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Culture - Disparition

Latifé Moultaka retrouve Antoine, son binôme

L'actrice et metteuse en scène libanaise s'est éteinte mardi soir à l'âge de 92 ans, rejoignant son mari deux mois après son départ. 

Latifé Moultaka retrouve Antoine, son binôme

Latifé Moultaka, actrice, metteuse en scène et professeure de théâtre adulée par ses étudiants. Photo archives L4OLJ

A 92 ans, Latifé Moultaka n’avait jamais vécu loin de son époux, Antoine Moultaka, avec qui elle avait jeté les bases du théâtre moderne libanais. Depuis le départ de ce dernier, au mois de février, elle semblait impatiente de partir à son tour. Née Latifé Chamoun, celle que son fils, le compositeur et musicologue Zad Moultaka décrit comme « une femme forte, obstinée, libre », abandonne une carrière d’avocate au début des années 1950 pour suivre Antoine « et s’enivrer avec lui de théâtre ». « Folie ! », souligne Zad qui salue l’indépendance d’esprit de cette comédienne et metteure en scène « d’une incroyable modernité ».

Les Moultaka sont parents de trois enfants, tous habités par une curiosité scientifique qui les pousse, Gilbert vers la physique, Zad vers des recherches plastiques aboutissant à des œuvres majeures où la musique et les sons fusionnent avec des objets et effets visuels, Jihane vers l’astrophysique.

Antoine et Latifé Moultaka, un "power couple" qui a marqué les annales du théâtre au Liban et dans le monde arabe. Photo archives L'OLJ

La légende du couple Moultaka est celle d’une rencontre prédestinée, « Moultaka » signifiant justement « rencontre » en arabe. Les deux ont fait leurs études à l’école de la Sagesse et obtenu, sans se connaître, les meilleures notes en mathématiques. Quand Latifé, par ailleurs étudiante en droit, enseigne à son tour dans l’école de filles du même collège, elle rencontre son futur époux pour la première fois. Ils ont la même mèche rebelle, c’est un autre signe. Au début de leur mariage, alors qu’elle est plongée dans ses dossiers et qu’Antoine répète avec sa troupe naissante une version de Macbeth traduite par ses soins en arabe dialectal, il se tourne vers elle sans rien dire. Il a besoin d’une Lady Macbeth, elle adopte le rôle au pied levé. Dès lors, ils forment un « power couple », elle à la mise en scène et accessoirement à l’interprétation, lui à l’écriture avec le rêve d’introduire le théâtre expérimental russe et européen sur la scène libanaise. Ensemble, ils feront partie des pionniers des festivals de Baalbeck et de Rachana, animeront celui de Rachana, et fonderont coup sur coup le Cercle du Théâtre libanais, le Théâtre expérimental de Zokak el-Blatt dont ils seront les architectes et les maçons ; le théâtre d’Achrafieh et même, en dépit des bombardements, le théâtre Maroun Naccache en 1980.

De Macbeth et Richard III de Shakespeare à Œdipe roi et Antigone de Sophocle, aux Mouches de Jean-Paul Sartre, des Noces de sang de Garcia Lorca à L'incompréhension et à Caligula d'Albert Camus, ils auront offert au public libanais, dans sa propre langue, des œuvres qui ont fait date et réveillé des vocations. Mais ce sont leurs rôles dans Dix petits nègres d’Agatha Christie, diffusé sous forme de feuilleton par la télévision libanaise dans les années 1970, qui feront leur immense popularité.

Latifé Moultaka, un visage connu des planches libanaises. Photo archives L'OLJ

Les étudiants de l’Académie libanaise des Beaux-Arts, où Latifé Moultaka enseignait le théâtre, ne tarissent pas de gratitude envers cette enseignante généreuse et d’une grande culture, dont l’énergie, l’humour et le regard pétillant les accompagnent encore aujourd’hui.

Zad Moultaka, pour sa part, confie, parlant de ses deux parents : « Je me sens la résonance de ce qu’ils ont été. Je porte en moi leurs espoirs anciens, leurs déceptions, leurs rages, leurs forces et leurs entêtements, leurs rêves qui n’ont pas pu aboutir, leur vision de ce que doit être le rapport à la Vie, à l’Art à l’Autre, je leur dois ce que je suis devenu et deviendrai, je leur dois ma matière intérieure et ma substance ». Mais pour l'artiste, le meilleur rôle de Latifé Moultaka fut celui de maman.  

« Éteins-toi, éteins-toi, court flambeau : la vie n'est qu'une ombre qui marche ; elle ressemble à un comédien qui se pavane et s'agite sur un théâtre une heure » : Latifé Moultaka a-t-elle fait sienne cette tirade de Lady Macbeth ? Une heure de théâtre représentait pour le couple le travail d’une vie, et les heures cumulées entre écriture, mise en scène et jeu, une éternité à l’aune d’une vie humaine. Leur héritage est inestimable.

A 92 ans, Latifé Moultaka n’avait jamais vécu loin de son époux, Antoine Moultaka, avec qui elle avait jeté les bases du théâtre moderne libanais. Depuis le départ de ce dernier, au mois de février, elle semblait impatiente de partir à son tour. Née Latifé Chamoun, celle que son fils, le compositeur et musicologue Zad Moultaka décrit comme « une femme forte, obstinée, libre »,...

commentaires (2)

mes condoleances à Gilbert, Zad et Jihane Sincèrement Elie

Élie Aoun

11 h 36, le 11 avril 2024

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Commentaires (2)

  • mes condoleances à Gilbert, Zad et Jihane Sincèrement Elie

    Élie Aoun

    11 h 36, le 11 avril 2024

  • merci d'avoir fait l'éloge de ce couple précurseur et pionnier du théâtre libanais, ce qu'il faut souligner surtout les efforts et le courage de produire des pièces de théâtre dans les villages les plus reculés, comme Bazbina au Akkar , Eddé ds la région de Byblos, et bien d'autres de dahet el tassé, ou Caligula. quelle perte , et quelle tristesse

    Élie Aoun

    11 h 35, le 11 avril 2024

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