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Le danger du fanatisme religieux : ne pas réveiller les démons endormis

Le danger du fanatisme religieux : ne pas réveiller les démons endormis

À Washington, le mémorial de Martin Luther King qui disait : « Il ne s’agit pas de savoir si nous serons extrémistes ou non, mais plutôt quel genre d’extrémistes nous serons : ceux de la haine ou de l’amour… » Photo d’illustration Bigstock

Contrairement aux aspirations des architectes de la Constitution libanaise, l’aspect temporaire de l’arrangement confessionnel n’a pas abouti à l’émergence d’un État non confessionnel. Cependant, ces aspirations ne se sont pas totalement dissipées. En dépit de l’immobilisme stérile des dirigeants dans leur interprétation de la Constitution à la lumière du pacte national – une stagnation qui semble être devenue une sentence perpétuelle depuis l’accord de Taëf –, une fissure s’est tout de même ouverte au sein du système confessionnel lui-même.

Ce système a créé une situation complexe où s’entremêlent alliances, accords et intérêts entre différentes références politico-confessionnelles. Cette réalité contribue à atténuer le fanatisme religieux irrationnel hérité, favorise l’émergence d’organisations non confessionnelles, permet le développement d’un discours national démocratique et renforce le secteur économique où les intérêts matériels prévalent sur les affiliations confessionnelles.

Cependant, cette brèche qui ouvre la possibilité d’un changement vers le meilleur reste précaire. La persistance des références politiques et religieuses locales à concevoir la réalité libanaise dans le contexte de l’immobilisme susmentionné maintient le fanatisme religieux vivace, prêt à s’embraser rapidement dès que des conditions favorables se présentent. L’histoire contemporaine du Liban en témoigne.

Les Libanais se rappellent comment, au début des années 1970, malgré une politique basée sur des équilibres confessionnels, les revendications pour des réformes politiques, la nécessité de réguler la présence armée palestinienne et les initiatives internationales pour résoudre la question palestinienne en installant définitivement les réfugiés palestiniens au Liban se sont toutes entremêlées. Ces divers éléments ont abouti à une escalade de la situation intérieure en 1975, marquée par une polarisation religieuse exacerbée par le fanatisme aveugle, qui a atteint des niveaux d’extrémisme inédit. Cette situation a enlisé les efforts de réconciliation et de dialogue dans un cercle vicieux pendant des années. C’est là le résultat du chevauchement du fanatisme religieux avec la compréhension rigide de la composition du pays à la lumière du pacte national.

La plupart des acteurs concernés à cette époque s’accordaient sur l’importance de réaliser des réformes dans tous les domaines, de mettre fin à la guerre et d’entamer un dialogue national. Cependant, des désaccords persistaient : pour certains, notamment les chrétiens, il était essentiel de garantir l’indépendance, la souveraineté et le respect du pacte national avant d’engager un dialogue sérieux sous l’égide de l’État. Pour d’autres, notamment les musulmans et les progressistes, il était prioritaire de commencer par des réformes intégrant la justice sociale et le partage du pouvoir. De plus, la question de la relation du Liban avec son environnement est devenue étroitement liée aux réformes souhaitées. Certains ont jugé nécessaire de réaffirmer l’identité arabe du Liban et son engagement envers ses causes, la cause palestinienne en tête. Cependant, d’autres ont soutenu que cette identité, telle qu’elle était présentée, menaçait l’identité particulière du Liban au sein du monde arabe ainsi que sa souveraineté. Parallèlement, le confessionnalisme politique est devenu un sujet de désaccord stérile. Les dirigeants musulmans ont demandé l’abolition du confessionnalisme politique sans prôner la laïcité de l’État, tandis que les dirigeants chrétiens ont soit réclamé la laïcité totale, soit insisté sur le maintien du confessionnalisme politique.

Avec l’accord de Taëf, le retour au système confessionnel semblait être la seule voie pour garantir la continuité de l’État et de ses institutions. Cependant, le risque d’une montée du fanatisme religieux reste élevé, car les autorités locales persistent dans une interprétation de la réalité libanaise à la lumière du seul pacte national. Le recours à des formations religieuses pour contrer le « duo chiite » représente une menace croissante, susceptible d’entraîner des conséquences désastreuses, surtout dans un contexte régional qui favorise l’essor du fanatisme religieux.

Face à cette menace, il est important d’observer les manifestations du fanatisme religieux. Tout d’abord, la religion devient le principal lien unificateur du groupe, reléguant au second plan les différences entre croyants et non-croyants, ainsi qu’entre pratiquants et non-pratiquants. Les autres affiliations politiques ou civiles, même celles de nature confessionnelle, sont reléguées à l’arrière-plan. Cette situation met en péril la diversité politique et idéologique au sein d’une même confession ainsi que la voie modérée. Par conséquent, il n’est pas étonnant que les revendications des différentes parties, même si elles revêtent des titres similaires tels que souveraineté, indépendance, pacte… se transforment en un dialogue de sourds qui peut déboucher sur des actes de violence.

Ensuite, le fanatisme religieux efface l’espace « gris » créé par le système confessionnel qui, comme nous l’avons dit précédemment, maintient une ouverture dans le mur du confessionnalisme. Ce fanatisme rejette tout autre croyance et assimile les pratiques religieuses et les textes sacrés, reléguant les valeurs religieuses centrées sur le bien, la fraternité et la paix au second plan. Au contraire, il favorise l’éradication de ce qui est perçu comme différent, au nom de Dieu. Il est remarquable de noter que le fanatisme, une fois établi, ne peut subsister que par une hostilité perpétuelle envers les « ennemis extérieurs », tout en masquant les différends et les contradictions au sein du groupe lui-même, parfois même en les réprimant par la force.

Enfin et surtout, l’intensification du fanatisme religieux favorise l’adoption de positions extrêmes qui diabolisent autrui, restreignent les libertés individuelles, notamment la liberté d’expression, et exacerbent les divisions dans une société déjà mosaïque, et affaiblit les efforts de démocratisation.

Si le pays parvient à éviter une explosion que ce fanatisme croissant pourrait déclencher, les effets psychologiques néfastes de cette situation persisteront pendant des décennies. Comme l’a dit Martin Luther King : « Il ne s’agit pas de savoir si nous serons extrémistes ou non, mais plutôt quel genre d’extrémistes nous serons : ceux de la haine ou de l’amour, du mal ou du bien, du salut ou de la destruction. » En conséquence, le message adressé aux autorités politiques et religieuses locales est clair : ne sortez pas le Liban de l’espace gris, mais développez un discours national loin de la spirale de la logique négative du pacte !

Père Salah ABOUJAOUDÉ, s.j.

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Contrairement aux aspirations des architectes de la Constitution libanaise, l’aspect temporaire de l’arrangement confessionnel n’a pas abouti à l’émergence d’un État non confessionnel. Cependant, ces aspirations ne se sont pas totalement dissipées. En dépit de l’immobilisme stérile des dirigeants dans leur interprétation de la Constitution à la lumière du pacte national –...

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