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Le complot, moteur des révolutions

Le complot, moteur des révolutions

Lors du bicentenaire de la Révolution française, j’ai participé à plusieurs rencontres sur le thème de la Révolution française et le monde musulman. J’y ai fait souvent la remarque que ce qui rapprochait le plus les révolutions arabes et la française était la hantise du complot et de la conspiration.

Je porte la plus grande estime pour les travaux d’Edmond Dziembowski et je suis heureux de voir que dans ce dernier livre, il aborde justement cette thématique dans la Révolution française.

Tous les historiens de la Révolution française savent que l’obsession complotiste a été l’un des moteurs des événements. Le livre se limite à retracer l’histoire d’une croyance : celle des origines occultes de Quatre-vingt-neuf. Cette croyance a produit une histoire parallèle, une histoire alternative en violent contraste avec celle que les manuels ont enseignée. Derrière cette croyance, c’est aussi tout un pan de l’outillage mental de l’ère révolutionnaire qui se dévoile.

Le premier grand thème abordé est celui de la conspiration des philosophes des Lumières pour provoquer et diriger la Révolution. Le rousseauiste Robespierre au début de 1794 opposait le bon sens du peuple aux « faiseurs de livres », la « secte des Encyclopédistes ». L’athéisme « est une conspiration contre la République ».

Cette thématique rejoint largement le discours contre-révolutionnaire qui accuse lui aussi les Lumières d’être responsable de tout. Une variante accuse directement Necker et les protestants.

L’abbé Augustin Barruel est un personnage essentiel avec la publication, en 1797, des Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme qui introduisent une perspective de longue durée : « dans cette Révolution française, tout jusqu’à ses forfaits les plus épouvantables, tout a été prévu, médité, combiné, résolu, statué  ; tout a été l’effet de la plus profonde scélératesse, puisque tout a été préparé, amené par des hommes qui avaient seuls le fil des conspirations longtemps ourdies dans des sociétés secrètes, et qui ont su choisir et hâter les moments propices aux complots. » C’est la conspiration des philosophes, des francs-maçons et des illuminés. Au-delà, c’est même la vengeance des Templiers persécutés par Philippe le Bel.

De l’autre côté de la scène politique, les révolutionnaires français ont été persuadés de l’existence d’une conspiration britannique, destinée à venger la défaite de la guerre d’Amérique. Pitt le Jeune en est l’instigateur, il est un véritable génie du mal. En 1793, la Convention lui décernera le titre d’« ennemi du genre humain ».

Il faut y ajouter la conspiration du duc d’Orléans et de son conseiller Choderlos de Laclos, l’auteur des Liaisons dangereuses.

Tous ces complotistes ne sont pas des idiots ou des fous. Ils sont généralement sincères et croient aux thèses qu’ils expriment. Ils s’appuient sur des faits qu’ils interprètent au-delà de toute mesure.

Le corpus philosophique des Lumières, extrêmement divers et contradictoire, a été pour les révolutionnaires une boîte à arguments dans laquelle chacun piochait ce qui étayait son propos. L’important était d’accroître la force persuasive de la harangue, du pamphlet ou de l’article de journal, en convoquant la figure tutélaire d’une célébrité des lettres ou des sciences. Cela a commencé lors de la guerre de sept ans (1756-1763) qui a fait émerger le vocabulaire de ce qui deviendra la Révolution française (Nation, Citoyens, etc.). La franc-maçonnerie marque les progrès de l’idée d’égalité. Les illuminés se construisent sur un modèle venu des jésuites.

Le complot sert à expliquer l’inexplicable, à donner sens aux événements en cours. La radicalisation de la révolution a pour moteur la peur du complot qui engendre la violence. Symétriquement en Grande-Bretagne et en Allemagne, on a peur du complot jacobin, ce qui justifie des mesures drastiques de répression.

Il faut aussi prendre en compte l’univers mental de la fin du XVIIIe siècle. À côté du rationalisme des Lumières, il existe un illuminisme que l’on trouve dans l’occultisme de la franc-maçonnerie (les secrets) ou le magnétisme de Mesmer. Le conspirationnisme baigne dans la même atmosphère que celle qui enveloppait les admirateurs de Mesmer et de Cagliostro. C’est le moment où s’affirment les sentiments forts avec l’idée de sublime. La violence du temps va trouver aussi son expression avec le roman gothique, véritable littérature de l’horreur. Le complotisme a ainsi sa place dans l’exacerbation des passions.

Il existait avant la Révolution et il existe aujourd’hui. Il a une longue histoire derrière lui et une riche histoire devant lui. Tout en étant fondé sur des bases fausses et fantasmatiques, il a été et reste toujours un puissant moteur de l’histoire.

En replaçant l’histoire de la Révolution dans celle des émotions, l’auteur enrichit considérablement l’histoire de cette période et contribue à la compréhension de notre temps, ce qui démontre que nous n’avons pas beaucoup progressé.

La Main cachée. Une autre histoire de la Révolution française d’Edmond Dziembowski, Perrin, 2023, 368 p.

Lors du bicentenaire de la Révolution française, j’ai participé à plusieurs rencontres sur le thème de la Révolution française et le monde musulman. J’y ai fait souvent la remarque que ce qui rapprochait le plus les révolutions arabes et la française était la hantise du complot et de la conspiration.Je porte la plus grande estime pour les travaux d’Edmond Dziembowski et...

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