, accusées d’entretenir une rhétorique séparatiste. « Imaginez que Jezzine soit isolé de son entourage, a-t-il renchéri. Il n’y a aucun endroit au Liban qui ne soit entremêlé avec d’autres ; comment peut-on penser à une partition ? Notre force réside dans notre ouverture aux autres, sans pour autant nous fondre dans la masse. » Le rapprochement entre les deux courants politiques a été amorcé dans un contexte de tension communautaire extrême amplifié par le meurtre, il y a deux semaines, de Pascal Sleiman, un cadre des FL. Cet incident a radicalisé la rue chrétienne autour de Samir Geagea.
Officiellement, le chef du CPL insiste sur le fait que sa visite est surtout destinée à soutenir les projets de développement dans la région. Tout comme il est perçu comme l’un des précurseurs du développement galopant qu’a connu la ville côtière de Batroun, dont il est le député, le chef du CPL cherche à répliquer l’expérience à Jezzine. Il participe donc à l’inauguration des travaux de restauration du souk commercial de la ville et de la Maison de la jeunesse en présence de son bailleur de fonds, l’ancien député aouniste Amal Abou Zeid, ainsi que du ministre sortant des Affaires sociales Hector Hajjar et d’autres hauts cadre du parti. « Jezzine deviendra un lieu central d’attraction. Ensemble avec le député Amal Abou Zeid, et Khalil Harfouche (président de la Fédération des municipalités de Jezzine), nous allons nous entraider dans l’intérêt des habitants », a déclaré sur place le chef du CPL. « L’objectif derrière l’inauguration du souk est de montrer l’attachement à cette ville en tournant le regard vers l’avenir afin de consolider le développement et d’inciter les habitants à rester sur place », a indiqué à son tour M. Abou Zeid.
« Notre manière à nous, c’est le développement »
S’il a mis l’accent sur le développement, cela ne l’a pas empêché de critiquer (sans le nommer) le Hezbollah et sa décision de faire du Liban-Sud un front de soutien au Hamas à Gaza. Interrogé sur la pertinence et la justification de cette tournée alors que les canons continuent de gronder à quelques kilomètres de là, le chef du CPL a répondu : « La compétition est nécessaire au développement personnel des gens. La mentalité qui mise sur la destruction ne nous aidera pas à évoluer. Chacun résiste à sa façon durant la guerre, et notre manière à nous, c’est le développement », a-t-il dit. « Le développement vise à attirer tout le monde, plus particulièrement les gens qui sont à proximité », a-t-il ajouté, en référence aux villages chiites environnants.
De la part du CPL, ces propos semblent être une tentative de récupérer « les voix chiites (quelques 20%) qui commencent à exprimer leur mécontentement d’une guerre d’usure qui a provoqué des destructions monstres dans la région frontalière », commente Hassan Qotob, analyste politique spécialiste du Liban-Sud, dont il est originaire. Car Gebran Bassil ne cache pas son ambition de reprendre le dessus dans cette région-clé. « Du fait de notre action, a-t-il espéré, Jezzine doit rester la forteresse du CPL. »
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La bal des hypocrites se poursuit
Elie Aoun
21 h 23, le 22 avril 2024