« La question de la présidentielle n’était pas au menu des discussions. Nous avions à débattre d’autres soucis plus urgents. » C’est par ces propos confiés à L’Orient-Le Jour que le leader druze Walid Joumblatt a résumé ce qu’il décrit comme un « entretien intime », à Moscou jeudi dernier, avec le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, et son adjoint pour le Moyen-Orient Mikhaël Bogdanov. La rencontre a été l’occasion pour les deux hommes d’échanger leurs points de vue sur la crise au Moyen-Orient. « Nous avons évoqué des sujets importants, notamment l’avenir de Gaza, le front au Liban-Sud et la poussée de l’OTAN vers l’Est (pour y inclure l’Ukraine) », a ajouté l’ancien président du Parti socialiste progressiste à L’OLJ.
Dans un entretien accordé à la chaîne RT (Russia Today), M. Joumblatt a réitéré sa position initiale, à savoir la nécessité d’éviter l’extension de la guerre en cours, sachant notamment que personne ne peut, dit-il, « deviner les intentions israéliennes à l’égard du Liban ». Une position également répercutée par le ministre russe des Affaires étrangères qui a exprimé son « refus d’une escalade supplémentaire dans le conflit israélo-palestinien et de l’implication d’autres pays de la région, notamment le Liban ».
« Nous souhaitons et soutenons une application de la 1701, mais cela ne sera possible qu’avec un accord entre le Hezbollah, les parties libanaises et l’État, et par le biais d’un renforcement de la présence de l’armée libanaise qui devra combler le vide dans cette région (éventuellement créé par le retrait des combattants du Hezbollah vers le nord du Litani, comme le prévoit la 1701), à condition que les mêmes mesures soient appliquées du côté israélien », a indiqué le leader druze. Ce dernier faisait référence à l’accord d’armistice de 1949 qui impose au Liban ainsi qu’à Israël un espace territorial neutre prévu des deux côtés de la frontière. « Appliquer l’accord d’armistice d’un seul côté ne tient d’aucune logique », a insisté le leader de Moukhtara. Il s’agit d’une position similaire au leitmotiv du Hezbollah qui réclame, notamment depuis la guerre du 7 octobre, que la Force intérimaire des Nations unies (Finul) se déploie également du côté israélien.
Sur la question de la présidentielle, Walid Joumblatt a indiqué qu’elle n’est pas à l’ordre du jour, « à moins que le quintette ne parvienne à une proposition », a-t-il nuancé. Il démentait ainsi le lien effectué par certains analystes entre sa visite à Moscou et sa récente position de soutien à la candidature du chef des Marada, lorsqu’il avait indiqué en janvier dernier « n’avoir aucun problème » avec « l’élection de Sleiman Frangié », le candidat du Hezbollah, réputé proche des Russes. M. Lavrov a également insisté sur « la nécessité pour les Libanais de trouver des solutions pour les affaires urgentes qui sont à l’ordre du jour, sur la base d’un consensus sans ingérence étrangère ».
Saad Hariri de retour sur l’ours russe ?
La rencontre entre M. Joumblatt et les diplomates russes survient quelques jours à peine après un entretien entre Georges Chaabane, le conseiller aux affaires russes du chef du courant du Futur et ancien Premier ministre Saad Hariri, et M. Bogdanov. Si Walid Joumblatt affirme que le dossier « ne le concerne pas », des rapports médiatiques ont récemment révélé que la Russie tente depuis quelque temps d’intercéder auprès de l’Arabie saoudite en vue d’un retour de M. Hariri, en exil à Abou Dhabi depuis deux ans après avoir suspendu son activité politique au Liban du fait de sa relation refroidie avec Riyad. Lors de son échange avec M. Bogdanov, M. Chaabane a présenté « la vision de Saad Hariri pour la période à venir, notamment la question de l’élection d’un président de la République », comme le notait un communiqué issu du ministère russe des Affaires étrangères. Selon nos informations, la rencontre entre les deux hommes a longuement évoqué l’option de la réinsertion de M. Hariri sur la scène politique libanaise.
« Saad Hariri est aujourd’hui le seul à pouvoir pallier le vide sur la scène sunnite, que les nouveaux venus (les députés issus de la contestation, les députés indépendants et les ex-haririens ) n’ont jamais pu combler », fait valoir une source proche de l’ex-Premier ministre. Avant d’ajouter : « M. Hariri revient au Liban (le 14 février pour la commémoration de l’assassinat de son père) dans un nouveau contexte régional où se trame un compromis pour l’après-Gaza. Il est le seul à pouvoir représenter la communauté sunnite à un moment aussi sensible et crucial. » L’allusion fait écho à l’éclatement de la scène sunnite en plusieurs pôles, aucun nouveau leader n’ayant réussi à émerger depuis que M. Hariri a rendu son tablier.
Encore faut-il savoir si la Russie a toujours l’influence dont elle jouissait avant la guerre d’Ukraine et quelle est sa marge d’action au Liban notamment. « Le rôle des Russes dans la région a sans aucun doute baissé », décrypte Riyad Kahwaji, expert des questions russes. « Par conséquent, le retour de la Russie sur la scène internationale et la redynamisation de ses canaux diplomatiques doivent être compris sous l’angle de l’influence acquise par Moscou au sein de l’Iran, surtout depuis que Téhéran a largement soutenu les Russes en leur fournissant les équipements militaires durant le conflit avec l’Ukraine », dit-il.
Toutefois, et quelle que soit la marge d’influence à laquelle aspire actuellement la Russie au Liban, il n’est pas dit que son rôle s’inscrit nécessairement en porte-à-faux avec la mission du quintette impliqué dans le dossier libanais (France, États-Unis, Arabie saoudite, Qatar, Égypte). « Le rôle des Cinq tire son importance de la présence d’acteurs arabes, dont l’Arabie saoudite, qui doivent accorder leur bénédiction au futur président. Sans eux, aucun candidat ne passera », analyse Michael Young, rédacteur en chef de Diwan. Il existerait ainsi une série d’obstacles que les Russes – qui sont par ailleurs en bons termes avec les pays arabes du quintette – ne peuvent surmonter. D’où une éventuelle complémentarité des rôles que les deux camps pourraient être appelés à jouer pour un règlement de la crise, laisse entendre M. Young.
commentaires (17)
Est ce qu i Est encore socialiste ce féodal?
Zampano
02 h 59, le 14 février 2024