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Un front de trop

Jusqu’où peut-on aller trop loin sans perdre le contrôle de la situation ? Et comment faire efficacement usage de sa force en évitant de commettre l’irréparable ? On ne sait s’il faut s’en affoler ou, au contraire, s’en trouver plutôt rassuré, mais ce dilemme habite – ou devrait sensément habiter – tous les acteurs, majeurs et mineurs, de la gigantesque passe d’armes en cours au Proche et au Moyen-Orient. Mais saurait-on jurer que le bon sens a la même signification partout ?

En même temps qu’elle commence à ramener au pays ses boys dans des cercueils, l’administration Biden, contestée par les jeunes du Parti démocrate, houspillée par les va-t-en-guerre républicains, est tenue de riposter bien sûr ; mais elle se défend de rechercher un affrontement total avec l’Iran. De son côté, Benjamin Netanyahu voit toujours dans une guerre longue le seul moyen d’échapper à ses juges ; mais encore lui faut-il gérer aussi le désastre diplomatique essuyé par Israël et ses démêlés avec l’allié US, les services de renseignements, les militaires, les plus à droite que lui et, last but not least, avec les familles des otages retenus par le Hamas palestinien. C’est dire le poids que revêt le souci de la solidité du front interne dans les décisions de l’un et de l’autre de ces deux compères. Échappent apparemment à de tels tiraillements les dirigeants de Téhéran, gardiens de la révolution et Bassidj sont là pour réprimer toute opposition ou même seulement toute réserve qui se manifesterait dans la rue. Il va sans dire qu’un tel dédain de l’opinion publique ne peut qu’être la règle pour les milices notoirement affiliées à l’Iran et implantées en divers points du monde arabe. Aussi est-il fort malheureux que, de toutes ces formations, ce soit le Hezbollah qui se dévoue pour en faire, ici même, la plus aberrante des démonstrations.

Car lâcher sa féroce meute médiatique sur le patriarche maronite n’était pas une simple erreur, c’était une faute. C’en était même deux, dans un pays aussi singulier que le Liban où la liberté d’opinion est sacrée et où les atteintes aux susceptibilités religieuses s’avèrent non seulement inopérantes, mais résolument contre-productives. Dans son homélie de dimanche dernier, le prélat n’avait fait pourtant qu’exprimer pour la énième fois la frustration et les angoisses de l’écrasante majorité des Libanais – y compris les habitants de la région frontalière sud – qui ne comprennent toujours pas que leur pays, par la seule volonté d’un groupe armé agissant en État dans l’État, risque l’annihilation au nom de la solidarité avec l’infortunée population de Gaza. Pour avoir formulé le même point de vue, le chef du parti Kataëb et d’autres personnalités politiques ont été menacés de mort sur les réseaux sociaux. Le chef spirituel de la plus influente des communautés chrétiennes a été, lui, qualifié de traître à la patrie par les internautes embrigadés, ce qui est tout comme.

Il va de soi que tant de front, et même d’effronterie, est déjà, en soi, insupportable, même pour les chrétiens les mieux disposés envers le Hezbollah. Il est surtout de bien mauvaise politique envers une communauté qui, lors de précédents conflits avec Israël, a spontanément ouvert ses couvents, ses églises, ses écoles et ses dispensaires aux masses de déplacés fuyant la mort et la destruction. C’est, assure-t-il, pour fixer sur place et éloigner de Gaza une partie substantielle de l’armée ennemie que le Hezbollah est entré en guerre. Dans les faits, c’est le front interne qu’il met inconsidérément à mal en laissant s’accomplir l’inadmissible, en paraissant même le cautionner par son fracassant silence.

Ce front de plus, c’est en somme un front de trop.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Jusqu’où peut-on aller trop loin sans perdre le contrôle de la situation ? Et comment faire efficacement usage de sa force en évitant de commettre l’irréparable ? On ne sait s’il faut s’en affoler ou, au contraire, s’en trouver plutôt rassuré, mais ce dilemme habite – ou devrait sensément habiter – tous les acteurs, majeurs et mineurs, de la gigantesque passe...