Dimanche. Le responsable des Forces libanaises à Jbeil, Pascal Sleiman, est porté disparu. Très vite, on imagine le pire. Très vite, la tension monte de plusieurs crans au sein de la rue chrétienne. Il ne lui faut pas grand-chose. Elle est déjà à bout de nerfs, cette rue chrétienne. Elle a perdu son Liban. Et elle se voit à son tour disparaître. Elle vit dans la rancœur et dans la peur. Surtout, elle ne supporte plus l’autre. Souvent, même, elle le hait. Le chiite, dont elle a l’impression qu’il lui impose un autre Liban par la force des armes. Le Syrien, qu’elle associe au régime qu’il a pourtant fui et dont elle est sûre qu’il va finir par lui voler son pays. Le musulman, de façon plus générale, avec qui il n’est plus possible de « cohabiter ».
Les rumeurs fusent. La colère gronde. Pascal Sleiman a-t-il été assassiné comme Élias Hasrouni – un autre cadre FL – avant lui ? Samir Geagea est contraint de sortir de sa tour d’ivoire. Il faut montrer les muscles, marquer le coup, rassurer la rue. Surtout, il faut calmer les esprits. Les plus jeunes veulent en découdre. Mais les gens qui ont fait la guerre en connaissent le prix. Le leader des FL joue une partition sensible : il faut que la rue bouillonne, mais pas trop. Il faut s’opposer au Hezbollah sans risquer une nouvelle guerre civile.
Lundi. Hassan Nasrallah passe la plus grande partie de son discours à parler de « l’affaire Pascal Sleiman ». Le Hezbollah est en guerre contre Israël depuis six mois. Le parti-milice met tout le pays en danger pour sauver la face de son géniteur iranien. Il a déjà perdu 275 hommes, sans compter les civils, sans que cela ne permette de sauver le moindre Palestinien. Mais cela ne l’empêche pas d’accuser « les FL et les Kataëb de chercher la guerre civile ». Il peut se le permettre. Il est le plus fort sur la scène locale. À ses yeux, tout le reste n’est que gesticulation.
Dans la soirée, l’on apprend que Pascal Sleiman est mort. Des photos de son corps, torturé, circulent sur les groupes WhatsApp. Il a été retrouvé en Syrie. L’armée assure qu’il a été victime d’un gang de Syriens qui a voulu lui voler sa voiture. Pourquoi l’emmener en Syrie, le rouer de coups et le tuer pour lui voler sa voiture ? La rue chrétienne n’y croit pas. Mais cela ne l’empêche pas de se défouler sur les Syriens. Après tout, ils n’ont pas à être là.
Mardi. Le Liban se rétrécit et se délite. Il fait parfois illusion. Les restaurants sont pleins, les gens font la fête. C’est parfois sincère. Mais rarement vrai. Les esprits sont fatigués. Il y a un trop-plein de tout. Alors, ils finissent par imploser. L’identitarisme se répand comme la lèpre dans la rue chrétienne. Elle veut le divorce. Elle veut son État, à elle, rien qu’à elle. Elle ne l’aura pas. Mais qui ose le lui dire ?
Mercredi-jeudi. Les barbus chrétiens se déchaînent. Ils arrêtent les Syriens, les frappent, les ligotent, leur interdisent de circuler. N’était leur allégeance à une puissance extérieure, ils n’auraient pas grand-chose à envier au Hezbollah. C’est un phénomène naturel après tout. Quand c’est la loi du caïd qui prévaut, tout le monde veut être le caïd.
Les Syriens ont peur. Mais leur nombre fait peur. Plus d’un million pour un pays qui en compte moins de cinq, c’est beaucoup trop. Même avec la meilleure volonté du monde. Il faut trouver une solution, la moins inhumaine qui soit. Pour cela, il faudrait toutefois avoir un gouvernement. Ou un président. Ou même un embryon d’État.
Vendredi. La rue chrétienne enterre son martyr. Le patriarche dénonce dans son homélie « le danger » que représentent les réfugiés syriens. « Toute notre vie nous défendons la Bible et Jésus. Eux, ils défendent le terrorisme et le takfirisme », lance à L’OLJ Dalia, la quarantaine, drapeau FL sur la tête et grosse croix en bois entre les mains. Samir Geagea rappelle à son public pourquoi il vote pour lui. Il est leur assurance-vie. « La confrontation se poursuit, elle sera longue », promet-il.
Samedi. Le Liban marque le 49e anniversaire de la guerre civile. « J’appelle les générations qui n’ont pas connu la guerre à en tirer les leçons », déclare Nagib Mikati. Croit-il un mot de ce qu’il dit ? Quelles leçons ont-ils d’ailleurs tirées, lui et tous ses collègues politiciens, de cette guerre ? Certains diraient qu’on la commémore alors qu’elle n’est pas finie. D’autres qu’on la commémore alors qu’elle ressurgit. Ce qui est sûr, c’est qu’elle n’est jamais très loin.
Nagib Mikati, encore lui, promet au patriarche d’« expulser la plupart des Syriens ». Comment ? Ça, il ne le dit pas. Qu’importe, le populisme rassure les foules. L’essentiel est de maintenir l’illusion du pouvoir. Il n’est pas encore 11 heures. Et la nuit va être longue. Beaucoup trop longue. Après avoir averti la planète entière, l’Iran lance sa riposte surprise contre Israël. Les centaines de drones et de missiles vont mettre des heures à arriver avant d’être abattus un à un par l’État hébreu et ses alliés. Tout cela ressemble à un mauvais spectacle. Mais cela n’en est pas un. Malgré la théâtralité, malgré les annonces, le moment est très grave. Le Moyen-Orient est au bord du gouffre. L’Iran vient de mener une attaque sans précédent contre son plus grand ennemi. Et celui-ci promet déjà de se venger.
Dimanche. Laquelle arrivera en premier, la guerre civile ou la guerre régionale ? L’implosion ou l’explosion ? En début de semaine, l’on aurait parié sur la première. À la fin, force est de constater que la seconde a une bonne longueur d’avance. Israël va répliquer. C’est quasiment sûr. Et après ? Comment imaginer que le Hezbollah reste en dehors de tout cela ? Comment imaginer que le Liban soit épargné ? La semaine était longue. Ça fait beaucoup pour un petit pays. Beaucoup trop.
Bravo très bel article, talentueux et propre. Quand des personnes comme vous, Machnouk, Koteiche et bien d'autres se donneront -ils la main. Voustenez le calice de la résuréction
17 h 28, le 16 avril 2024