Le député et ancien bâtonnier Melhem Khalaf a été bousculé et frappé mardi lors d’un sit-in organisé devant le Palais de justice pour soutenir trois de ses confrères activistes, Wassef Haraké, Ali Abbas et Pierre Gemayel qui militent pour un déblocage des investigations sur la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020).
Une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux montre M. Khalaf discutant avec des soldats de l’armée et des agents des forces de l’ordre, avant que l’un d’eux le repousse et que d’autres brandissent des matraques et les abattent en sa direction. D’autres avocats, dont Issam Khoury, ont été également agressés dans la foulée, affirme à L’Orient-Le Jour, sous couvert d’anonymat, un membre du barreau présent sur place, et pour lequel l’attaque était « préméditée ».
« L’ancien bâtonnier avait demandé d’entrer au Palais de justice, accompagné de nombreux avocats qui participaient au sit-in. Les forces sécuritaires ont satisfait à sa requête, à condition que chacun présente sa carte d’affiliation à l’ordre », raconte le membre du barreau précité. « Soudain, M. Khalaf s’entend dire qu’il est interdit lui-même d’entrée dans l’enceinte du palais, avant d’être violemment rejeté en arrière », témoigne-t-il.
En tant qu’ancien bâtonnier, et à la demande des trois avocats militants, Melhem Khalaf voulait prendre part à l’audition à laquelle le conseil de l’ordre avait convoqué ces derniers, suite à une demande d’autorisation de les poursuivre formulée par l’avocat général près la cour d’appel de Beyrouth, Zaher Hamadé, pour « humiliation de la justice, diffamation et injures ». Avant d’accorder l’autorisation ou la refuser, le conseil de l’ordre doit ainsi s’enquérir auprès des avocats mis en cause par le parquet des faits qui leur sont reprochés. Les accusations, en l’espèce, se basent notamment sur l’article 383 du code pénal qui mentionne « un outrage à des fonctionnaires par des paroles, gestes et menaces ».
En septembre dernier, les FSI avaient en effet mené des investigations sur une incursion du Palais de justice, menée le 3 août 2023 par des manifestants brandissant des portraits de responsables politiques, sécuritaires et judiciaires, qu’ils accusaient d’entraver l’enquête du port de Beyrouth. Les portraits, sur lesquels était apposée la mention « fugitifs », ont été jetés à terre et piétinés par ces manifestants dont faisaient partie les trois avocats précités, peut-on lire dans le document des FSI, consulté par L’Orient-Le Jour. « Ils ont filmé leurs actes et les ont publiés sur les réseaux sociaux », ajoute le document.
William Noun, frère de victime, et Wassef Haraké avaient été respectivement poursuivis en janvier et février 2023, par le juge Zaher Hamadé, pour des questions également liées à leur défense de l’enquête du port.
Pas de peur
Dans l’après-midi de mardi, Melhem Khalaf a commenté l’agression contre lui en décrivant « la violence » comme « un premier signe du désespoir ». « Le message est parvenu… et votre violence ne produira pas de peur », a-t-il martelé sur X, soulignant qu’« on continuera jusqu’à la fin à faire face au coup d’État ».
En début de soirée, le conseil de l’ordre des avocats, présidé par Fadi Masri, a dénoncé dans un communiqué « l'agression survenue contre des confrères, dont un ancien bâtonnier de l'ordre des avocats connu pour son attachement au respect de la Constitution et à l'application les lois ». « Nous insistons pour que les investigations nécessaires soient menées et que des mesures judiciaires et disciplinaires soient prises à l'encontre des auteurs (de l’agression) et de leurs responsables », ajoute le communiqué, appelant aux « sanctions les plus sévères ».
Selon l’agence nationale d’information (ANI), le bâtonnier de Beyrouth est entré en contact avec le procureur général près la Cour de cassation par intérim, Jamal Hajjar, pour lui faire part des revendications du conseil de l’ordre.
Contactés par L’OLJ, des cadres de l’administration du Parlement n’ont pas voulu commenter l’incident, affirmant qu’ils n’en ont pas la prérogative. Idem pour un responsable administratif au sein de l’armée, qui a affirmé que seul un communiqué officiel peut exprimer la position du commandement de la troupe.
Concernant les poursuites que veut engager le juge Hamadé contre MM. Haraké, Gemayel et Abbas, ce dernier note que « ce n’est pas la première fois » que sont convoqués des avocats mobilisés pour la cause des victimes de la double explosion au port de Beyrouth. « Les intimidations et tentatives de musellement de nos voix ne nous empêcheront pas de réclamer la poursuite de l’examen des dossiers de corruption », affirme-t-il à L’OLJ, exhortant la magistrature à « exercer sa mission de manière indépendante, plutôt que d’être un outil de la classe politique ».
Selon nos informations, les trois avocats ont été entendus par la commissaire du Palais de justice auprès du gouvernement, Maya Zaghrini, qui devrait présenter leur dossier au conseil de l’ordre. Ils se seraient ensuite réunis avec le bâtonnier de Beyrouth avec lequel ils ont évoqué l’affaire. Lors d’une prochaine réunion qu’il devrait tenir vendredi, le conseil aurait à prendre la décision de lever ou non l’immunité des avocats concernés. Quelle que soit cette décision, elle sera susceptible d’appel devant la chambre de la cour d’appel de Beyrouth chargée de trancher sur les affaires des ordres et syndicats, que préside le juge Ayman Oueidate.
Merci L’OLJ d’avoir daigné publié un de mes commentaires sur 3 envoyés et censurés
19 h 09, le 13 mars 2024