Rechercher
Rechercher

Culture - Jeune talent

Daniela Stephan, cinéaste d’une génération en colère

Depuis Londres où elle est installée, cette photographe, scénariste et réalisatrice libanaise entame une carrière cinématographique prometteuse… Axée sur le Liban. Et sa jeunesse. Portrait.

Daniela Stephan, cinéaste d’une génération en colère

À 27 ans, Daniela Stephan porte dans ses films le regard sur le Liban de sa « génération perdue ». Photo DR

Née au milieu des années 1990, Daniela Stéphan a grandi dans un Beyrouth qui n’était plus en guerre, sans pour autant être vraiment en paix. « Une période d’entre-deux, au cours de laquelle, sans avoir vécu les traumatismes subis par nos parents, nous les ressentions à travers leurs comportements et la tension qu’ils pouvaient manifester dans certaines situations ordinaires. Ils voulaient qu’on vive dans une quiétude qu’eux n’avaient pas connue, mais en même temps, ils ne savaient pas trop comment nous gérer », soutient la cinéaste de 27 ans, qui se réclame d’une « génération perdue, qui ne trouve pas vraiment sa place ». Une génération libanaise « énervée », « en colère », qui se questionne autant sur son avenir que sur son rapport au passé. Et dont la jeune réalisatrice est en quelque sorte la parfaite représentante.

« Je veux tourner mes films uniquement à Beyrouth »

Enfant, Daniela Stéphan montrait déjà des velléités contestataires. « J’étais très mauvaise élève. Je ne m’intégrais pas du tout à mon environnement scolaire. La seule matière qui m’intéressait, c’était l’écriture. Sinon, je passais mon temps à traîner avec des amis de différentes classes sociales dans les rues de Beyrouth, à prendre des photos et à visionner en cachette de mes parents des films interdits. » De cette jeunesse somme toute assez banale, la jeune femme va tirer les ingrédients qui nourrissent aujourd’hui son travail cinématographique. À savoir un regard investigateur posé sur la réalité complexe des gens de sa génération, le goût de l’écriture scénographique, un ton rebelle et une inspiration fondamentalement liée au pays du Cèdre, voire même à la rue beyrouthine.

« Je veux tourner mes films uniquement à Beyrouth », affirme d’ailleurs avec détermination cette jeune cinéaste indépendante, installée pourtant à Londres depuis 5 ans. Depuis qu’ayant décroché son diplôme en études cinématographiques de l’Académie libanaise des beaux-arts (Alba), elle a choisi de compléter sa formation par un master en réalisation à la London Film School.

Daniela Stephan, une jeune réalisatrice au talent prometteur. Photo DR

Loin du Liban, Daniela Stéphan ressent avec plus d’acuité le questionnement sur l’appartenance identitaire, mais aussi cette transmission intergénérationnelle des traumatismes inhérente au vécu de la jeunesse libanaise, ainsi que le sentiment de perte dans un pays en proie à une instabilité chronique. Et nourrie du cinéma de Jocelyn Saab et Ziad Doueiri, « parallèlement au “Dogma” de Lars von Trier », des images de Patrick Baz ainsi que de la lecture d’Amin Maalouf (en particulier des Identités meurtrières), elle décide de faire de ces problématiques en lien avec la situation sociopolitique de son pays natal le terreau distinctif de son œuvre.

Lire aussi

« On peut tout dire en ne disant rien »

Elle se lance en 2019 avec Mummy Blue, un film de 11 minutes dans lequel elle explore à travers les rapports conflictuels entre une mère d’origine libanaise et sa fille anglaise la transmission de la mémoire traumatique et des souvenirs non vécus. Une première œuvre qui lui vaudra le prix de la meilleure réalisatrice au Festival international du court-métrage de Tokyo en 2022.

Le cinéma médium de questionnements

Puis, alors qu’elle est à Beyrouth en pleine préparation pour le tournage de son second opus, survient la tragédie du 4 août 2020. « J’avais écrit un scénario pour mon film de fin d’études à la London Film School mettant en scène un groupe d’adolescents faisant l’école buissonnière et errant dans les rues de la capitale libanaise un jour d’émeute. Cette histoire me tenait à cœur parce que je voulais portraiturer ma ville et sa jeunesse, aussi anarchiques l’une que l’autre. Mais l’explosion au port s’est produite. Et même si le climat sociopolitique chargé depuis tant d’années de corruption et d’incertitude nous faisait pressentir ce moment de déflagration terrible avec anxiété, une partie de moi est morte ce jour-là », confie la jeune femme. « Tous mes lieux étaient en ruine, je n’avais plus de ville et mon chat était perdu. Je ne voulais plus faire de film », relate Daniela Stéphan, ajoutant s’être sentie d’autant plus coupable de chercher son chat qu’elle savait que d’autres avaient perdu bien plus. « Puis au bout de quelques mois, j’ai recommencé à écrire en me disant que même si le cinéma n’était pas là pour changer radicalement quoi que ce soit, il n’en restait pas moins un médium de questionnements, de solidarité et de témoignage... J’ai alors modifié mon scénario et réalisé The Sun Sets on Beirut (“Le soleil se couche sur Beyrouth”). » Un docu-fiction qui suit la trajectoire de Mounia, une jeune femme (incarnée par l’actrice et chanteuse libanaise Marilyn Naaman) qui sillonne avec son ami Ghady (Pio Chihane) les rues dévastées de Beyrouth au lendemain de l’explosion à la recherche de son chat. À travers le personnage en colère de Mounia, que l’on devine être son double, « je voulais montrer la trajectoire émotionnelle et le conflit intérieur de toute une génération libanaise confrontée à une réalité fossoyeuse de son avenir », affirme la jeune auteure et réalisatrice.

Une image du film « The Sun Sets on Beirut » de Daniela Stephan. Photo DR

Des prix et des idées

Un court-métrage de 17 minutes pour lequel elle a remporté en 2023 le Grand Prix du festival Les Nuits méditerranéennes du court-métrage, ainsi que celui du meilleur court-métrage au festival international de films féminins Olhares do Mediteraneo. Sans parler des deux prix qu’il a décrochés au Beirut Women Film Festival et de sa sélection dans plusieurs festivals de courts-métrages dont ceux de Berlin (Interfilm) et de Tampere (en Finlande), qui joue un important rôle de qualificateur pour les Bafta et autres Oscars. Un talent à suivre donc !

D’autant que Daniela Stéphan s’attelle déjà à l’écriture de son troisième court-métrage sur le thème, vous l’aurez deviné, d’«une génération perdue », décrite, cette fois, à travers les déambulations beyrouthines de trois amis aux identités marquées. Mais chut, on ne vous en révélera pas plus.

Née au milieu des années 1990, Daniela Stéphan a grandi dans un Beyrouth qui n’était plus en guerre, sans pour autant être vraiment en paix. « Une période d’entre-deux, au cours de laquelle, sans avoir vécu les traumatismes subis par nos parents, nous les ressentions à travers leurs comportements et la tension qu’ils pouvaient manifester dans certaines situations ordinaires. Ils...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut